Le pouvoir des mots

21 avril 2021.
 

Georges invite machinalement le vieillard à entrer, et c’est précisément au moment où il referme la porte derrière lui qu’il remarque qu’aucune trace de pas n’imprime la neige.

Georges décide de ne pas prêter attention à ce détail tout de même assez perturbant. Dehors, le blizzard se lève. L’écrivain demande par pure politesse :

Dix minutes plus tard, les deux George referment la porte d’entrée derrière eux.

Ils doivent marcher depuis plusieurs heures. Le moral est en sérieux déclin. Les deux George se demandent s’il ne serait pas plus sage d’abandonner. Mais l’espoir est plus fort. Ils ont perdu toute notion du temps et la nuit tombait. Ce voile sombre contraste magnifiquement avec l’épais manteau blanc qui recouvre entièrement le paysage.
Lorsqu’il fait entièrement nuit noire, le duo décide de s’arrêter pour dormir. Par chance, le jeune George avait pensé à dévaliser ses placards de biscuits. Sous un abri de fortune constitué de branches de sapin et d’épicéa calées contre un vieil arbre au moins bicentenaire, les deux hommes bivouaquent tranquillement sous un ciel constellé d’étoiles scintillant de mille feux. Ils discutent de choses concernant leurs deux passés communs ou de choses futures, comme la croissance de Jimène, son caractère, son parcours à l’école…
Enfin, vient l’heure du coucher. Ils se roulent sous un doux plaid emporté au préalable.
Ils se souhaitent mutuellement « bonne nuit » et tentent de se réfugier dans les bras sécurisants et confortables de Morphée…

Ils se réveillent avec le soleil. Le vieux George se lève d’abord et entame la thermos de café. Admirant le lever du jour, il s’assoit sur un rocher gelé, sa tasse à la main. Il respire l’air pétillant de l’hiver. Il sourit. Heureux comme un roi. En 2073, la neige n’apparaît plus que dans ses rêves, de plus en plus rares. Ce qui reste de ses cheveux aussi blancs que la neige flotte dans le vent frais matinal. Il avale une gorgée de café. Il aperçoit un bouquetin, cet animal qui n’est plus d’actualité dans son époque.
Une heure plus tard, c’est le jeune George qui sort de sa tente, les yeux soulignés de cernes violets. Entre deux bâillements, on peut discerner un « bonjour » adressé à son compagnon. Ce dernier reste silencieux. Enfin, d’une voix basse et émue, il déclare :

Puis, comme si la neige voulait lui manifester son réconfort, de légers flocons commencent à tomber doucement sur les fins cheveux du vieux George, puis sur le sol déjà complètement immaculé.
Alors que le jeune écrivain sent ses paupières s’humidifier, il remarque que les flocons changent. Pas de forme, mais de couleur. Ils deviennent progressivement dorés, comme des paillettes saupoudrées par milliers d’un doux geste. Le vieillard, les yeux occultés par un brouillard de larmes, ne voit ce détail qu’après. Puis, quelques minutes passent lentement avant que les deux George ne se rendent compte que cette neige dorée ne tombe qu’à des endroits distincts. Qu’elle forme comme un…

Et enfin, après un temps totalement indéterminé, la traînée de paillettes stoppe.

Elle débouche sur une clairière éclairée par la douce lumière matinale. Tout est désert. Silencieux.
Au beau milieu de cette clairière sauvage se dresse comme une sorte de menhir, recouvert d’une fine couche de givre. Ce menhir brille et scintille, telle une énorme pyrite. L’écrivain, en s’approchant, voit, enfermé dans cette couche gelée, des pages jaunies par l’humidité dont les écritures ont bavé mais restent lisibles.
Avant même d’avoir crié « victoire », une lumière verte fragile, vacillante, sort de la paume du jeune George. La lumière des rêves… cette lumière fait fondre doucement le gel, délivrant les feuilles soutenant le destin du monde… L’écrivain les prend, les regarde, esquisse un sourire…