CHALANDON Sorj

France

20 mars 2024.

Grand reporter de guerre, il a couvert de nombreux conflits au Liban, au Tchad, ou encore en Irak. Également écrivain, il a reçu en 1988 le Prix Albert-Londres pour ses reportages sur le conflit en Irlande du Nord, dont il fait le décor de deux romans en forme de diptyque, Mon Traître (2008, Prix Joseph Kessel) et Retour à Killybegs (2011) (Grand Prix du roman de l’Académie française). Après Enfant de salaud (Grasset, 2021), roman autobiographique dans lequel il raconte la folie de son père, Sorj Chalandon continue d’écrire avec ses tripes : L’enragé (Grasset) compose une fiction historique édifiante sur un bagne pour mineurs à Belle-Île-en-Mer dans les années 30.

 

Ancien grand reporter à Libération spécialisé dans la couverture de conflits armés (Liban, Tchad, Somalie, Iran-Irak, guerre du golfe…), Sorj Chalandon reçoit en 1988 le Prix Albert-Londres pour ses grands reportages sur le conflit en Irlande du Nord. En 2005, il entame sa carrière de romancier : dès l’année suivante il reçoit le Prix Médicis pour son second livre, Une promesse, publié chez Grasset.

Dans Mon traître, en 2008, il s’inspire pour la première fois dans son parcours d’écrivain, de ses trente ans de reportages en terres irlandaises. Plus qu’un simple récit historique, le roman raconte une part douloureuse de la vie de l’auteur : celle d’une amitié brisée. Au cœur de ce livre, la trahison de son ami Denis Donaldson, figure emblématique de l’IRA et traître à la cause nationaliste pendant une vingtaine d’années. Le romancier le rebaptise Tyrone Meehan et exprime un questionnement qui le hante : le traître a-t-il seulement trahi la cause irlandaise ? N’a-t-il pas également trahi leur profonde amitié ? Pouvait-il être à la fois traître à la cause et ami sincère ? Ces interrogations resteront sans réponse, Donaldson ayant été exécuté avant que Chalandon ne puisse lui reparler.
Retour à Killybegs (2011) est l’autre versant de la même histoire : cette fois-ci racontée par Meehan, la « trahison » laisse découvrir la vie gâchée du narrateur, sa confusion, ses doutes. Il relate son enrôlement dans l’IRA et son rôle d’agent double pour les Britanniques. Le roman alterne entre ses derniers jours à Killybegs et ses années au sein de l’organisation séparatiste, revient sur les grèves de la faim des prisonniers irlandais et le processus de paix. Sorj Chalandon tourne ainsi la page irlandaise de son existence et referme la blessure. Après avoir suivi son propre chemin d’homme trahi puis la route de son ami traître, il peut enfin entamer un processus de deuil : « Je n’écrirai plus jamais sur l’Irlande. Jamais. Je n’ai plus envie. »

En 2013, il revient par le biais d’une fiction sur la guerre civile qui a déchiré le Liban dans les années 80 avec Le Quatrième Mur, qui remporte le prix Goncourt des lycéens la même année. C’est l’histoire d’une idée folle : celle de monter la pièce Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth, en pleine guerre civile. Récit fort et poignant, il tire sa beauté de cette recherche d’un instant de grâce, d’un temps suspendu dans le conflit pour que se joue la tragédie qui rassemble notamment des acteurs des camps ennemis.

Si Sorj Chalandon cherche la vérité des faits, des sensations et des décors, c’est avec une extrême précision dans le choix des mots, de la langue et du rythme. Écrire vrai est sa boussole, comme antidote à une enfance dévorée par un père mythomane et violent, le despote de Profession du père (2015).

Dans Le Jour d’avant, publié en 2017, il s’écarte des thèmes autobiographiques pour revenir sur un épisode qui déclencha chez lui une « colère fondatrice » : l’accident de la mine de Liévin, le 27 décembre 1974. 40 ans après, il rend hommage aux 42 mineurs morts ce jour, toujours indigné par les mensonges qui entourèrent leur décès. L’histoire de la famille d’un 43e mineur, qu’il invente pour l’occasion, lui permet de rappeler que cet accident n’était pas dû à la fatalité, mais aux négligences des Charbonnages de France ; que les mineurs ne venaient pas pour se sacrifier, mais pour travailler. Il voulait dire les noms de ces 42 hommes dont « le travail, qui est le lieu de la dignité » est devenu « le lieu de la fosse commune ». Dans son style poignant et direct, il offre aux victimes de la fosse 3B l’hommage national qui leur avait été refusé.

En 2019, avec Une Joie féroce, l’auteur explore les relations unissant quatre femmes atteintes d’un cancer. Sans jamais tomber dans le voyeurisme, c’est avec une écriture à la fois sensible et tumultueuse, qu’il souligne l’urgence de vivre. Un roman solaire qui ne manque pas d’enthousiasme.

Dans son roman Enfant de salaud, finaliste du prix Goncourt, l’auteur entremêle avec subtilité les heures terribles du procès de Klaus Barbie et son enquête personnelle autour de l’histoire de son propre père durant la Seconde Guerre mondiale. De chapitre en chapitre, Chalandon achève le portrait de la figure paternelle, perçue comme menteur et manipulateur compulsif, entamé en 2015, avec Profession du père. Un récit bouleversant qui touche à l’intime et à l’universel avec finesse.

Sorj Chalandon a été le parrain du concours de nouvelles Etonnants Voyageurs 2018, sur le thème « Dire la guerre ».


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

L’enragé

Grasset - 2023

« En 1977, alors que je travaillais à Libération, j’ai lu que le Centre d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer allait être fermé. Ce mot désignait en fait une colonie pénitentiaire pour mineurs. Entre ses hauts murs, où avaient d’abord été détenus des Communards, ont été « rééduqués  » à partir de 1880 les petits voyous des villes, les brigands des campagnes mais aussi des cancres turbulents, des gamins abandonnés et des orphelins. Les plus jeunes avaient 12 ans.
 Le soir du 27 août 1934, cinquante-six gamins se sont révoltés et ont fait le mur. Tandis que les fuyards étaient cernés par la mer, les gendarmes offraient une pièce de vingt francs pour chaque enfant capturé. Alors, les braves gens se sont mis en chasse et ont traqué les fugitifs dans les villages, sur les plages, dans les grottes. Tous ont été capturés.Tous  ? Non  : aux premières lueurs de l’aube, un évadé manquait à l’appel.
 Je me suis glissé dans sa peau et c’est son histoire que je raconte. Celle d’un enfant battu qui me ressemble. La métamorphose d’un fauve né sans amour, d’un enragé, obligé de desserrer les poings pour saisir les mains tendues.  » S.C.

L’Enragé présenté par Sorj Chalandon