Voyage à Saint-Malo, souvenir de James Welch

13 mai 2020.
 

Voyage à Saint-Malo

Je suis venu au monde nettement trop tard pour être un véritable aventurier en Amérique. Quand je suis né, en 1940, le far west avait déjà été « colonisé ». Des familles venues d’Europe exploitaient les terres dans les plaines où les Indiens d’Amérique avaient jadis chassé le bison et mené cette existence libre et nomade dont les écrivains d’Amérique et d’Europe nous ont fait la chronique. Les aventures de ma jeunesse, dans la réserve indienne du Montana où l’on avait réuni les Blackfeet, ressemblaient à celles de tous les gamins indiens dans l’ouest des États-Unis - des journées passées à chasser et pêcher, à monter à cheval, à aller à l’école, à jouer au basket. À l’inverse des Européens ou des Américains de l’est du pays, nous ne partions pas pour les contrées lointaines - nous étions chez nous au pays de nos ancêtres.
Dans un premier temps, la littérature - particulièrement les éditions bon marché éprises de sensationnel - n’a proposé aux lecteurs que deux sortes d’Indiens : le sauvage assoiffé de sang ou le noble sauvage. La « diabolisation » des Indiens a eu lieu surtout à l’époque où l’on colonisait l’Ouest et où les guerres contre les diverses tribus battaient leur plein : les récits de l’époque fourmillaient de tueries, de tortures, de villages ou de ranches incendiés, de viols, de femmes et d’enfants blancs emmenés en esclavage. On n’a commencé à présenter les Indiens sous un jour romantique qu’après la fin de ces conflits, une fois qu’on les a eu soigneusement cadenassés dans des réserves, privés de leur mode de vie naturel et, partant, de leur souveraineté. Ce n’est qu’alors que la littérature américaine s’est mise en devoir de faire de l’Indien un personnage héroïque et un véritable mythe.
Ni l’une ni l’autre de ces images n’étaient fidèles et elles n’avaient, de ce fait, aucune valeur pour les lecteurs sérieux qui souhaitaient connaître la vérité sur cette race indigène. Il a fallu attendre que les Indiens eux-mêmes commencent à écrire sur leur peuple, dans les années 1960 et 1970, pour voir enfin paraître un portrait authentique. Les Indiens n’étaient ni des sauvages assoiffés de sang ni de nobles sauvages - ils étaient des gens comme les autres. Ils étaient des membres de la famille, grands-pères et grand-mères, oncles et tantes, pères et mères, frères et sœurs, ils étaient des chefs et leurs guerriers, défenseurs de la tradition ou épris de modernisme. Ils étaient des individus vivant au sein de tribus distinctes ou bien des Indiens des villes, s’efforçant de subsister loin de leur terre natale. Ils étaient, par-dessus tout, des hommes du XXe siècle.
Au cours des trente dernières années, les Indiens ont écrit une infinité de romans, nouvelles, poèmes, articles et souvenirs. Ils possèdent de fortes attaches familiales et tribales grâce auxquelles ils sont mieux qualifiés que quiconque pour écrire les histoires de leur peuple - sans déformer la vérité, sans la diaboliser, ni l’idéaliser. Au fil des mots, on voit se dessiner l’Indien tel qu’en lui-même, aussi simple et aussi complexe, aussi humain que tous les autres habitants de la terre.
On reconnaît désormais que les écrits des Indiens d’Amérique font partie du canon de la littérature américaine. Les cours spécialisés dans cette branche relativement récente de la littérature sont très cotés dans les universités américaines. Les étudiants choisissent de consacrer leur sujet de maîtrise ou leur thèse de doctorat à des écrivains particuliers - N. Scott Momaday, Leslie Silko, James Welch, Louise Erdrich ou Sherman Alexie, pour n’en citer que quelques-uns - ou bien à des zones bien précises de la littérature indienne.
Grâce à quelques maisons d’édition françaises, notamment Albin Michel, cette littérature vient désormais distraire et éclairer le public français. Et grâce au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo, nombre de ces auteurs indiens sont présentés en personne aux écrivains et lecteurs de votre grand pays. J’ai trouvé très stimulant de participer à ces échanges depuis quelques années. D’une certain façon, mon « aventure » à moi, c’est de venir en France et à Saint-Malo. Je suis sûr que mes collègues indiens partagent cette opinion. Puisse ce festival exister pendant dix ans encore et puis à tout jamais.

James Welch
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Vierne