Opération Oméga 4

4 juillet 2020.
 

Je lui ai pris la main et je l’ai suivi.

Un peu plus tard, le soir même

Bip bip bip, bip bip bip.
Il est dix-huit heures trente. J’éteins la sonnerie de mon portable.
Je sais que Jo a raison, mais je ne peux pas m’empêcher d’être anxieuse (c’est un euphémisme. En vérité, je suis morte de trouille. Mais comment le dire à Jo, qui est célèbre et courageux ?)
Mes parents sont sortis, et j’ai quartier libre, tant que ce que je fais n’est pas illégal, pour reprendre les mots de ma mère. Je n’ai pas eu le courage de lui dire que ce qu’on allait faire avec les autres était franchement illégal.
J’enfile mes vêtements et je sors. Je hèle un chauffeur et je monte dans un aéro (une
voiture volante. Je ne sais pas comment faisaient les gens il y a vingt ans avec les voitures roulantes !) La vue du paysage ne parvient pas à me détendre, et lorsqu’on prend la direction du centre-ville, je ne suis toujours pas convaincue que c’est sans danger.

Quand j’arrive devant le studio, tout le monde est là. Et tout le monde a l’air d’avoir très froid. J’ai bien fait de prendre deux gros pulls, un manteau, un bonnet et des gants, plus une écharpe. Je dois ressembler à un bonhomme de neige, ou à un sumo, mais au moins, les problèmes de température ne me concernent pas.
– Alexa ! me salue Jo. On t’attendait pour commencer.
Je remarque avec ironie que lui aussi semble peser cent kilos avec sa combi d’hiver.
Il monte sur les marches du perron pour surplomber l’assemblée, à savoir moi, Beverley, Madison, Bill, Kerry et lui (nous avons décidé d’agir en petit groupe pour être plus efficaces).
– OK, tout le monde est prêt ? demande-t-il. On fait comme on a dit. Bill, t’as la scie ?
L’intéressé hoche gravement la tête.
– Alexa, ton bracelet est enclenché ? poursuit Jo.
– Ouais, dis-je.
Jo tourne la tête vers Beverley, l’intello du groupe.
Beverley remonte ses lunettes sur son nez, et déclare :
– J’ai eu le temps de regarder les plans. Le président Crossman passe à vingt heures. Et… (elle regarde sa montre) il est dix-neuf heures, ça nous laisse soixante minutes pour agir. Ils filment au troisième étage : des vigiles partout, des gardes du corps à l’infini. Autant dire que c’est inaccessible. Mais dans la salle de l’émission, il y a un faux plafond. Si on passe par le quatrième étage, on peut réussir à passer dans les combles, où il y a un mètre de hauteur. Il faudra juste faire attention aux gardes personnels du président. Il y en a sûrement dans tout le studio et …
– Pfff, les gardes, je ne vais en faire qu’une bouchée. Je vous rappelle que j’ai fait six ans de …
– De Taekwondo, on sait Kerry ! la coupe Madison. Maintenant est-ce qu’on peut entrer ? Le vent est en train de bousiller mon brushing !
Elle fouille rageusement dans son sac à main couvert de frous-frous.
– Et en plus, j’ai oublié ma laque ! ajoute-t-elle.
– Bon, allons-y.
La voix de Jo tremble quand il dit ça (il est aussi à moitié exaspéré, à cause de Madison.)

