Un retour inattendu

Écrit par : DESJEUX Daphne (5ème, Collège du Pavin, Besse-et-Saint-Anastaise)

18 avril 2018.
 

J’avais tellement prié, tellement espéré que la guerre le garde pour elle. Mais pourtant, il est revenu.
Après quelques instants de silence, ma mère a dit à mon père :
— Tu dois avoir froid…Tu devrais aller te changer… donne-moi ton sac, je vais m’en occuper.
— C’est toujours au même endroit ? a demandé mon père. Je veux dire… mes affaires ?
Ma mère a acquiescé d’un signe de la tête. Elle a suivi mon père du regard, se dirigeant d’un pas pesant dans le couloir puis ouvrant la porte de leur chambre et la refermant derrière lui.
Ma mère s’est ensuite adressée à moi :
— Va jouer, le temps que je prépare le dîner.
Je l’ai lâchée, puis je suis parti en direction de ma chambre. Mais au moment où j’ai mis la main sur la poignée de la porte, ma mère m’a interpellé.
— Ecoute, je sais que c’est difficile avec ton père… mais essaye d’être gentil. Si tu ne le fais pas pour lui, fais-le pour moi.
Je suis rentré dans ma chambre sans répondre. Non. Elle ne savait pas ce que ça faisait. Elle ne savait pas le vide qu’on ressent quand il part. La douleur quand il revient après tant d’années d’absence. Cette même douleur qu’on ressent quand on réalise qu’il vous a laissé grandir seul. Ça fait comme un creux, comme un vide dans le cœur. Et puis toutes ces incertitudes dont il est à l’origine : aurait-il été mieux qu’il ne revienne pas ? Ou est-ce mieux ainsi ? Ma mère réagit-elle étrangement ? Ou est-ce moi qui réagis mal ?
Je me suis laissé tomber sur mon lit la tête dans l’oreiller. J’ai senti des larmes amères couler le long de mes joues. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là. Peut-être dix minutes, peut-être une heure… Jusqu’à ce que ma mère frappe à la porte de ma chambre.
— Le dîner est servi, mon chéri ! a-t-elle dit.
Je l’ai entendue s’éloigner quelques secondes après, avec un soupir.
Je me suis péniblement relevé puis j’ai séché mes larmes d’un revers de manche. J’ai rejoint la salle à manger d’un pas lourd et je me suis assis autour de la table.
Pendant le repas, mon père a essayé de me poser quelques questions du genre « Sinon, ça va, avec tes amis ? » ou encore « Tu aimes toujours autant la pêche ? ».
Quand j’étais petit, avec mon père, on passait des heures à discuter au bord de l’étang de notre voisin. On pêchait puis on faisait de bonnes petites fritures.
Malgré ça, à chacune des questions qu’il me posait, je répondais par un « mouais … », un « bof… » ou encore un hochement de la tête.
A la fin du repas, j’ai débarrassé mon assiette, puis je suis parti me mettre en pyjama. En revenant dans ma chambre, j’ai vu ma mère en train de faire mon lit et mon père qui attendait patiemment. Quand elle eut fini, je me suis allongé et elle m’a embrassé sur la joue.
Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas couché dans mon propre lit. Quand mon père est parti, je l’ai attendu chaque soir sans dormir. J’avais trop peur de rater son arrivée. Ma mère s’en est vite rendu compte. J’avais des cernes, je clignais des paupières et un jour je me suis assoupi pendant le dîner. Alors, elle a décidé que je dormirais avec elle jusqu’à nouvel ordre. Au moins, là, elle était sûre que je ne l’attendrais pas. Depuis, je dormais toujours dans sa chambre.
Mon père a voulu m’embrasser sur la joue mais j’ai tourné la tête. Il a reculé d’un pas, puis il est sorti. Ma mère a baissé la tête et elle l’a suivi. Elle a doucement fermé la porte et peu après j’ai entendu leurs voix.
— Pourquoi refuse- t-il que je revienne ? Pourquoi se referme- t-il quand je suis là ?
Ça, c’était mon père. Il criait.
— Tu dois lui laisser du temps…
C’était la voix douce de ma mère.
— Mais du temps pourquoi ?
— Du temps pour assimiler ton retour dans la famille !
— Tous les gosses de son âge seraient ravis de voir leur père rentrer de la guerre ! Ils n’ont pas tous cette chance-là ! Et lui, il s’en prive !
— C’est difficile pour lui, tu sais…
Là, mon père a littéralement explosé :
— Et pour moi tu ne pense pas que ça l’est ! Je ne veux pas qu’il m’enterre ! Je veux qu’il me laisse revenir !
