Fitahiana

2 juillet 2020.
 

Il se met à courir. Les traces de pas s’étendent à perte de vue. Junid est épuisé mais la peur l’empêche de s’arrêter. La brise froide du matin ne parvient toujours pas à ses oreilles. Même les battements de son cœur se sont tus. Soudain, Junid s’arrête, les traces de pas ont disparu. Ne s’étend plus devant lui que de l’herbe, des palmiers et à l’horizon, la mer. Il est seul au monde. La panique le gagne, tout ceci ne peut être vrai. Junid se frappe le visage, il veut se réveiller. Ses coups lui font mal, il comprend que ce n’est pas un cauchemar. Et il pleure à chaudes larmes quand il lui semble entendre un bruit, un murmure flou.
« Disparaître dans le néant comme le reste de mes enfants »
Junid regarde autour de lui mais ne voit personne. Il appelle désespérément mais aucun son ne sort de sa bouche. Il crie encore plus fort. Peut-être son imagination lui joue-t-elle des tours ? Est-il déjà en train de devenir fou ? Cette phrase continue de résonner dans sa tête comme une prophétie. Une prophétie, et si c’était ça ?
« À la Vallée du Rift tu iras, la renaissance sera »
Quelle est encore cette folie, la vallée du Rift, le berceau de l’humanité ? Junid décide malgré tout d’y aller, il n’a plus rien à perdre, rester sur son île ne fera que le rendre encore plus fou. Il emporte le planisphère accroché à sa hutte et rejoint un des bateaux de l’île. Il sait que la route sera longue et semée d’embûches. Il attrape un sac et met toutes les provisions qu’il peut trouver. Le lendemain, il prend la mer.
La traversée dure 10 jours, les vagues sont douces, le temps clément. Junid accoste en Somalie, il doit encore rejoindre l’Ethiopie. Comme sur son île, les bruits, la vie ont disparu. Junid commence sa marche à travers le désert. Il doit faire attention à ne pas manquer d’eau. Le soleil est pesant et lourd.
Mais la catastrophe est arrivée, Junid n’a presque plus d’eau, il ne survivra pas. Soudain, au loin, il croit voir un point. Est-ce une oasis ou un mirage ? Junid décide de s’approcher. Le mirage semble s’éloigner au fur et à mesure qu’il essaie de le rejoindre. Cette fois c’est sûr, il va mourir dans le désert. Junid s’effondre d’épuisement, roulé en boule en plein soleil. Soudain, il sent que sa main devient humide. La pluie, enfin !
Junid tourne machinalement la tête et voit un petit animal qui lui lèche la main. Il sourit, plein d’espoir, il n’est plus seul. L’animal le pousse du bout de son museau comme pour l’encourager à se relever. Rassemblant tout son courage, Junid se relève et le suit. Il reconnaît un renard à oreilles de chauve-souris, son grand père le lui avait appris dans un livre. A ce souvenir, les larmes coulent sur ses joues, elles ont un goût salé. Il l’appellera Fitahiana du nom de son grand père qu’il ne reverra jamais, la bénédiction.
Fitahiana sait où il va et après une heure, Junid aperçoit une oasis. Ce n’est pas un mirage mais un miracle. Junid boit encore et encore et pour la première fois depuis longtemps, il rit. Aucun son ne sort de sa bouche et cela le fait encore plus rire. Ils reprennent la route dès le lendemain après avoir rempli ses gourdes d’eau.
Le reste du voyage se déroule sans embûches, Fitahiana connaissant parfaitement le désert. Peu à peu, la végétation change et se colore de vert. Junid sait que quelque chose a changé, il le sent au plus profond de lui mais il ne sait pas dire quoi. Les jappements de Fitahiana l’empêchent de se concentrer.
« Chut Fitahiana, je réfléchis ! »
Le bruit ! Le bruit est revenu ! Junid éclate de rire et cette fois son rire se répercute dans toute la vallée. Junid sait qu’il est arrivé. Quel bonheur d’entendre à nouveau la brise faire frémir les feuilles de ces arbres inconnus et le ruissellement de l’eau sur les rochers. Junid se pose un instant, il ne sait toujours pas ce qu’il fait là. Pendant son périple, il avait eu le temps de réfléchir aux prophéties mystérieuses. Il en était maintenant certain, la voix n’était autre que celle de Gaïa, la déesse Terre. Gaïa avait décidé d’exterminer l’humanité mais pas lui ni Fitahiana. Est-ce une erreur, sont-ils bénis ou punis ? Junid ne sait pas.
