Jeune combattant

2 juillet 2020.
 

Il se met à courir.
« Par ici Junid »
La voix était douce presque chantante. Junid crut déceler de la fragilité dans cette voix d’enfant. Il fit volte-face, fort étonné et, de parts et d’autres, rien qu’une étendue de sable. La chaleur donnait l’impression que la ligne d’horizon était ondulée par des vaguelettes transparentes. La fatigue provoqua des points sombres sur la vision du garçon. Et puis, au fur et à mesure qu’il marchait, la soif eut raison de lui : ses jambes vacillèrent et cédèrent. Junid s’écroula et sombra dans les abysses d’un sommeil, celui d’un humain mourant.
Les paupières de l’adolescent s’ouvrirent sur un monde entièrement plongé dans la pénombre. Il prit du temps à comprendre qu’un morceau de tissu humide lui recouvrait le front et les yeux. Il voulait le retirer curieux de voir où en était-il arrivé. Mais son bras de bougeait plus. Son membre s’était changé en une entité vidée d’énergie et de force. Le corps de Junid ne semblait être dorénavant plus que de chair et d’os. Alors, il songea : peut-être était-il mort ? C’était fort probable après tout ce qui lui était arrivé. Était-ce le paradis ? Ah ça non, peut-être était-ce l’Enfer !
Alors, quelqu’un lui retira son linge : il faisait nuit et les dunes étaient endormies au clair de lune.
« Par-là Junid »
Le garçon se redressa et se retrouva face à un petit bonhomme d’une dizaine d’années qui le fixait. Ses cheveux désordonnés étaient blonds et retombaient sur son visage d’ange. Il était vêtu d’une chemise verte aux boutons dorés. Il murmura :
« Quel âge as-tu ? »
Junid eut l’air hébété. Il eut beau chercher profondément dans son esprit, il était incapable de se le rappeler. Sa propre existence lui paraissait bien trop lointaine dans son esprit. Le souvenir d’une autre époque, d’une autre ère. Constatant son désarroi, le petit bonhomme dit :
« Vous les humains, je ne vous comprendrai jamais ! »
Un vieillard retiré dans la pénombre, que Junid n’avait pas remarqué, préparait le thé sur des braises incandescentes.
Junid se souvenait maintenant comment il avait atterri autour de ce feu, en plein désert. Il posa la question qui lui brûlait les lèvres :
« -Comment tout ce sable est-il arrivé là ? Comment a-t-il pu recouvrir mon village ? Pourquoi tout le monde m’a-t-il ainsi abandonné ?
L’homme au coin du feu répondit :

Un jour, une vieillarde vint se présenter aux portes de la cité. Ce qui était étonnant puisque plus personne n’y pénétrait depuis plusieurs mois déjà. Junayd attendait sur son trône, comme il le faisait toute la journée désormais.
La vieille femme échinée s’approcha de lui et avant qu’elle ne puisse prendre la parole, le roi hurla : « Dégagez, je n’ai pas besoin de vous, je vous ordonne de partir ! »
La femme s’approcha encore, une larme perla sur son visage froissé. Elle posa sa paume sur la joue du roi et murmura :
« Mais qu’es-tu devenu Junayd ? »
De quoi parlait-elle ? L’éclair se produisit dans sa tête. Inaya ! Sa mère ! La femme qui se tenait devant lui était sa mère ! Elle était venue jusqu’à lui malgré son vieil âge et il l’avait rejeté plein de condescendance et de dédain. Alors il se jeta à ses pieds, il la supplia de lui pardonner tout ce qu’il s’était produit depuis sa fuite. Il avait oublié à quel point il l’aimait, à quel point la cicatrice provoquée par ce manque était vive. Il leva les yeux, la femme ne bougeait plus. Elle était comme foudroyée. Elle s’effondra, ses jambes s’étaient dérobées sous le poids de la fatigue et du chagrin. Elle était morte.
La tristesse de cet épisode et la décadence de la cité avaient conduit le roi sur son lit de mort. Sa femme, agenouillée à son chevet le regardait s’éteindre lentement. Alors il souffla avec difficulté en guise de derniers mots :
« Je me suis enfui de chez moi, car je refusais d’entendre les paroles de ma mère. Mais elle avait compris le détournement de l’homme vis-à-vis de son environnement et que cela le conduirait à sa perte. Voilà ce qui est arrivé à la cité, j’ai été incapable de me satisfaire de tout ce que j’avais. Je possédais tout, et mon insatisfaction m’a perdu. Je regrette ces monstres aux dents acérées. Je regrette ces arbres au bois d’ébène. Je regrette ces montagnes de marbre…
Je souhaite que notre fils soit emporté loin, au deçà du lac aux montres tués, au deçà de la forêt aux arbres rasés et des montagnes trouées. Plus tard, quelqu’un lui contera d’où il vient et j’espère que lui, pourra sauver l’humanité de la dérive où je l’ai entrainé… »
Junid était très ému, mais il ne comprenait pourquoi l’homme lui avait raconté tout cela, que pouvait-il faire ? Le vieillard ajouta :
« Junayd n’avait pas compris une chose. Son action aurait des conséquences planétaires. La terre, l’air, le feu et l’eau ont à ce moment-là perdu foi en l’humanité, et lui ont tourné le dos. Ils n’avaient plus le désir de coexister. La fierté humaine peut bien les mépriser, sans eux l’humain n’est rien. Junid tu es le fils de Junayd, tu portes son nom, tu dois nous sauver et renouer la connexion passée… »

« -Coupé ! Ah super ! La dernière scène est super bien. On sera dans les temps avant la sortie. »
Le producteur fait un clin d’œil au scénariste :
« -Ces écolos à deux balles ne pourront plus dire que Disney se fout de l’environnement ! »