dimanche 10:00-11:00
Race, genre, religion...
Avec : Rachel KHAN, Thomas C. WILLIAMS, Dany LAFERRIÈRE
22 mai 2021.

Omniprésentes en ce moment dans notre quotidien, les questions de religion, de race, de genre et d’identité envahissent notre espace vital. Écriture inclusive, mots en passe d’être censurés... Au-delà des groupes identitaires, cette idéologie diffuse à plus grande échelle dans notre société. Jusqu’où ira-t-on ? Au point qu’un traducteur blanc ne pour- rait plus traduire la poésie d’une jeune femme noire ? Cette montée en puissance des revendications identitaires empêche désormais tout débat contradictoire. Là est peut- être le principal danger. L’enjeu n’est-il pas finalement d’accepter d’écouter la pluralité des points de vue, d’être capable aussi d’assumer nos contradictions. Pas de roman qui vaille sans ce passage à l’autre, écrivait Michel Le Bris (Je est un autre, Gallimard, 2010), quand l’auteur s’imagine homme, femme, traverse les siècles et les cultures, tour à tour soldat, infirmier, écrivain, trappeur dans le grand Nord, épouse au foyer, paysan ou mandarin chinois, cherche pour chacun un ton, des attitudes, doit entrer en sympathie avec les plus abominables s’il veut les faire exister pour ses lecteurs. Nous ne sommes pas réductibles à notre sexualité, notre couleur de peau, notre religion ou notre condition sociale. N’y a-t-il pas une dimension autre qui est le fondement même de notre commune humanité ? L’enjeu de la littérature n’est-il pas de faire vibrer ce supplément d’âme qui nous rassemble ?
Avec Dany Laferrière, Rachel Kahn, Thomas C. Williams
DERNIER OUVRAGE
Essais
Racée
Editions de l’Observatoire - 2021
« On est tous des additionnés », affirmait Romain Gary dans Pseudo. Rachel Khan ne le sait que trop bien. Noire, gambienne, d’origine musulmane et catholique par son père, blanche, juive et française par sa mère, elle est fière de se dire « racée ». Mais comment vivre cet excès de « races » à l’heure des replis identitaires où seule la radicalité importe ? Comment se positionner avec ce « pedigree » alors que l’injonction est de choisir un camp ?
À travers une série de mots, notions et expressions « politiquement correctes », Rachel Khan pose un regard tant critique que malicieux sur notre époque idéologisée qui interdit toutes formes de nuances. Elle condamne les « mots qui séparent » ‒ souchien, racisé, afro-descendant, intersectionnalité, minorité… : présentés comme des outils indispensables pour combattre le racisme, ils enfoncent en fait le couteau dans les plaies qu’ils prétendent cicatriser. Puis les « mots qui ne vont nulle part » : vivre-ensemble, diversité, mixité et non-mixité, etc., qui appauvrissent le langage et, dans une « bienveillance inclusive », alimentent la haine et les silences. Mais elle défend avec force les « mots qui réparent » ‒ intimité, création, désir ‒ qui, eux, rétablissent le dialogue, favorisent la pensée non unique et unissent notre société, gangrénée par les crispations identitaires et les oppositions stériles entre les genres.
DERNIER OUVRAGE
Essais
Autoportrait en noir et blanc
Grasset - 2021
Avec cet émouvant Autoportrait en noir et blanc, Thomas Chatterton Williams explore la question de l’identité en prenant pour point de départ la naissance de sa fille aînée, Marlow. Dans une maternité parisienne, lorsqu’il voit pour la première fois la petite tête blonde et les grands yeux bleus de son bébé, Williams, lui-même « métis », pense à tous les gens qui voudront la désigner comme « blanche ». Assigner sa fille à une « race » a-t-il un sens alors que ses gènes et ses héritages culturels sont multiples ?
Afin de répondre à cette question, l’auteur conduit une réflexion nourrie par son expérience et ses lectures, pour défendre l’idée d’une société post-raciale. Il fait par exemple un test ADN afin d’objectiver ses origines et finalement découvrir qu’il n’est qu’à 39,9% d’origine sub-saharienne. Le « premier président américain noir » n’est-il pas en réalité, lui aussi, « métis » ?
Thomas Chatterton Williams réfléchit ainsi à une fluidité de la « race », en fonction du regard de l’autre, d’un espace géographique ou d’une époque, et cherche à balayer toute tentation de cloisonner l’identité.
Texte incisif mais également lettre d’amour à ses enfants, cet autoportrait raconte le cheminement identitaire d’un père américain dans la société française contemporaine. Après Une soudaine liberté, Thomas Chatterton Williams s’inscrit plus que jamais dans le débat intellectuel d’aujourd’hui.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Colin Reingewirtz
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Essais
Petit traité du racisme en Amérique
Grasset - 2023
Dans ce livre, le premier qu’il consacre au racisme, Dany Laferrière se concentre sur ce qui est peut-être le plus important racisme du monde occidental, celui qui dévore les Etats-Unis. Les Noirs américains : 43 millions sur 332 millions d’habitants au total - plus que la population entière du Canada. 43 millions qui descendent tous de gens exploités et souvent martyrisés. 43 millions qui subissent encore souvent le racisme. Loin d’organiser une opposition manichéenne entre le noir et le blanc, précisément, Dany Laferrière précise : « On doit comprendre que le mot Noir ne renferme pas tous les Noirs, de même que le mot Blanc ne contient pas tous les Blancs. Ce n’est qu’avec les nuances qu’on peut avancer sur un terrain si miné. »
Voici donc un livre de réflexion et de tact, un livre littéraire. Mêlant des formes brèves que l’on pourrait rapprocher des haïkus, où il aborde en général les sensations que les Noirs éprouvent, et de brefs essais où il étudie des questions plus générales, Dany Laferrière trace un chemin grave, sans jamais être démonstratif, dans la violence semble-t-il inextinguible du racisme américain. « Mépris », « Rage », « Ku Klux Klan » alternent avec des portraits des grands anciens, Noirs ou Blancs, qui ont agi en noir ou en blanc : Charles Lynch, l’inventeur du lynchage, mais aussi Eleanor Roosevelt ; et Frederick Douglass, et Harriet Beecher Stowe, l’auteur de La Case de l’oncle Tom, et Bessie Smith, à qui le livre est dédié, et Angela Davis. Ce Petit traité du racisme en Amérique s’achève sur une note d’espoir, celui que Dany Laferrière confie aux femmes. « Toni, Maya, Billie, Nina, allez les filles, le monde est à vous ! »