Il a fondu en sanglots.
— Ne t’inquiète pas, il te pardonnera. Demain, vous irez pêcher, comme ça, vous pourrez discuter plus librement.
Ils sont partis dans leur chambre et je me suis endormi.
Le lendemain matin, alors que nous prenions notre petit déjeuner, ma mère a évoqué l’idée que nous pourrions aller pêcher chez notre voisin. Mon père a renchéri :
— Oui, c’est une très bonne idée !
Nous sommes allés chercher le matériel, sans que l’on me demande vraiment mon avis. Après avoir dit au revoir à ma mère, nous avons traversé la route et sonné à la porte de notre voisin. Il a ouvert la porte en souriant mais son expression a fait place à de l’étonnement.
— Ça alors ! s’est-il exclamé. Le p’tit Jules et son père.
— Roger ! a dit mon père en lui serrant la main.
Roger, notre voisin, était une personne âgée à la retraite qui, vivant seul, aimait bien qu’on lui rende visite avant la guerre.
— Mais dis-moi, t’es revenu entier d’la guerre à c’que je vois ! J’suis bien content de t’revoir ! Oh, je vois qu’vous avez amené d’quoi pêcher ! Allez-y, faites vous plaisir ! a-t-il dit en ouvrant le petit portail qui donnait sur son jardin.
— Merci beaucoup Roger, moi aussi je suis heureux de te revoir, a déclaré mon père.
— De rien à vot’service, a dit notre voisin avec un signe de la main.
Nous avons avancé tout au fond du jardin jusqu’à l’étang. Nous nous sommes assis sur le banc et nous avons préparé nos lignes.
— Il fait beau aujourd’hui ! C’est un temps idéal pour pêcher, a dit mon père.
J’ai lancé ma ligne sans répondre. Il a soupiré et lancé la sienne.
— Bon, si tu ne veux pas parler, ce n’est pas grave. Mais moi, je vais te raconter, je vais t’expliquer ce qui s’est passé là-bas pour que tu y voies plus clair.
Il s’est éclairci la gorge et a commencé.
— Un jour, ils ont affiché dans la rue une annonce comme quoi tous les hommes valides et ayant fait leur service militaire devaient se rendre au bureau de recrutement pour partir au front. Le lendemain, j’ai fait mes bagages et je vous ai fait mes adieux. Je me rappelle que ta mère pleurait. Toi, tu ne comprenais pas ce qui se passait. Peut-être aurions-nous dû t’expliquer. C’est à ce moment-là que je vous ai promis de revenir. Que ce soit dans six mois ou un an, je reviendrai, vous ai-je dit. Mais mon espoir diminuait chaque jour là-bas car les mois passaient et je ne voyais pas la fin de la guerre arriver.
Il a marqué une pause pour enlever le poisson qui venait de mordre à son hameçon. Puis, il a repris :
— Tu sais, une fois, j’ai dû partir pour une mission d’infiltration dans le camp ennemi. Nous étions un petit groupe d’éclaireurs mais nous nous sommes faits repérer et ils nous ont tirés comme des lapins. J’ai eu une pensée pour toi et ta mère : je vous avais promis de revenir ! Alors, j’ai couru avec toute ma détermination pour prévenir les renforts mais nous n’avons pu sauver que quelques-uns de nos compagnons et notre mission échoua.
Il regarda dans le vague comme se remémorant des souvenirs lointains. Je n’avais jamais pris conscience de ce qu’il avait dû traverser. Je me suis senti coupable. Coupable de le délaisser alors qu’il revenait de tant d’épreuves. Mon père a continué son histoire :
— Un jour, un de mes compagnons m’a dit que le plus difficile n’était pas de mourir à la guerre mais d’en revenir. Je ne le croyais pas, j’étais sûr que ma famille serait heureuse de me revoir. Surtout que si je suis parti à la guerre ce n’est pas pour l’honneur, ni la fierté, mais pour vous protéger, toi et ta mère, mais aussi notre vie et tous les coins que j’aime ici… Je priais chaque soir pour vous revoir et…
Sa voix s’est brisée et il s’est mis à sangloter. J’ai senti des larmes me piquer les yeux. Cette fois, c’en était trop. Je me suis jeté dans ses bras et j’ai pleuré sur son épaule. Après un petit moment, nous avons séché nos larmes et nous avons discuté. Un peu plus tard dans la matinée, nous sommes repartis le cœur léger, main dans la main.
La guerre m’a enlevé mon père pendant quatre ans mais elle n’a pas réussi à le garder. Maintenant sa place est auprès de moi.