IHIMAERA Witi

Nouvelle Zélande

4 avril 2024.

Premier romancier maori à être édité, aujourd’hui reconnu comme un auteur majeur des littératures postcoloniale et autochtone, Witi Ihimaera a publié douze romans, six recueils de nouvelles, écrit pour le théâtre et pour le cinéma, coproduit des films et documentaires, édité plusieurs livres sur les cultures de Nouvelle-Zélande et enseigné à l’université d’Auckland. Il a reçu de nombreux prix prestigieux, et a notamment été sacré Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par la France en 2017. Avec Bravoures (Au vent des îles, 2024), il aborde le sujet tabou et sensible de l’homosexualité à l’intérieur de la communauté maorie dans un texte fort et intime qui mêle avec brio humour et amour, passé et présent.

 

Bibliographie


Entretien exclusif pour Etonnants Voyageurs avec Witi Ihimaera, mené par sa traductrice Mireille Vignol

Witi Ihimaera :
Tena koutou nga iwi o Saint-Malo, bonjour aux gens de Saint-Malo !
Depuis toujours, le peuple maori de Nouvelle-Zélande attache de l’importance au hui, ou "rassemblement". C’est un endroit propice au korero, "bonnes discussions", et Etonnants Voyageurs jouit d’une excellente réputation pour ses conversations stimulantes et passionnantes !
En dépit de l’annulation du festival en 2020, je suis sûr qu’il renaîtra encore plus fort et pertinent. Comment pourrait-il en être autrement ? Le virus du Covid nous a fait prendre conscience de notre humanité, et il a magnifié tous les problèmes du monde. En tant que pays, nous avons tous été confrontés à des circonstances déconcertantes, souvent tragiques. Qu’avons-nous appris des répercussions ? Quel monde allons-nous refaçonner ?
De grandes questions s’annoncent et Saint-Malo sera un endroit idéal pour les aborder.

Extrait :
Il faisait un froid inhabituel pour la saison en cet automne 1935, lorsque Paraiti commença à préparer son voyage. Le vent du sud s’engouffrait dans les contreforts de Waituhi où elle vivait désormais dans sa kauta, une cabane de deux pièces près de la maison commune.
Qu’importait le temps glacial, Paraiti était décidée à entreprendre son itinérance saisonnière selon le calendrier maori — et le Nouvel An maori, Matariki, était
imminent. Sans compter qu’elle tournait comme un lion en cage — elle sentait l’appel de la route.
Après tout, ses patients l’attendaient. Dans sa réserve de médicaments, elle sélectionna avec soin les petites fioles ou boîtes d’onguents, philtres et lotions dont elle pensait avoir besoin dans les différents dispensaires de village ; elle les enveloppa séparément pour éviter qu’elles s’entrechoquent à l’intérieur des
sacoches. La plupart de ses remèdes seraient toutefois fraîchement cueillis dans des lieux secrets de la forêt et de la côte. […]
Paraiti avait une petite tente et un couchage. Pour assurer sa protection, elle portait un fusil en bandoulière et un couteau dans sa botte gauche. Elle n’avait guère de charme, mais elle n’en était pas moins femme, et les hommes sont ce qu’ils sont.

Je pense que l’on peut dire que nous pratiquons une pensée autochtone et cherchons à réintroduire des stratégies naturelles basées sur la sagesse ancestrale de notre peuple. La Balafrée serait très fière de voir que les hors-la-loi sont enfin reconnus !

Extrait :
- Il va te falloir du courage, Ihaka. Ce que je vais faire sera douloureux et mes plantes médicinales ne seront d’aucune aide.
Il plaça ses mains en coupe autour de son sexe ; sa pudeur toucha Paraiti et lorsqu’elle entreprit ses manipulations de rebouteuse, elle ne put réprimer la bouffée de désir — en était-ce vraiment ? — qui la traversa discrètement. Qui aurait pu rester de marbre face à une telle beauté ? Il se mit à geindre ; la sueur perlait sur son front. « Reprenez votre place ! » ordonna Paraiti en appliquant des plantes médicinales et en massant les os et les muscles sous la peau. Pendant toute l’épreuve, Ihaka fit de son mieux pour ne pas hurler, mais quand Paraiti commença à pousser, rassembler et manipuler en s’écriant « Revenez ! Je vous
dis de reprendre votre place ! », il laissa échapper un hurlement d’agonie, faillit briser le bout de bois dans sa bouche et perdit connaissance.
– C’est mieux comme ça, assura Paraiti à ses amis, pâles comme des linges.
Toute la nuit, Paraiti et Peti s’escrimèrent sur la jambe d’Ihaka en approfondissant les massages. Paraiti palpait les os — il y avait trois fractures en fin de compte —, évaluant le moment où elle devait forcer pour les souder et
les remettre en place. Elles travaillèrent inlassablement, avec une patience inouïe.
– Non, ne t’arrête pas, disait Paraiti à son assistante quand elle montrait des signes de fatigue. Au bout du compte, elle fut satisfaite.
– Prépare l’aiguille et le fil, lui demanda-t-elle.
En suturant la peau, Paraiti plaça également des attelles en bois de palmier et banda la jambe de feuilles de kahakaha. Elle entonna un chant pour son aiguille, lui demanda de coudre avec tendresse et délicatesse pour ne pas balafrer les cuisses musclées d’Ihaka.
« Puisse son épouse le regarder sans voir ton chemin », chanta-t-elle.
C’était une chance qu’Ihaka soit un homme aussi robuste de corps, d’esprit et de coeur. Paraiti déversa toute la force de son ahora, son amour, sur lui. Jamais elle n’avait connu d’homme, aucun, et elle le soigna comme l’amant qu’elle aurait peut-être eu si elle avait été jolie.


Romans de Witi Ihimaera traduits en français par Mireille Vignol et publiés par Au vent des îles :
Faux-semblant, 2020
La Femme de Parikaha, 2014
Le Patriarche, 2020 (réédition de Bulibasha, Roi des Gitans, publié en 2008)
Pour la jeunesse, traduit par Yan Peirsegaele :
Kahu, fille des baleines, 2009 (adaptation de The Whale Rider)

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Bravoures

Au Vent des Iles - 2024

Dans ce texte fort, Witi Ihimaera aborde le sujet tabou et sensible de l’homosexualité à l’intérieur de la communauté maorie. Un auteur qui, clairement, fait exploser les clichés d’une identité maorie figée.

Nouvelle-Zélande, années 2000. Michael, un jeune et brillant Maori, décide de faire son coming out à l’occasion du mariage de sa soeur. Si les conséquences immédiates sont désastreuses au niveau familial, elles permettent toutefois de révéler l’existence de Sam, un oncle dont Michael n’avait jamais entendu parler. Dans son journal intime, il découvre l’histoire passionnelle que son aïeul, soldat pendant la guerre du Vietnam, avait vécue avec Cliff, un pilote américain. Le courage de Sam et les souvenirs des principaux témoins, qu’il va rechercher avec obstination, poussent Michael à des actes de bravoure dans sa propre vie. Witi Ihimaera montre avec panache, humour et amour que le courage n’est pas le monopole des actes de guerre.

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Mireille Vignol