lundi15:15-16:00
Temps fort de lundi - Pour une littérature-monde en français
Avec : Velibor ČOLIĆ, Dany LAFERRIÈRE, Beata UMUBYEYI MAIRESSE
23 mai 2021.
Plus tard, on dira peut-être que ce fut un moment historique : le Goncourt, le Grand prix du roman de l’Académie française, le Renau- dot, le Fémina, le Goncourt des lycéens, décernés à des écrivains d’Outre-France, un auteur Haïtien intronisé à l’Académie française... Simple hasard, simple détour vagabond avant que le fleuve revienne dans son lit ? Nous pensons, au contraire : révolution copernicienne. Copernicienne, parce qu’elle révèle ce que le milieu littéraire savait déjà, sans l’admettre : le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française n’est plus le centre. Le centre jusqu’ici, même si de moins en moins, avait eu cette capa- cité d’absorption qui contraignait les auteurs venus d’ailleurs à se dépouiller de leurs bagages avant de se fondre dans le creuset de la langue et de son histoire nationale : le centre est désormais partout, aux quatre coins du monde. Retour sur le manifeste pour une littérature-monde en compagnie de la lauréate du prix des Cinq continents 2021, Beata Umubyeyi Mairesse pour son roman Tous tes enfants dispersés (Autrement), Dany Laferrière de l’Académie Française, signataire du Manifeste pour une Littérature-Monde en français et Velibor Colic.
DERNIER OUVRAGE
Témoignage
Autobiographie américaine
Bouquins - 2024
L’œuvre autobiographique de Dany Laferrière, rassemblée dans ce volume, montre qu’il personnifie une démarche singulière, qu’a déterminé son attitude envers la vie. Et c’est cette attitude qui fait que tant de lecteurs aiment mettre leurs pas dans les siens.
"Un matin de février 1984, il y a quarante ans de cela, je me suis réveillé dans le grand froid montréalais, avec cette idée étrange qu’on ne devrait pas écrire plus d’un livre. Le manuscrit que j’avais fatigué toute la nuit dernière s’était assoupi près de la fenêtre de ma modeste chambre, au milieu des restes du repas de la veille. De mon lit, je l’observais avec un mélange de suspicion et de tendresse. J’attendais trop peut-être de ce premier roman écrit pourtant dans la misère et la liberté. D’abord qu’il me sorte de l’usine, ensuite qu’il me rende célèbre.
Venant d’un pays qui a connu l’esclavage et la dictature, et ayant longuement vécu dans des villes comme Montréal, Miami ou New York, avant de parcourir São Paulo, Mexico, San Juan ou Buenos Aires, je me sentais comme un arbre qui marche dans sa forêt. J’ai fouillé dans l’histoire pour découvrir que cette Amérique continentale était le rêve de Bolívar dont la devise se résumait à « Un continent, un pays ». Tant de cultures diverses que les écrivains de ce continent ou de ce pays allaient m’apprendre. J’ai donc décidé d’entreprendre une longue balade littéraire, en commençant par cette Caraïbe où j’ai pris naissance, et où je suis tombé, un jour de pluie, sur le recueil du poète haïtien René Philoctète Ces îles qui marchent. Je note dans mon calepin noir ce vers rimbaldien : « Je suis venu vers toi, nu, et sans bagages ». C’est donc les mains libres et la tête légère que j’ai entrepris cet interminable voyage dans cette Amérique bigarrée et survoltée."
D. L.
DERNIER OUVRAGE
Récit
Le convoi
Flammarion - 2024
"Il aura fallu quinze ans de cheminement incertain, une enquête menée aux confins de mémoires étiolées, pour retrouver une image sur laquelle j’espérais figurer, puis pour chercher mes compagnons de fuite. Quinze ans pour m’autoriser enfin à écrire cette histoire. La mienne et à travers elle, car il s’agit bien de me réinscrire dans un collectif, la nôtre, l’histoire des enfants des convois."
Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse. Treize ans après les faits, elle entre en contact avec l’équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l’Italie et l’Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes. Le génocide des Tutsi, comme d’autres faits historiques africains, a été principalement raconté au monde à travers des images et des interprétations occidentales, faisant parfois des victimes les figurants de leur propre histoire. Nourri de réflexions sur l’acte de témoigner et la valeur des traces, entre recherche d’archives et écriture de soi, Le convoi est un livre sobre et bouleversant : il offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.
