Il est temps

29 avril 2022.
 

Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, Lise marcha vers cette troublante épave.

Au fur et à mesure qu’elle s’en approchait, une forme humaine se dessinait avec plus de précision.

Son corps semblait être recouvert d’une étrange matière qui ne ressemblait ni à des algues ni à du tissu.

De longs cheveux d’un noir profond recouvraient son visage. Une rafale de vent en souleva une frange, découvrant des joues rougies par les embruns, légèrement ridées, et zébrées de fines égratignures.

Lise sentit son cœur s’emballer, une bouffée d’angoisse la submergea. Elle se pétrifia devant ce corps se demandant comment il était arrivé là, et surtout s’il était vivant ou mort.

Un éclair déchira l’horizon, sortant Lise de sa torpeur. Le grondement du tonnerre fit vibrer l’atmosphère. Une main bougea.

Lise sentit ses jambes l’abandonner. Un cri résonna en son for intérieur, pourtant elle n’émit aucun son. Le bruit provenait du corps échoué qui venait de se redresser subitement, lui montrant un dos dénudé que de longs cheveux venaient recouvrir. Lise s’effondra sur ses genoux, le souffle coupé, blême ; elle sentait la panique l’envahir, une myriade de points noirs troubla sa vision, jusqu’à ne plus rien distinguer.

Le goût du sel fut la première impression désagréable qu’il ressentit. La deuxième le saisit dans tout son corps, détrempé et frigorifié. Face à lui se dessinait un horizon d’écume blanche sur un ciel chargé de nuages noirs. Hébété, il se demandait où il était, et comment il était arrivé là. Il n’en avait aucun souvenir. La dernière chose dont il se rappelait était la tempête qui avait frappé avec violence son habitation où il s’était abrité.

C’est alors qu’il la vit. Il se redressa brutalement sur ses jambes et fit un pas en arrière. Face à lui, se trouvait un corps de femme étrangement habillée, allongée sur le dos.

L’étonnement passé, il décida de s’approcher prudemment. Impressionné par cette figure d’un autre temps, il prit son courage à deux mains et lentement s’agenouilla vers son visage.

Pour Lise, un son étouffé lui parvenait, éloigné dans son esprit comme un souffle parasite. Elle distinguait mal les contours de ces bruits :
« Ame….ma….ame….. »
Le voile noir qui couvrait sa vue s’éclaircit, au même moment le son devint plus audible :
« Madame…. Madame…. »
Elle crut sortir d’un rêve mais la vue du visage qui se dessinait avec plus de netteté la fit subitement revenir à la réalité.

Face à elle, se tenait un être sorti tout droit de la préhistoire, un homme de Néandertal qui pourtant s’exprimait comme un homme de Cro-Magnon.
Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? D’où venez-vous ? Ces questions fusaient dans leurs esprits, pourtant seuls leurs regards s’exprimaient.

Plongés l’un dans l’autre leurs yeux se fixaient avec une rare intensité. Tout autour d’eux, semblait s’être figé. Ce n’est qu’au son d’une corne de brume qu’un cargo au large fit sonner que Lise prononça ses mots :
« Comment vous appelez vous ? ».
Interloqué par cette question, il répondit ;
« Êtes-vous réelle ? ».
En guise de réponse, elle lui saisit la main et la serra fort. Puis elle l’examina de haut en bas. Elle glissa sa main le long de son bras pour toucher du bout des doigts l’étrange habit qu’il portait. Constitué de petits lambeaux d’une matière lisse et légèrement gluante, ils formaient une sorte de manteau d’écailles ternes parfois transparentes ou translucides. L’homme fit de même avec les habits de Lise qu’il trouva doux et rugueux à la fois :
« C’est donc cela que l’on nomme tissu ! »
Lise ne fit pas attention à la remarque. Elle était trop intriguée par la matière de ses habits, elle n’en revenait pas, c’était bien du plastique !
« C’est impossible ! »
Ils avaient prononcé ensemble cette phrase que le vent emporta au large.
« Tu ne peux pas venir du passé, tu es vêtu de plastique » dit Lise
« Tu ne peux pas venir du futur, tu es vêtue comme dans le passé » lui répondit l’homme.
Le grondement de l’orage qui s’éloignait au large ponctua leurs échanges.
Lise se retourna pour contempler la forêt pétrifiée, puis interloquée elle demanda :
« En quelle année sommes-nous ? »
« Nous sommes en l’an 222 après le grand effondrement. »
Dans un murmure Lise répondit :
« C’est impossible, nous sommes en 2022 après JC. »
L’homme saisit les deux mains de Lise, les yeux rougis, des larmes salées ruisselant sur ses joues scarifiées :
« C‘est un miracle ! »
Lise se laissa bercer par l’irréalité de l’instant :
« Dis-moi qui tu es ! »
« Je m’appelle Espoir,… je vis sur une plage comme celle-ci, … dans le village de la forêt pétrifiée, j’ai 44 ans, et je suis professeur d’histoire. J’enseigne le monde d’avant l’effondrement à notre tribu. Chez nous il n’y a plus de végétaux, plus d’arbres, plus de plantes et très peu d’animaux,.. . Il n’y a plus de métaux non plus. Il ne reste de notre monde que des montagnes de plastique. La montée des eaux à l’origine du grand effondrement a tout emporté. »
Soudain le vent souffla plus fort, soulevant les grains de sable autour d’eux.
« Mais comment est-ce possible ? » s’écria Lise.
Lise tenait fermement entre ses deux mains celles d’Espoir.
« Il me reste peu de temps, je dois te transmettre un message. Il vous reste moins de 10 ans pour faire machine arrière et agir sur vos modes de vie sans quoi vous enclencherez le processus irréversible amenant au grand effondrement. »
Le vent souffla de plus en plus fort, déclenchant une tempête de sable. Bientôt Lise ne distingua plus Espoir. Le sable fouettait ses mains et son visage, l’obligeant à fermer les yeux.
Les dernières paroles qu’elle entendit furent :
« Lève-toi et mène l’humanité sur un autre chemin ».
Puis elle sentit le sable se dérober sous ses mains, le vent cessa instantanément. Lise ouvrit les yeux et ne vit qu’un tas de sable face à elle. Le soleil pointa à l’horizon.

Lise se retourna et découvrit avec stupeur que les dunes avaient repris leur place sur le littoral, effaçant la forêt pétrifiée.
Elle se leva, faisant face à l’océan. Avec la marée montante se rapprochait le bruit des vagues. Bientôt les eaux auraient tout recouvert.
Lise se retourna, d’un pas déterminé, elle se dirigea vers son destin.
Les élections présidentielles arrivent à grand pas, il est temps !