Et si ce n’était qu’un rêve

2 mai 2022.
 

Mais alors qu’ils s’arrêtaient à un jet de pierre, l’air défiant, il leur décocha son plus beau sourire.
« Ah les gars ! rugit-il. Ce que je suis content de vous voir ! »

Une flèche stoppa nette à ses pieds et vint s’ancrer dans le sol. Le sourire de Grigrori s’envola soudainement.
« Hé ! C’est quoi ce bordel ?! » brama t-il .
Des paroles incompréhensibles s’échangèrent entre les cavaliers. Trois d’entre eux descendirent et attrapèrent les poignets de Grigori afin de les lier fermement avec une grosse corde. Ce dernier, bouche bée, n’émit aucune résistance même lorsqu’il fut hissé, sans aucun effort, sur un cheval, tel un gros sac de pommes de terre et emporté par la troupe.
Après quelques heures de chevauché, l’équipé s’arrêta devant des portes en fer qui s’ouvrirent dans un bruit assourdissant. Grigori, le visage couvert de poussière noire ne voyait plus grand-chose. Le sang lui était monté à la tête et seuls les sabots du cheval qui le transportait, semblaient encore réels.
Il sentit soudain quelqu’un lui attrapait les chevilles et il tomba lourdement au sol, ce qui eut pour effet de le sortir de sa torpeur.

Autour de lui, une centaine de femmes, d’enfants le scrutaient avec étonnement. Grigori ne comprenait aucune parole.
« Hé, les gars, c’est un bal costumé, j’suis dans un jeu télé ou quoi ? ».
L’anxiété commençait sérieusement à monter et il se sentait bien trop faible pour tenter quoi que ce soit.

Un grand type vint l’attraper et le dirigea vers une maison de pierre qui ressemblait davantage à une sorte de prison qu’à un palais.
Sans aucune explication, la porte se claqua et Grigori se retrouva dans une cellule qu’éclairait une fenêtre de 30 cm de large maximum. Etant donné sa carrure, il en déduit qu’aucune sortie de secours n’était possible.
Le soleil commençait à disparaitre lorsqu’un vieillard pénétra enfin dans la bâtisse. Il se jeta aux pieds de KOZLOV et se mit à réciter des psaumes incompréhensibles.
« Eh relève-toi mon vieux. Tu joues à quoi là ? ».
L’homme ne se redressa qu’après avoir fini ses prières.
« Notre maître, notre Dieu, notre sauveur, tu es enfin parmi nous. Ta lumière est capable de sauver notre peuple. Je t’avais vu en rêve. Tu es notre espoir. ».
Un espoir ??? Grigori failli s’étouffer….
« Hé, tu parles ma langue, c’est quoi cette histoire ? Une blague ? Je suis pompier, moi. Je n’ai pas de pouvoir. Je veux juste rentrer chez moi et retrouver mes gars ! ».
Le vieillard ne lui laissa pas le temps de finir, qu’il lui libéra les mains et ouvrit la porte du cachot.
« Vois, homme venu de loin, comme mon peuple meurt peu à peu. Je suis le plus âgé ici. Nos enfants n’ont plus de quoi manger car seule la terre que tu vois devant tes yeux leur permet de se nourrir. Nous sommes entourés de terres non fertiles en dehors de ces remparts. Je t’ai vu en songe, ta bonté nous sauvera tous ! »

Grigori ne savait que répondre. Celui-ci resta la bouche ouverte, sans qu’aucun mot ne lui vint. Il ne possédait aucun pouvoir, comment pourrait-il donc sauver un peuple ? Certes, il avait acquis, au fil de ses missions, une certaine expérience des terrains accidentés, brûlés mais il n’avait aucune capacité à les rendre de nouveau vivants.
Une jeune femme aux cheveux couleur de jais s’approcha de lui. Elle était d’une beauté exceptionnelle. Une aura de lumière semblait émaner de sa personne. Grigori était sous le charme.
« Eh voyageur, je vois que tu as remarqué ma petite fille » dit le vieillard.
« Nawel est là pour te servir, et t’aider dans ta tâche. Elle a appris ta langue. Elle est à ta disposition ».
Le vieillard s’éloigna et les laissa seuls. Il renvoya sèchement tous les curieux qui entouraient Grigori depuis sa sortie du cachot.
KOZLOV sentait son cœur battre dans sa poitrine, ses mains étaient moites et sa voix semblait coincée au fond de sa gorge… Il ne put émettre qu’un petit « bonjour ».
« Seigneur », dit Nawel en s’adressant à lui
« Aide-nous, je t’en prie. Je serai à ton service, je deviendrai ton esclave »
Grigori n’en demandait pas tant, mais une petite étincelle, au fond de son cœur, lui permit t’entrevoir un peu d’espoir, cet espoir qui semblait avoir quitté ces Iakoutes, il y a bien longtemps.
Grigori apprit à connaître Nawel. Jamais, à ses yeux, elle ne pourrait être une esclave. Rien que ce terme le mettait dans une colère noire. Nawel était douce, intelligente.

Ils partirent à deux, en éclaireur, en dehors des remparts. Le monde y était triste, sans vie et d’une noirceur terrible. Pourtant, d’après ce que Grigori avait entendu, aucun incendie n’avait fait rage depuis au moins 100 ans, mais toute trace de vie semblait éteinte.