- « Le Convoi est un grand livre, presque intimidant par son autorité souveraine, par ce qu’il dit tout autant que par la manière dont il le dit. » Livres Hebdo
- « Le Convoi raconte ce sauvetage, ou plutôt il en cherche les traces. Auprès des journalistes comme des humanitaires, Beata Umubyeyi Mairesse part en quête d’images, rushs de reportage, photos oubliées, clichés ambigus… Quête souvent entravée mais riche en surprises. Quand le récit s’ouvre, en effet, l’autrice affirme vouloir en partager les fruits avec d’autres enfants du convoi. Lorsqu’on referme le livre, on saisit que l’essentiel, pour cette métisse à la fois « transfuge de classe et de race », était de se ménager une place parmi eux, de se forger une légitimité, d’être pleinement reconnue comme survivante parmi les survivants. » Le Monde
- « Rwanda, 1994. Menacés de mort, un millier d’enfants tutsi sont exfiltrés. Parmi eux, Beata Umubyeyi Mairesse. Elle en fait le récit et l’analyse, au nom de tous, pour que soit enfin entendue la parole des victimes du génocide. » Télérama
- « Beata Umubyeyi Mairesse dénoue les fils de ce passé effrayant et nous aide а changer de regard sur cette terrible tragédie humaine. » La Croix
- « Un récit fascinant qui se déploie dans le labyrinthe de la mémoire, interroge sans cesse le sens et la réalité des mots. » Libération
- « Des mots d’une grande précision, d’une grande sobriété, d’une grande humanité aussi. » RFI
- « Ce livre est une plongée dans les noirceurs de l’humanité, une profonde réflexion sur le bien et le mal. » Ouest-France
DERNIER OUVRAGE
Récit
Guerre et pluie
Gallimard - 2024
Velibor Colic a en n écrit le récit de sa guerre, celle qu’il a vécue en 1992, depuis son enrôlement dans l’armée croato-bosniaque lors de l’invasion de la Bosnie par l’armée fédérale ex-yougoslave tenue par les Serbes, jusqu’à sa désertion, qui a marqué le début de sa vie en exil. Il l’avait évoqué dans son tout premier livre, Les Bosniaques, série de brefs récits de guerre, écrit en serbo-croate. C’est ici un projet d’une toute autre ampleur. La première partie raconte l’apparition, vers 2020, alors que l’auteur vit à Bruxelles, d’une maladie rare, provoquant l’éclosion de cloques douloureuses sur le corps et dans la bouche, qui fait revenir à sa mémoire les images des corps en déchéance. Il comprend aussi que si sa langue est attaquée par des aphtes purulents, c’est qu’il a dû s’arracher à sa langue maternelle pour venir habiter le français : le corps dit toutes ces déchirures. La deuxième partie évoque de façon saisissante la vie du jeune soldat de 28 ans jeté dans un univers d’épouvante : la guerre détruit les hommes, mais aussi les animaux, les arbres, tout ce monde de beauté paisible qui avait été le sien. La troisième partie raconte comment, ayant décidé de déserter, l’auteur a réussi à échapper à la guerre, au prix du deuil de tout ce qui avait fait sa vie jusqu’alors.« La mémoire parle une langue étrangère dont nous ne maîtrisons pas tous les signes », écrit Colic. C’est ce qui donne à ce récit son caractère à la fois halluciné et drolatique. L’horreur des tranchées, la déréliction des soldats, les souffrances, tout cet univers d’e4roi où aucune loi n’existe, est contrebalancé par la douceur merveilleuse des souvenirs d’avant – en particulier des souvenirs amoureux, évoqués avec une délicatesse et une poésie qui subjuguent. L’auteur se décrit avec une autodérision parfois enfiévrée de colère, comme un colosse branlant. C’est un livre de révolte mais aussi, paradoxalement, un livre plein de tendresse et de drôlerie, car l’auteur ne se départit jamais de son penchant pour les aphorismes sarcastiques ou absurdes. Ce grand livre est d’autant plus puissant qu’il résonne terriblement avec ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.
- « « Pendant des années, j’ai cru naïvement que la guerre était sortie de moi. Et qu’avec l’aide de la littérature et de l’écriture j’étais aussi sorti de la guerre. J’ai surestimé la littérature. » Cette confession, Velibor Colic la déroule tout au long de son admirable roman autobiographique Guerre et pluie. Avec ses variations, ses saillies, ses volutes de souvenirs, sa mémoire poisseuse. La guerre, sa guerre de 1992 dans l’ex-Yougoslavie, il l’avait déjà évoquée dans Les Bosniaques, puis dans Chronique des oubliés en 1996, et dans son premier livre écrit directement en français, Archanges, paru en 2008 chez Gaïa. » Le Figaro
- « Avec Guerre et pluie, il signe un récit troublant, dur et lucide, traversé par la nostalgie, parfois l’ironie, sur des mois en absurdie et dans la furie du début du conflit en Bosnie en 1992. Avant le sauvetage et la « grande fierté d’avoir déserté ». » Libération