2001 - Les Empires du froid

9 mars 2020.
 

Saint-Malo 2001, les empires du froid

Qui n’a jamais rêvé aux mondes du Nord ? Les empires du froid, traversés par les errances fiévreuses des grands explorateurs, les chasses immenses des Esquimaux, l’épopée viking, mais aussi l’extraordinaire aventure des villes hanséatiques, faisant des mers du Nord une autre Méditerranée, et puis les splendeurs des Eddas, des sagas, nos rêveries, enfants, à la découverte des mondes de Curwood et de London, ou, voyageurs, aux côtés de Nils Holgerson et puis la découverte, plus tard, de continents littéraires à nuls autres pareils, ce sentiment obstiné que, des sagas islandaises à la matière de Bretagne, des toundras sibériennes au wilderness américain, des pierres runiques aux espaces silencieux de Friedrich, des poèmes d’Ekelöf aux romans de Hamsun se déployait, par-delà les frontières linguistiques, un « autre espace  », tout autant forgé par la géographie (et même la géologie !) que par l’histoire : infinies résonances, en nous, de ce seul mot de « Nord »...

Étonnants, en vérité, furent ces voyageurs qui affrontèrent les effrois de la glace et des ténèbres, étonnants, les écrivains qui s’efforcèrent de restituer cette expérience radicale du Dehors – quand bien même les littératures du Nord ne s’y réduisent pas… Ce fut notre projet en ce printemps 2001, la tête pleine encore d’images du festival de Bamako, des rencontres européennes à Sarajevo, d’une escale joyeuse à Dublin (au moins, soupirait l’équipe, presque incrédule, nous avons voyagé) : déployer toutes les facettes de l’imaginaire du Nord – aussi bien celui des grands illustrateurs de livres d’enfants que furent Arthur Rackham et Edmond Dulac (mais le royaume d’enfance n’est-il pas aussi celui, mystérieux, de la neige ?) que celui de Tolkien, à travers une exposition de quarante tableaux de John Howe venu tout exprès, qui avait conçu tout le monde d’images des films de Peter Jackson – et le confronter aux littératures nordiques d’aujourd’hui, si riches et diverses.

Un voyage, en somme, dans un continent encore largement à découvrir. Accompagné par un numéro de la revue Gulliver, en Librio, « Monde blanc », riche de textes donnés par Jørn Riel, Trevor Ferguson, Omruvié, Nicolas Vanier, l’écrivain lapon Ailo Gaup, G.J. Arnaud, l’auteur de la Compagnie des glaces.

Une superbe exposition : Sur la piste de Big Foot de Guy Le Querrec, illustrée de textes de Jim Harrison : pendant l’hiver 1990, cent ans après le massacre de Wounded Knee où l’armée américaine assassina le chef sioux Big Foot et les siens, les cavaliers Lakota partent sur les traces de leurs ancêtres...

Originaires des pays scandinaves, de l’Amérique du Nord, des territoires du Groenland ou des steppes asiatiques, raconteurs de territoires explorés ou imaginés, documentaristes rêvant de la grande aventure du pôle, alpinistes et explorateurs en tout genre, ce fut pendant trois jours un prodigieux brassage de voix, d’histoires prodigieuses, d’expériences vécues. Avec des images très fortes du colosse de l’Alaska Elwood Reid, l’auteur de Ce que savent les saumons, de Jørn Riel le Danois, l’inénarrable auteur des « racontars arctiques », écrits au départ pour adoucir les nuits du Groenland à partir d’anecdotes un peu folles mettant en scène ses compagnons, de Bjørn Larsson, prix Médicis pour Le Capitaine et ses rêves distillant la magie des histoires répétées par les marins, d’escale en escale, de Herbjørg Wassmo, la Norvégienne aux romans vibrant des lumières du caillou perdu où elle vit, du côté du cercle polaire, du flamboyant Per Olov Enquist, bien sûr, de Trevor Ferguson, le romancier du wilderness, de l’écrivain lapon Alio Gaup, du Tchouktche Ivan Omruvié en écho au film superbe de Frédéric Tonnoli sur le peuple d’éleveurs de rennes (La Brigade du bout du monde). À quoi s’ajoutaient deux expositions mémorables, Peuples de Sibérie de Claudine Doury et Sur la piste de Big Foot de Guy Le Querrec, des textes de Jim Harrison : pendant l’hiver 1990, cent ans après le massacre de Wounded Knee où l’armée américaine assassina le chef sioux Big Foot et les siens, les cavaliers Lakota partent sur les traces de leurs ancêtres…

Tous, ils firent bon accueil aux écrivains-voyageurs venus de tous les horizons, auteurs de romans noirs et romanciers tout court, à commencer par Nick Tosches, James Welch, T.C. Boyle, Scott Momaday, William Kittredge, Thomas Sanchez, Georgui Vaïner, Ryszard Kapuściński, qui entreprirent aussitôt de se réchauffer en leur compagnie dans les salles bondées du festival, et, il faut bien l’avouer, dans certains bars de la vieille ville, où prolonger fort tard, la conversation…