Maison après maison

Écrit par : DESFONTAINES Alice (2nde, Lycée de Racine, Paris)

23 avril 2018.
 

— Ils arrivent, a dit Jules. Ses yeux brillaient d’une joie féroce.

Mon fils eut à peine le temps de terminer sa phrase qu’une puissante détonation retentit. Chloé avait lancé la première grenade. Les meubles tremblèrent, le parquet grinça. Etrangement, aucun d’entre nous ne cilla. En un an de guerre, le bruit des mitrailleuses et des bombes ne nous effrayait plus. Nos corps s’étaient habitués aux explosions, aux cris de détresse, aux tremblements de l’immeuble, à l’obscurité, à l’odeur âcre de la poudre et du sang, aux coupures d’eau, aux pannes de courant et aux grésillements de la radio.

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<< S’il le faut, nous nous défendrons maison après maison. >>

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Alors que notre armée était à terre, ce message a fait rire nos ennemis. Ils nous pensaient naïfs de croire, nos campagnes ayant été rasées, que nous pouvions encore gagner cette guerre. Mais ce qu’ils ne soupçonnaient pas, c’était que ce message en cachait un autre ; un signal que chaque citoyen attendait patiemment, signifiant que l’opération Shock était en place, prête à commencer. Depuis trois mois, tous les survivants des attaques qui avaient défiguré le pays, quittaient les campagnes pour se cacher dans la capitale. L’instruction avait été donnée à l’insu de l’ennemi par les membres d’une résistance qui s’était formée et dont le but était de sauver le pays. L’existence de ce groupe s’était secrètement diffusée et avait fédéré de nombreuses personnes. Nous avons repris courage et l’espoir de retrouver un jour la paix. Alors la nuit, les pères de famille comme moi, descendaient dans les rues sombres et glacées de la capitale et se mettaient à la recherche de vivres, d’armes, de tissus, d’objets qui pouvaient être utiles pour survivre ou se défendre. Quelquefois, les résistants du quartier se rassemblaient dans un vieux théâtre abandonné et partageaient leurs trouvailles. C’était des moments formidables. On oubliait que deux heures plus tard il faudrait retourner se cacher, se barricader et que le lendemain, les balles continueraient de pleuvoir et les corps de tomber. Alors, patriotes, quel que soient notre sexe, nos âges, notre couleur de peau, nos croyances, nos convictions ou nos origines, nous nous asseyions tous ensemble dans les fauteuils défoncés de velours rouge, un verre de vin chaud à la main, oubliant tout, parlant de nos enfants, de nos amours, de nos vies, unis par un rêve, celui du jour où la paix reviendrait. Quelques soirs, plus rares encore, les femmes se déguisaient avec des chapeaux farfelus, des écharpes de plumes ou les robes de comtesse qui avaient survécu aux explosions. Nous évitions de faire trop de bruit mais un de nos compagnons d’origine polonaise avait un accordéon et nous jouait souvent, le plus doucement possible, des airs de mazurka. Nous entraînions alors nos femmes dans des valses endiablées, les faisant virevolter et tourner d’un bout à l’autre de la scène.

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— A terre ! hurla Juliette, en se jetant au sol.

Quelques secondes plus tard, les vitres explosèrent, se répandant en cristaux de verre sur le parquet. Les assaillants se trouvaient au coin de notre rue, à moins de cinq cents mètres de notre immeuble. Ils nous avaient remarqué et nous visaient à présent avec des I2-416. Jules arracha alors la deuxième grenade des mains de sa soeur et la lança avec force dans le groupe d’assaillants qui continuait d’avancer en nous mitraillant.