« Eh, toi là-bas, oui, toi ! Comment t’appelles-tu ? »
Junid n’en croit pas ses oreilles, une voix humaine !!!! Junid explose de nouveau de rire.
« T’es fou ou quoi ? T’as trop pris le soleil ? Moi c’est Samson, j’arrive du Kenya avec un vélo que j’ai bricolé. T’as fait comment toi ?
• Moi c’est Junid, de Madagascar. J’ai pris un des bateaux de mon île et puis j’ai marché. Fitahiana m’a guidé.
• Alors à toi aussi, elle t’a attribué un animal. Moi, elle m’a donné un singe vert, super sympa mais infernal ! Il s’appelle Baraka.
• Eh Sun, qu’est-ce que tu fais ? Ton fichu Baraka est en train de bouffer toutes nos provisions. Oh, bonjour. Un petit nouveau, espérons que ton animal sait se tenir ! Moi c’est Lana, je viens de New York, je suis une clocharde et fière de l’être. Pour info, elle m’a refilé un vieux clébard, mamie Gaïa. Et son petit nom c’est Blessing.
• Fais pas attention Junid, elle ne sait pas choisir ses mots mais elle est très sympa.
• Pardon ! Comment ça je sais pas choisir mes mots, espèce de binoclard à roulette.
• Holà, holà, on m’explique ? s’inquiète Junid.
• Salut, Akio et je te présente Megumi, c’est une sorte de chat léopard. Elle m’a aidé durant mon voyage et elle est vraiment adorable. Moi, je terminais mes études à Tokyo quand c’est arrivé. J’avais déjà trouvé un travail d’ingénieur dans une usine nucléaire. Et puis plus rien, plus un bruit, plus personne. Tu n’imagines même pas la peur que j’ai eue, 9 millions d’habitants qui disparaissent d’un coup. Puis la prophétie mais je suppose que tu es déjà au courant comme tous les autres.
• Tous les autres ? On est combien au juste ?
• Six, répond une nouvelle voix. Moi c’est Sienna, étudiante en philosophie en Australie. Je suis arrivée il y a 5 jours avec mon dingo Noun. Et dis donc, t’en a mis du temps pour venir de Madagascar !
• Et moi c’est Evy, je suis encore au lycée et je suis une militante écologiste féroce. Je suis accompagnée d’un glouton, Välsignelse, faites attention à vos provisions, enfin, ça peut pas être pire que le singe ! Fallait s’attendre à une catastrophe de ce genre. Avec la pollution, le réchauffement climatique, l’industrie, la déforestation, à toujours vouloir trop développer, nous allions tuer Gaïa un jour ou l’autre.
• Elle a sans doute voulu nous laisser une dernière chance et elle s’est sauvée d’une mort certaine. C’est un peu difficile à avaler mais elle n’avait sans doute plus le choix, rajoute Sienna.
• Holà, holà, moi j’étais bien sur mon île de pêcheurs, je lui ai jamais rien fait à Gaïa, intervient Junid.
• C’est ce que tu penses et ce qu’on pense tous, réplique Lana. Moi j’étais au top du recyclage à manger dans les poubelles !
• Et moi donc ! renchérit Samson, deux bouts de ficelle et une vieille boîte de conserve et je vous construis une moto.
• Et ???? demande Junid.
• Bah voilà, je crois que c’est clair, je ne sais pas pourquoi mais on est six et on a été choisi pour reconstruire un monde meilleur pour Gaïa, explique Akio.
• Je pense que nous avons tous quelque chose à apporter, ajoute Sienna. Toi, Akio, t’es super intelligent et tu as plein d’idées. Toi Samson, tu as des mains en or, de rien tu fais quelque chose. Toi Evy, tu sais quelles erreurs on ne doit plus faire, tu as à cœur de préserver la planète. Toi Lana, tu ne lâches rien, quelques soient les difficultés. Toi Junid, ta vie est simple et ton bonheur l’est aussi. Et moi…
• Toi, dit Junid, tu vas nous guider à travers les étapes que nous allons traverser. Tu devras nous aider à surmonter nos peurs. »

Junid se sent bien. Il aura toujours mal d’avoir perdu ses proches et cette douleur restera et lui rappellera qu’un jour Gaïa a mis fin à l’humanité. Pourtant, il n’en veut pas à Gaïa. L’avenir est devant lui. La tâche qui les attend est immense, démente mais il est prêt. Le monde qu’ils vont reconstruire à six sera bon, juste et célébrera Gaïa, il en est sûr.