On rentre sans aucun problème. Le vigile nous dit d’abord : « on ne passe passe pas », mais Jo lui fait son sourire de star de cinéma (Jo est beaucoup trop charismatique). Le vigile le reconnaît, lui demande un autographe, et ouvre la porte vitrée avec un « passez une bonne soirée, monsieur Johann Fuller ! ».
Avec Jo, tout est facile.
On nous adresse des petits signes de la main, et un homme en train de déboucher les toilettes demande à Jo s’il pourrait lui trouver un meilleur salaire. Jo dit qu’il verra ce qu’il peut faire, et ainsi de suite. C’est comme ça quand on a gagné la version Ado de la célèbre émission de télé-réalité « Trois Mois Dans La Nature », aussi appelée 3MDLN.
Les choses se compliquent à l’ascenseur, quand un type en costume et lunettes opaques nous barre le passage.
– Désolé monsieur Fuller, les ascenseurs sont indisponibles pour le moment, ordre du président Crossman.
Voilà c’est fini ! On ne pourra jamais y arriver, la planète est condamnée ! Ah… à part si Kerry s’en mêle, évidemment.
Un bon coup de pied des baskets HypersDures de Kerry suffit à insuffler à ce Monsieur Muscles l’envie de dormir. Je me penche au-dessus de lui et je demande :
– Il a la mâchoire cassée ?
Bill répond que oui pendant que Beverley affirme que non.
Kerry se penche à son tour.
– Il va s’en sortir.
Après un long silence, elle ajoute,
– Avec quelques dents en moins.
Madison lâche un « Berk », puis soudain un « ho, mais que vois-je ! ». Elle saisit la main de l’homme, et attrape un objet scintillant à son poignet.
– Regardez ce bracelet !
Elle lève bien haut le bijou serti de strass ultra brillants.
– Il est à 60 $ sur Omazon !
Elle l’enfile, mais lorsque que tout le monde s’exclame : « Madison ! ! ! », elle capitule.
–Ça va ! Je le lui remets, regardez !
On entre dans l’ascenseur, pendant que Madison râle à propos du bracelet. Et je peux vous dire qu’à six dans un ascenseur avec Madison qui râle à propos d’un bracelet, c’est juste horrible ! Jo fronce les sourcils. Il a bien compris que quelque chose ne va pas de mon côté.
– Un problème, Alexa ? me demande-t-il.
– Mais oui ! Son fond de teint ! s’exclame Madison.
Elle s’approche de moi avec un pinceau et me recouvre le visage de poudre blanche. Heureusement, Bill lui attrape doucement la main. Ouf. Sans son intervention, j’étais bonne pour ressembler à un vampire. Ou pire, à Madison !
– Quelque chose ne va pas Alexa ? me redemande Jo. Tu as l’air bizarre.
– Sûrement à cause du fond de truc de Madison (je ne peux pas m’empêcher de blaguer.) Non, sérieusement. Si mon cerveau refuse de passer en ondes Oméga 4, le plan échoue à cause de moi !
– Arrête, dans 3MDLN, on t’a vue le faire des millions de fois ! me dit Kerry. Le public t’a vue lui aussi et tu es presque aussi célèbre que Jo ! Le monde a bien constaté que tu ne savais pas mentir et que tes prédictions se réalisent toujours.
La voix du dénommé Jo interrompt notre conversation.
– On est arrivés.
Beverley ouvre une porte et nous nous tassons tous dans un minuscule local électrique.
– Bon, explique Beverley, j’ai étudié les plans. Si on perce un trou dans le sol ici et qu’on avance de 15 mètres, on se retrouve exactement au-dessus du studio de tournage. Bill, c’est à toi !
Il sort une scie sauteuse de son sac à dos et découpe un trou assez grand pour qu’un homme puisse passer dans le plancher.
– Go !
Jo se jette dans le trou et crie :
– Venez ! C’est trop cool là-d’dans !
Je m’y engage après lui, je découvre le faux plafond vu du dessus. Effectivement, c’est cool. Madison, Bill, Kerry et Beverley nous rejoignent. Nous sommes obligés de nous baisser pour ne pas nous cogner. Nous avançons de 15 mètres, puis Jo soulève un carreau pour voir, et il entend :
– Oui, l’écologie… est une préoccupation mineure…
Il pouffe et referme la trappe.
C’est alors qu’un cri suraigu retentit.
–Hiiiiiiiiiiiii ! ! !
