L’Amour c’est plus fort que tout

18 juin 2019.
 

Alors j’ai sorti mon téléphone de ma poche et j’ai enfin osé composer le numéro que je connaissais par cœur, depuis un an exactement.

J’ai tapé, sans hésitation, les dix chiffres qui me faisaient si peur il y a quelques instants. Et j’ai collé mon oreille contre le téléphone avec espoir. Avec espoir et avec peur. Pourquoi avec peur ?
Parce que j’avais peur, peur d’être déçue. Mais personne ne répondit. Personne ! Personne !!!Comme hier, comme avant-hier, Manima ne répondait pas. Manima ! Dans quelle histoire s’était-elle encore fourrée ? Avait-elle libéré un écureuil enfermé dans un zoo, sous prétexte qu’il avait besoin de liberté, comme la dernière fois ? Ou avait-elle emmené l’enfant de sa voisine, qui était très gravement malade, faire le tour de la ville en expliquant à sa mère qu’il avait besoin d’air frais, comme il y a peu ? Oh ! Je ne m’inquiétais pas, Manima partait souvent. Mais elle revenait toujours. Sauf cette fois-là. Cette fois-là, malgré mes cris incessants et mes coups de poing sur sa porte d’entrée, Manima n’était pas venue m’ouvrir. Alors, à partir de ce moment-là, j’avais décidé de l’appeler. De l’appeler tous les jours. Et je le faisais depuis des semaines ! Mais jamais personne ne répondait. Comme tous les jours, j’essayais de résister à l’envie de revenir devant la maison de Manima, de fracasser sa porte et d’entrer chez elle en criant son nom. J’ai essayé de résister, mais, en vain. Mon envie était trop forte. Comme il était encore très tôt, la directrice de l’orphelinat ne remarquerait pas ma disparition soudaine. J’ai donc couru jusqu’à la somptueuse maison de Manima qui, avec sa couleur bleue et ses deux étages, me rappelait tant de beaux souvenirs. J’ai franchi le portail noir d’un pas rapide et je suis arrivée devant la grande maison. Et d’un coup de pieds décidé, j’ai essayé de faire glisser de ses gonds la porte de Manima. Elle a résisté. Je lui ai donc flanqué un coup de pied si puissant que j’étais sûre de la faire tomber. Elle est tombée. Et j’ai eu le souffle coupé. Pas à cause de la malheureuse porte, mais à cause de ce qu’il y avait devant mes yeux. Le hall d’entrée de Manima était recouvert d’une fine couche de poussière blanche comme neige. J’ai couru partout dans la belle demeure ce matin-là. Mais partout, tout était recouvert de blanc. Recouvert de poussière. Manima n’était jamais partie aussi longtemps. Jamais. Elle n’aurait jamais laissé sa maison aussi poussiéreuse. Quand elle partait, longtemps, assez longtemps pour que lorsqu’elle rentre sa maison soit blanche, elle embauchait une femme de ménage. Car Manima était riche. Mais pour moi, elle était surtout riche en bonheur. J’ai pris un cadre posé sur le comptoir et je l’ai regardé. On voyait dessus une vieille dame aux yeux pétillants, aux longues tresses blanches, au visage fripé et aux lèvres souriantes. A côté d’elle se tenait une jeune fille à la peau sombre, aux yeux marron étincelants, aux cheveux noirs de jais attachés en chignon et au beau sourire. Elle semblait avoir douze ans. Juste en-dessous, avec de fines lettres entrelacées et couleur d’or était inscrit le prénom Meggie. Je pense au jour où j’avais pris cette photographie avec Manima. Une larme est tombée sur le cadre. Je pleurais. Penser aux moments géniaux passés avec celle que je ne reverrais peut-être jamais me faisait mal. J’ai alors pris une décision. J’allais partir à la recherche de Manima. J’ai cherché partout dans la ville ce jour-là. Et quand je suis rentrée à l’orphelinat, je n’avais toujours aucune nouvelle de Manima. J’étais désespérée. Et soudain, j’ai pensé à la sirène de l’ambulance que j’avais entendue au début de la semaine. « Manima !!! » j’ai pensé. J’ai couru de toutes mes forces jusqu’à la sortie de l’orphelinat.
Puis j’ai continué ma route jusqu’à l’hôpital. J’entendais les cris de la directrice de l’établissement où je vivais. Elle me menaçait de me priver de dessert jusqu’à la fin de mes jours si je ne revenais pas tout de suite. Je m’en fichais, tout cela ne me concernait plus. Je ne pensais qu’à Manima. Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, il faisait presque nuit. J’ai demandé à une infirmière où était Manima Flotchard. Elle m’a accompagnée jusqu’à la chambre où la vieille dame dormait. Dès que je l’ai vue, je me suis figée. Mon cœur a arrêté de battre. « J’avais raison », j’ai murmuré. Je me suis approchée de Manima, tout doucement et j’ai mis ma main sur son front brûlant de fièvre. Toujours doucement, je l’ai appelée. Alors, elle s’est réveillée et m’a regardée intensément. « Meggie… » fut le seul mot qu’elle put prononcer. « Ça va ? », j’ai demandé. Elle a hoché la tête tout doucement, mais je savais qu’elle allait mal, elle ne pouvait rien me cacher, je lisais ses émotions sur son visage comme sur un livre ouvert. J’avais envie de pleurer, mais je me retenais pour ne pas qu’elle soit triste par ma faute. Que je l’aimais ! C’est souvent lorsque nos proches sont en difficulté, que l’on se rend compte combien on les aime. Discrètement, je me suis éloignée de Manima. L’infirmière qui m’avait accompagnée et le docteur qui s’occupait de Manima discutaient entre eux. J’ai tendu l’oreille.
« Cette vieille femme ne va peut-être pas survivre, disait le docteur.
J’ai senti les larmes me monter aux yeux.