Mon père, cet inconnu

Écrit par : ZIANE Maëva (3ème, Collège Georges Pompidou, Claix)

26 avril 2018.
 

[J’avais six ans lorsqu’il est parti. Il n’avait qu’à pas revenir comme ça, quatre ans plus tard. J’avais tellement prié, tellement espéré que la guerre le garde pour elle…..]

C’était le soir, j’allais pour la première fois depuis quatre ans devoir laisser ma place à table. Le repas de ce soir se déroulait dans une ambiance étrange. Il y avait maman et papa l’un à côté de l’autre, qui se tenait la main. Et moi je n’existais pas, j’étais transparent, comme si j’étais un fantôme.

J’allais me coucher. Je marchai dans le couloir pour aller jusqu’à ma chambre. Le parquet était froid sous mes pieds nus. Je senti une légère brise me chatouiller le bout du nez, elle s’intensifiait et me donnait presque la chair de poule. Je tournais la tête pour connaitre la nature de ce courant d’air et j’aperçus la fenêtre de la chambre de mes parents ouverte. Je décidais alors d’aller la refermer. Je réussis avec difficultés et parcouru la chambre du regard. J’observais le lit où je ne dormirais plus jamais, le guéridon sur lequel je m’étais blessé à la tête en jouant avec maman. J’avançais sans détacher mes yeux d’une photographie de maman et moi, mais je manquais de tomber par terre à cause d’un gros objet posé sur le sol à côté de la porte : le sac de papa. Posé dessus, comme s’il m’attendait, un petit carnet de cuir refermé par une ficelle elle-même faite de cuir. Il avait l’air vieilli et un des quatre bords avait été déchiré. J’étais hypnotisé par cet objet. Devais-je le prendre ? J’entendis les pas de maman dans l’escalier, alors comme poussé par une force inconnue, j’ai attrapé le carnet et couru jusque dans ma chambre. Sous mon coussin, j’ai caché l’objet volé. Maman poussa la porte de ma chambre :

« Tout va bien mon cœur ?

— Oui ça va. Je pourrais avoir un câlin ?’ »

Elle s’approcha de moi avec cette démarche qui me rassurait tant. Quand elle m’enlaça, je l’ai serré si fort que j’en avais du mal à respirer. J’avais l’impression que c’était la dernière fois que je la prenais dans mes bras.

Je me suis réveillé le lendemain matin. Pressé, je soulevai mon coussin pour en libérer le petit carnet. Quand je l’ouvris, il y eu une odeur de cigarette qui me rappela l’odeur de mon père quand il était rentré à la maison. L’écriture était pointue et il y avait des taches un peu partout. Je commençais ma lecture avec les yeux encore endormis.

‘’Le 6 Octobre 1915 :
Voilà le premier jour que je passe dehors dans une tranchée. Ma famille me manque déjà énormément.
Le 23 Novembre 1915 :
Mon cher Damien, Aujourd’hui est le jour de ta naissance. Ta naissance restera le plus beau jour de ma vie. Tu me manques beaucoup. Je me bats pour toi mon fils. Je me bats pour revoir ton visage, pour revoir ton sourire et pour réentendre ton rire. Je t’aime mon fils.
Le 17 Mai 1916 :
La guerre devient de plus en plus dure.
Le 25 Juin 1917 :
Je pleure sans arrêt chaque jour chaque nuit en pensant à toi et ta Mère. Je t’ai abandonné pour tuer. Tuer des personnes dans le même état que moi. Toi tu grandis mais je ne le vois pas.
Le 10 Janvier 1917 :
Je t’aime mon fils. Je pense à toi chaque minute tu me donnes la force de me battre. Toi tu m’as surement oublié.
Le 11 Novembre 1918 :
La guerre est finie !!Nous sommes libres. Je rentre à la maison Damien. J’arrive, attend moi.’’

Je refermai le carnet, ces quelques extraits me firent monter les larmes aux yeux. Alors comme ça, papa avait pensé à moi ? Je m’en voulais car moi je n’avais pas pensé une seconde à lui durant tout ce temps. Je m’en voulais de lui en avoir voulu. Je repoussais la couverture qui me tenait au chaud durant cette période de rude hiver.

Je pénétrai dans le salon. Mes deux parents étaient assis sur le canapé. J’ai couru et ai pris papa dans mes bras. Une sensation étrange s’est emparée de moi, une sensation que je connaissais déjà mais qui me paraissait lointaine. Je relevai la tête et regardai mon père dans les yeux :

— Je t’aime, papa.

— Je t’aime aussi, mon fils.

Ma mère m’a attrapé par le dessous des bras pour venir m’installer entre eux deux. Tous les deux me regardaient avec une attitude inquiète. Avaient-ils découvert que j’avais volé le carnet de papa ?

‘’Damien, écoute, dit maman sur un ton doux et rassurant...

La phrase qu’elle me dit alors, je ne me suis pas souvenu de tous les mots. Je voyais juste ses lèvres bouger. A l’intérieur de moi, tout s’était figé, s’était glacé : mon père était atteint de la tuberculose. Le médecin avait dit qu’il allait pouvoir s’en sortir.

Quelques saisons s’étaient passées. J’étais dehors. Je regardais fixement devant moi. Les larmes me brouillaient la vue. Il faisait froid, le vent soufflait, mes pieds étaient trempés par la pluie. Devant moi, je fixais le nom de mon père inscrit sur une plaque de marbre.

Mon père avait résisté à la guerre, mais il n’était pas revenu seul ; la maladie l’avait emporté.