À un fil

18 juin 2019.
 

Le froid me piquait la peau, c’était peut-être lui qui me mettait les larmes aux yeux, ou alors c’était le grand soleil, quelque chose de vif et d’éblouissant en tout cas, qui venait chercher quelques larmes au fond de moi, je jure pourtant que j’étais pas triste, vraiment, ce serait trop simple de dire que les larmes ne concernent que les gens tristes, mais le geste que j’ai fait pour essuyer les larmes du revers de ma main glacée, (parce que je ne mets jamais de gants, je crois que j’aime voir mes doigts rougis par le froid, ça fait des mains plus fragiles, plus vivantes), ce geste-là, donc, je m’en souviens, m’a fait du bien, c’était un geste qui avait en lui de la force, un geste qui me donnait à la fois de la rage et du courage, alors j’ai sorti mon téléphone de ma poche et j’ai enfin osé composer le numéro que je connaissais par cœur, depuis un an exactement.
Elle a été longue à répondre, et j’ai eu peur, au début, de raccrocher sans lui donner sa chance (ou plutôt, sans me donner cette chance), j’avais cette impression de lutter avec moi-même alors qu’au fond, je savais que je ne raccrocherai pas, pas cette fois, pas comme tant d’autres fois, et alors que je serrais les dents pour les empêcher de claquer (à cause du froid peut-être, ou d’autre chose), sa voix a résonné à mon oreille.

En entendant cela, je me souviens avoir soupiré, d’autres larmes sont venues glisser le long de ma joue, que j’ai essuyée d’un revers de la main, puis j’ai regardé mon téléphone au bout du quel il n’y avait personne, il n’y avait jamais eu personne, (elle ne répondait jamais aux numéros inconnus) et le répondeur seul m’écoutait, et j’ai pensé que demain peut-être, elle écouterait mon silence au bout du fil, et j’ai pensé que demain peut-être, elle reconnaîtrait mon silence.
J’ai raccroché, j’ai pris mon sac et à ce moment précis, j’ai compris toute l’étendue du mot liberté, je n’ai pas jeté de regard en arrière, pas même pour le symbole (d’ailleurs, je me demande pourquoi, dans les films, les personnages se sentent toujours obligés de regarder par dessus leur épaule), j’ai fixé l’horizon, y ai agrippé mon regard comme pour ne pas tomber, et j’ai laissé derrière moi les murs sombres du centre.