L’édito : À la recherche du temps présent

28 mai 2021.
 

Le climat qui s’emballe, les démocraties mises à l’épreuve, un mystérieux virus qui se déploie à l’échelle de la planète, un monde confiné, alors que pour le bien de tous nous devons affronter le rétrécissement de nos libertés individuelles… Ce que nous vivons depuis plus d’un an est digne d’une série de science-fiction. Jamais depuis la seconde guerre mondiale nous n’avons eu à affronter tant d’épreuves touchant simultanément l’ensemble de la planète. Cette crise inédite interroge notre commune humanité. Une occasion nous serait-elle offerte de nous redéfinir, tout au moins de redéfinir ce que nous voulons être ?

Quand les cadres explosent et que les lignes vacillent, à quoi se référer pour penser le chaos du monde ? Et s’il suffisait de ne pas se raccrocher aux branches, mais plutôt d’accepter de faire un pas de côté ou même de se laisser glisser… pour que nous puissions atteindre un ailleurs, ouvrir notre imaginaire, nous projeter hors de nous-mêmes… C’est dans cet espace inconnu, dans ce temps suspendu, ce moment de déséquilibre où un corps tangue et se rattrape que naît un pas de danse, une peinture, une musique, une poésie, une découverte scientifique… l’espace même de création.

Pour nous aider à changer de regard, nous en appellerons à la pensée du physicien et philosophe des sciences Étienne Klein. Passionné de montagne, il explore comment cet espace de beauté et de liberté est aussi un révélateur des êtres. L’ethnologue Bruno Latour nous invite lui aussi à changer de cadre de pensée pour réussir la transition climatique. Pierre Cassou-Noguès, le philosophe en appelle à la fiction pour penser le réel. L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan depuis plus de quarante ans scrute les confins du temps et de l’espace et nous livre des récits pleins de spiritualité et de grâce. L’historien Romain Bertrand aime défaire les mythes, donner à voir les échecs autant que les réussites. Sortir de la pure démonstration scientifique pour permettre la reconquête d’une histoire plurielle.

Dans ce chaos de notre société où chacun est sommé avec violence de prendre parti à tout prix, nous avons tendance à oublier une notion fondamentale, nous rappelait récemment Mona Ozouf : le sens de la nuance. Pour pouvoir à nouveau s’écouter, pour que le débat contradictoire puisse se dérouler dans la bienveillance sans que les militants de la bien-pensance tentent de museler la parole.

Loin du brouhaha des plateaux télé, et de l’information en continu qui attisent les peurs et les colères, nous souhaitons que le festival demeure ce laboratoire de la pensée où les artistes se rencontrent, les mots s’entrechoquent, les cultures se frottent… Des amitiés naissent, des projets émergent, des discussions s’amorcent.

Et de réaffirmer encore et toujours le rôle nécessaire des artistes en temps de crise pour nous aider à penser notre monde en mouvement. Parce qu’elle irrigue nos imaginaires, décuple l’imagination et ouvre le champ des possibles, parce qu’elle est le fondement de notre humanité, la culture est et restera un bien de première nécessité, partout et toujours !

Le plus bel hommage que nous pouvons rendre à Michel Le Bris qui vient de nous quitter est de faire que le festival se déroule cette année. Le questionnement des temps présents le passionnait, alors, nous ferons en sorte que Michel soit présent sous une forme ou une autre dans les rencontres du festival, à travers des thèmes qui lui étaient chers, mais aussi à travers des lectures d’extraits de ses textes.

Mélani Le Bris
Directrice adjointe du festival