Je me retourne. Il y a un gros trou dans le faux plafond. Je me penche au travers du carreau cassé et je vois Madison étalée comme une crêpe à côté du président sur le canapé du studio d’enregistrement. Le président la regarde avec des yeux ronds, abasourdi. Et c’est cet événement incongru qui déclenche l’attaque.
–Banzaïïïï !!!!!!!! crie Kerry.
On saute tous à travers le trou et on atterrit sur la moquette. Les gardes du président nous attaquent aussitôt, et le cameraman zoome sur nous.
–Ça alors !! s’exclame l’animateur du talk-show. Tous les participants de l’émission « Trois Mois Dans La Nature » en train de se battre contre les gardes du président !
– Alexaaa !!!
Je tourne la tête. Jo est en train de se battre contre deux hommes plus forts que lui. Malgré mon angoisse, je viens à son secours. J’envoie un direct dans le visage du garde. Décidément, je ne me reconnais plus, ce soir. Jo me remercie, mais une voix résonne :
– Personne ne bouge, ou votre amie est morte !
Je me retourne lentement. Un garde a attrapé Madison et tient une arme à feu au niveau de sa tempe.
–Tout le monde s’assoit ! ordonne l’homme.
On obéit.
–Très bien, maintenant…
VLAN ! Madison vient de donner un grand coup de poignet dans le nez de son assaillant qui s’écroule. Elle lève le bras en signe de triomphe, et on remarque le bracelet de tout à l’heure.
–Vous voyez, j’ai bien fait de le garder ! dit-elle. Les diamants sont super pointus !
Elle se laisse tomber une nouvelle fois sur le canapé et le président bafouille :
– Mais… je… j’exige que… vous n’avez pas le droit !
– Tout le monde m’écoute ? demande Jo qui ignore superbement le président Crossman.
On se tourne vers lui et le cameraman zoome sur Johann.
– Monsieur Fuller, demande l’animateur quelque chose à dire ?
– Oui. Vous vous souvenez tous qu’il y a un an, Bill, Kerry, Beverley, Madison, Alexa et moi, avons participé à l’émission en faveur de l’environnement « Trois Mois Dans La Nature » ? Eh bien…
Il inspire.
– J’ai gagné, reprend-il, parce que j’étais très déterminé à sauver la Terre. Si tout le monde s’y met, la planète sera sauvée. Mais cette phrase a déjà été prononcée par tellement de gens… aujourd’hui, nous allons faire changer les choses. Vraiment.
Il regarde vers moi.
– Tout le monde se souvient aussi de mon ami Alexa et de son talent de voyante ? Si son cerveau réussit à passer en ondes Oméga quatre, elle pourra voir l’avenir.
– Où voulez-vous en venir, Johann Fuller ? demande l’animateur.
– J’y viens, répond Jo. Les élections présidentielles auront lieu dans quatre mois. J’ai l’intention de m’y présenter.
Un murmure parcourt l’assemblée.
– Non ! Vous ne pouvez PAS ! crie le président. Vous êtes mineur !
– Hum. Je sais. Mais je me présenterai quand même, rétorque Jo. Si tout le monde vote pour moi, je serai élu. Dans tout le pays, j’appelle le peuple à déposer mon nom dans les urnes. Aidez-nous à changer le cours de l’histoire !
Il marque une pause pour laisser aux spectateurs le temps de digérer ses paroles.
– Alexa, c’est à toi.
(Haaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !! Devant leur poste de télé, trois cents millions de personnes me regardent !)
– D’accord, je vais tenter de lire l’avenir.
Je triture nerveusement mon bracelet-ondes, et je ferme les yeux. J’essaie d’ouvrir mon esprit. J’essaie vraiment. Mais rien ne se passe.
– Jo, je n’y arrive pas !
– Concentre-toi, Alexa ! Tu vas y arriver.
Il me prend la main.
Je ferme les yeux. Et les trois cents millions de personnes voient soudain mon bracelet-ondes virer au rose et se mettre à clignoter. J’ai le temps de presser la main de Jo et j’entre dans une sorte de transe. Sous mes yeux, Jo, plus âgé, en costume, est président. Et il me dit :
– La Terre est sauvée, Alexa !
J’ai le temps d’apercevoir le Jo du futur qui donne une conférence puis je me réveille brutalement.
– Alors ? demande anxieusement le président Crossman.
– J’ai vu Jo, dis-je. Il est président, et il a sauvé la planète.
Je regarde mes amis, puis je regarde Jo.
Il me sourit calmement.
À ce moment-là, je sais que nous avons réussi.