Paléo-réminiscence

29 avril 2022.
 

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave. Elle continua à progresser dans le sable mouillé et légèrement pâteux qui laissait derrière elle les traces de son passage. Des craquements se firent entendre sous ses pieds. Elle remarqua alors de superbes rangées de coquillages qui zébraient le bord de mer de leurs éclats nacrés. Autour d’elle il y avait comme un désert laissant place à la superbe sylve ancestrale.

La jeune fille s’en approcha, découvrant de nouveaux détails. L’amas de goémons qui lui sembla être de nouveau un macchabée l’inquiéta de plus en plus, alors, elle pressa le pas. Quand elle courut, une bouffée d’air emplit ses poumons et une certaine fraicheur lui rappela sa tendre enfance, dans les Hautes-Alpes, au moment si spécial du crépuscule. Le bruit sourd des vagues déferlantes lui fit presque oublier pourquoi elle s’approchait de l’épave. Mais elle reprit ses esprits et vit les herbes sous-marines s’agiter. Son inquiétude atteignit son paroxysme car elle s’imagina un blessé du cyclone, recouvert de végétation et donc invisible aux yeux des sauveteurs. Lise s’arrêta devant les algues. Un animal qui lui semblait être un ours sortant de son hibernation se dressa soudain devant elle ; pourtant, il avait plus l’allure d’un des ancêtres du cheval et de la vache.

Elle n’avait jamais vu un tel animal, ou peut-être dans des livres de préhistoire pour enfants. Cela restait inimaginable pour elle. Et, ne comprenant toujours pas la situation, elle s’approcha en douceur de l’animal. La jeune femme arriva à moins d’un mètre de distance de la bête et put mieux l’observer. Elle avait une très longue crinière qui longeait toute sa colonne vertébrale, une longue queue comme prolongement de son crin et aux deux extrémités de sa tête, une paire d’yeux globuleux. L’animal terrestre possédait également une taille considérable, sûrement le double d’une humaine de taille moyenne comme Lise, mais aussi une fourrure assez épaisse pour permettre à Lise de l’utiliser comme duvet. Des taches, semblables à celles d’une vache, se dessinaient sur ses poils.

Brutalement, l’animal fut dérangé par la présence de l’humaine et partit au galop. Lise essaya tant bien que mal de le rattraper mais fut bien évidemment distancée. Néanmoins elle réussit à ne pas le perdre de vue. Elle ne s’en était pas rendu compte, mais elle s’était amplement rapprochée de la forêt minéralisée et certains détails l’amenèrent à une conclusion. Si les dépôts de sable lui indiquaient que le cyclone avait déplacé les dunes, les cernes des imposants troncs d’arbres lui démontraient, eux, qu’ils n’étaient pas de notre siècle mais bien de l’âge des premiers hommes.

Sur le moment, Lise fut perdue mais l’animal restait toujours dans son champ de vision et elle s’enfonça dans la forêt pour rejoindre la bête. Une odeur d’humus remplit ses narines : l’odeur si particulière de la forêt. Autour d’elle un tout nouveau décor verdoyant s’offrait à elle, un cadre où faune et flore semblaient avoir repris vie. En effet, des mares dans lesquelles des animaux sous-marins, encore une fois inconnus à notre époque contemporaine, circulaient en rond pour une majeure partie, tandis que d’autres restaient au fond, immobiles.

Un poisson attira l’attention de Lise. Il était imposant, ses dents aiguisées et les écailles qui couvraient son corps lui paraissaient très dures. Mais aucun de tous ces poissons n’avait été découvert par les chercheurs. Soudain une idée vint éclairer les pensées de Lise qui étaient jusque là assez confuses : elle se rappela un reportage sur un pompier-parachutiste qui s’était perdu en Sibérie et qui était revenu à l’âge des guerriers Mongols. Malheureusement pour lui personne ne l’avait cru et il s’était fait décrédibiliser par les médias. Mais Lise avait toujours vu une infime possibilité dans cette situation. Alors elle se dit « A moi aussi cela m’est arrivé » et d’une quelconque façon, ceci la rendit heureuse. Elle poursuivit son parcours et longea la mare, puis tout à coup elle revit le quadrupède qui l’avait conduite jusqu’ici. L’animal évoluait dans un groupe de son espèce, peut-être sa famille. Ne voulant pas les déranger, Lise s’éloigna doucement de ce paisible coin de nature.

Quand elle sortit de ces bois, elle se retrouva complètement à découvert sur la plage. Elle se demanda tout de même comment ces circonstances avaient pu se produire. Alors que Lise était noyée dans ses réflexions, elle ressentit des frissons parcourir son corps. Ainsi, sentit-elle le vent se lever à très grande vitesse. Et machinalement, la jeune femme essaya de trouver un abri. Brusquement, une violente bourrasque de vent la déstabilisa. Une grande branche lui frappa sauvagement la tête et aussitôt, Lise perdit connaissance.
Comme elle entendait des voix, ses paupières se rouvrirent lentement. Plusieurs secouristes l’entouraient et quand elle fut complètement réveillée, Lise se leva, regarda le décor et se figea instantanément à la vue de son environnement. La totalité des dunes était réapparue et son nouveau petit coin de bonheur, lui, avait complètement disparu. Les sauveteurs lui demandèrent comment elle en était arrivée là. Elle ne voulut leur répondre, de peur de finir comme le jeune homme du reportage : la risée des médias.
Lise quitta la plage, soutenue par les secouristes. Elle oscillait entre rêve et souvenirs. C’est alors qu’une subtile odeur lui caressa les narines, l’odeur tellurique de la douce sylve.