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Jules était très doué à l’école et étudiait dans l’une des meilleures du pays. Il excellait tout particulièrement en français. Son professeur de lettre, M. Martin était un homme franc mais convivial et avait une façon bien à lui de dire les choses. Journaliste et écrivain à ses heures perdues, il était toujours le premier à savoir ce qui se passait dans le monde. Ayant des relations dans le domaine de la presse il n’hésitait pas à publier des critiques intéressantes quoique légèrement osées sur les politiciens. L’élève et le professeur se retrouvaient une fois par semaine autour de la table de notre salon et discutaient pendant des heures de justice, de politique ou d’économie. Pendant les premiers mois de la guerre, leurs rendez-vous continuèrent, bien qu’ils se soient faits de plus en plus rares. Un matin, le professeur est arrivé chez nous, une étrange lueur dans le regard. Il est directement allé s’installer dans le canapé et nous a demandé de nous asseoir à notre tour, comme s’il était chez lui et que nous étions des invités. Sans prendre le temps de souffler, il nous a expliqué qu’une stratégie avait été mise en place par groupe de résistants qui s’était formé et que nous devions rejoindre. Voulant combattre pour protéger notre pays et refusant la défaite, nous acceptâmes.

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Les assaillants continuaient leur progression. Nous n’étions pas seuls à les attaquer. Au quatrième étage du numéro 5, on apercevait par la fenêtre un couple de vieillards qui lançaient des grenades à tout va. Leur fils ainé travaillant dans l’armée, leur réserve de munitions semblait loin de s’épuiser.
Juliette et Chloé s’étaient accroupies derrière le canapé poussé contre une fenêtre. Ma femme visait tant bien que mal nos assaillants tandis que ma fille les bombardait de vieux livres poussiéreux et d’ustensiles de cuisine. Une poêle alla s’écraser contre le casque d’un soldat ennemi. Il s’effondra au sol. Chloé explosa de rire, fière de son lancer.

— Visez les canons de leurs armes, leur conseillai-je en évitant de justesse une balle qui alla se loger dans le mur, à quelques centimètres de mon épaule.

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Tous les paysans, soldats, ou provinciaux qui étaient encore en vie avaient dû quitter leurs campagnes ou le front pour se rassembler dans le centre de la capitale qui se situait au sud de la péninsule qu’était notre pays, soit à l’opposé des frontières avec l’ennemi. Ce dernier souhaitait conquérir notre pays afin d’agrandir son territoire. Notre gouvernement a poliment refusé de fusionner avec le pays voisin. Les diplomates, têtus, nous déclarèrent la guerre, il y a maintenant plus d’une année de cela. Nos ennemis avaient commencé cette guerre en pensant que nous allions nous rendre rapidement, que nous serions faciles écraser. Mais le chef de leur gouvernement était jeune et inconscient. Inconscient que derrière le calme de notre nation se cachait une puissance constituée entre autres de la bombe nucléaire, de missiles balistiques, de sous-marins, acquis secrètement.

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Brusquement, un bruit d’hélices déchira le ciel. Ce dernier était maintenant parsemé d’Illusion 6000K qui bombardaient l’ennemi tout en parachutant soldats et munitions sur les toits. D’autres, qui sortaient des immeubles, quittant les caves où ils étaient restés cachés en attendant le signal couraient à présent vers l’ennemi, les ciblant avec leurs lance- roquettes. Des snipers positionnés sur les toits des HLM tiraient avec précision sur les attaquants avec des AD4822. Des chars d’assaut, des véhicules de transports de troupes sortaient part trentaine des bouches de métro et de parking et s’empressaient de se positionner face à l’ennemi.

— Les Alliés, souffla Chloé. Un sourire se dessinait lentement sur ses lèvres.
— On va bien s’amuser maintenant, rigola Jules.
Juliette me regarda et sourit.

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L’alliance était restée clandestine aux yeux de l’ennemi pour leur faire croire que nous étions seuls, sans défense. Mais au contraire, celle-ci était plus puissante qu’avant. Nous avions bombardé les lieux de fabrication et les entrepôts des missiles de notre adversaire et caché les nôtres sous terre ou dans nos sous-marins. Tous les militaires avaient été rapatriés, habillés en civil mais férocement armés et cachés dans la capitale. Les autorités adverses avaient reçu un message disant que notre capitale était en pénurie de vivres et que nous demandions de l’aide de toute urgence. Ce message, leur avait été volontairement envoyé afin qu’ils nous pensent à l’agonie. L’ennemi s’attendait à trouver une ville dépeuplée, où erreraient des âmes perdues, assoiffées et affamées. Nous les avions là encore trompés.

<< S’il le faut, nous nous défendrons maison après maison. >>