Mes haltes, Souvenirs de Kébir Ammi à Étonnants Voyageurs

22 avril 2020.
 

Je contracte, à quatorze ans, un mal exquis dont je n’ai jamais cherché à guérir. Je suis tombé sur un livre, L’Île au trésor, qui est devenu ma bible, et je passe tout mon temps à lire. Quatre ans plus tard, je suis sur les pas d’un « étonnant voyageur » : je tiens mon bac sous le bras, comme un brevet de sauvetage, je veux savoir où cet homme a vécu et comment il a écrit… L’Île au trésor !

Je suis à Saint-Malo ensuite, pour rejoindre une grande tribu, qui y a jeté l’ancre. Je suis là pour parler de… mon œuvre, avec Maëtte, une fine lectrice, qui voit tout et ne laisse rien lui filer, pas une syllabe, quand elle se met en position de cuisiner un auteur.

Février  2012, je suis à Port-de-Paix, au bout du bout d’un pays nommé Haïti. La rencontre ne devait durer que deux heures, mais elle s’est poursuivie, jusqu’à des heures prétendument indues, autour d’une table où nous étions les plus heureux des hommes. Nous avons refait le monde, nous avons parlé de littérature, et pas seulement des Caraïbes, mais d’une terre qui semblait soudain exotique, vue de là, ce Maghreb que j’emporte, où que j’aille, dans mes semelles de vent. Je n’étais pourtant porte-parole que de mes seuls rêves et désirs. Mais qu’importe ! Ces hommes et ces femmes, venus à ma rencontre, ne se souciaient que d’être à l’écoute d’un frère et de lui faire le meilleur accueil. C’est cela, cette écoute précise, qui m’a fait dire, en bien des lieux, qu’on ne sort pas indemne d’un voyage en Haïti.

Une autre halte continuera de compter pour moi. Celle qu’en mars  2014, les Étonnants Voyageurs ont faite à Rabat, cette ville où un enfant a vu la mer pour la première fois, il avait quatorze ans, il venait tout juste de lire… L’Île au trésor ! Ville de corsaires et de vent. De ciels impétueux. De rêves impatients. Ville que rien n’arrête, ni les violentes promesses de l’océan ni l’horizon. Ai-je besoin de dire qu’un lien indéfectible me lie à cette ville que j’ai transformée en théâtre pour y faire se dérouler bien des épisodes de mes romans ?

Michel m’a demandé d’organiser un hommage aux grandes voix disparues de la littérature marocaine. Je l’ai fait avec une crainte mêlée d’émotion.
Jamais encore ces auteurs majeurs n’avaient été réunis de la sorte ! Je me suis entouré de plumes solides, qui sont aussi des amis : Blas de Roblès, Haddad, Bey, Belaskri, Laabi, Daoud, Delmaire, Fellous… Des voix, par-delà l’absence, se sont dressées dans l’auditorium de la splendide Bibliothèque nationale : Choukry, Chraïbi, Leftah, El Maleh, Khair-Eddine, Bouanani, Khatibi, Zafzaf… étaient avec nous.

Plongée au fond de soi, cet hommage a été l’exploration d’une lointaine mémoire : j’ai retrouvé, pêle-mêle, dans le désordre des sens, des voix qui m’avaient tenu la main, il y a longtemps, quand j’avais commencé à lire.