Nawel lui raconta son enfance morose, son envie d’apprendre, refoulée par le fait d’être une fille. Néanmoins, son grand-père dans sa vision céleste, l’avait vue aider un étranger à libérer leur peuple de la famine. Elle avait ainsi était autorisée à apprendre plusieurs langues de « blancs », afin de pallier l’éventualité de cette venue (qui pour son grand-père était une certitude).
« Nawel, tu es une fille magnifique » lui dit un jour Grigori.
« Tu ne dois pas rester ici. Ce peuple ne te respecte pas. Tu es une femme pas une esclave. Tu n’as à servir personne et tu dois vivre tes rêves ».
Nawel ne répondit pas. Elle ne pensait qu’à une chose : sa famille. Sa famille qui mourait un peu plus chaque jour, confrontée à un manque crucial et vital de nourriture. Il fallait réussir à faire pousser des vivres. Sa liberté ? Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait représenter. Elle avait été élevée dans la croyance qu’être fille était avant tout servir son mari, sa famille, son peuple.

Grigori n’avait qu’une envie : la sortir de là mais il fallait avant tout qu’il trouve une solution pour aider ces Iakoutes à se réapproprier leurs terres.
Il semblerait en effet, qu’aucune tentative n’ait été entreprise pour sauver ce triste paysage.

Grigori savait par expérience, que rien n’est jamais perdu mais que la première chose à faire était de trouver un moyen d’irrigation.
Bien sûr, et malgré la bonne volonté du peuple, aucun tuyau en plastique ne fut trouvé dans la forteresse. Les habitants semblaient même en ignorer le vocabulaire. Mais Grigori mit la main sur un tas de branches larges, asséchées par le temps et les températures extrêmes. Il ne mit en tête de construire des voies d’irrigation afin que l’eau d’un puit très profond puisse atteindre l’extérieur de la forteresse, là où toute forme de vie semblait à jamais éteinte.

Le travail fut gigantesque, mais avec l’aide de plusieurs hommes, ils parvinrent enfin à créer un léger écoulement jusqu’à la sortie.
Les Iakoutes y virent presqu’un miracle mais le chemin serait encore long avant que quoi que ce soit puisse pousser sur ces terres.
Nawel restait près de Grigori, toujours prête à lui offrir son aide.
Grigori attendait le soir avec impatience, le seul moment reposant de sa journée, pour pouvoir discuter avec Nawel.

Tous deux appréciaient ce moment, calme et reposant, pour parler de tout et de rien. En discutant, ils semblaient venir de deux mondes complètement différents. Grigori ne pouvait s’empêcher de faire quelques réflexions à Nawel, car celle-ci n’était pas au courant de ce qu’était un hélicoptère.
Malgré tout, leurs sentiments ne faisaient que croitre même s’ils ignoraient où cela pouvait les mener. Le vieillard avait promis au pompier, la liberté dès que son peuple serait sauvé.
KOZLOV avait l’impression d’être là depuis des mois, à la fois prisonnier et libre de ses pensées.
Ses hommes restaient si présents (il pensait au crédo des pompiers, le fait de ne jamais lâcher ses hommes lorsqu’un danger survient). Il lui semblait pourtant les avoir lâchement abandonnés et cela le rendait malade. Et l’Avialessokhrana qui était surement réparé maintenant...
Un soir de déprime, il en fit part à Nawel.
« Je t’apprécie beaucoup, mais je ne me crois pas capable d’aider davantage ton peuple. J’ai des hommes, ici quelque part. Je n’arrive même plus à savoir depuis combien de temps je les ai quittés. Je dois savoir s’ils sont encore en vie. Nous pompiers, on doit être solidaire. Je vais devoir partir, dès demain, mais je te promets de tout faire pour revenir et t’aider. Je ne peux plus attendre, je dois savoir ce que mes potes sont devenus ».
Nawel ne prononça pas un mot. De fines larmes coulèrent sur ses joues rosies par le froid. Elle se blottit contre Grigori qui sentit une douce chaleur se répandre dans son corps. Ils s’endormirent dans les bras l’un de l’autre.
Quand le jour fut levé, ni l’un ni l’autre ne savait que dire. Mais Nawel fut la première à ouvrir la bouche.
« Je sais que tu dois partir, je comprends tes inquiétudes mais mon cœur ne cessera jamais de penser à toi. »
Grigori retira alors le pendentif qui ne le quittait jamais depuis qu’il était devenu pompier. Ce dernier lui avait été transmis par son père, juste avant que ce dernier ne perde la vie dans une mission.
« Garde ce pendentif. Il m’est très précieux et m’a toujours protégé. Dorénavant, ce sera ton protecteur. Chaque fois que tu te sentiras mal, que tu auras des doutes, serre le fort et il te permettra de réaliser tes rêves ».
Après quelques regards échangés, ils se levèrent. KOZLOV était bien décidé à reprendre sa liberté en main et à retrouver ses hommes. Après tout, que pouvait-il faire de plus ?

Lorsqu’elle poussa la couverture pour la rouler, Nawel ne peut s’empêcher de pousser un petit cri strident : la terre noirâtre la veille encore, était devenue verte… Un petit coussin d’herbes fraiches avait poussé pendant la nuit et ne semblait attendre le soleil que pour s’étendre davantage.
Elle courut à la forteresse en hurlant. Le vieillard approcha du lieu-dit et tous purent constater que l’étendue verte s’agrandissait à chaque seconde, tel un enchantement.
Grigori resta immobile, comme ébloui par cette vision.
« C’est pas possible, bon sang… Pas possible… complètement dingue c’t’histoire… »
Autour de lui, tout n’était que joie et bonheur. Les cavaliers étaient arrivés, les femmes et les enfants s’approchaient avec prudence et voyaient grandir la vie, à une vitesse totalement irréelle.
Grigori ne tint plus… Il jeta un regard à Nawel et pris la décision de courir aussi loin que ses jambes le lui permettaient.
Puis, l’atmosphère devint lourde. Grigori continuait de courir mais celui-ci devenait de plus en plus faible.
« Mes gars… mes gars… A l’aide » furent les dernières paroles de Grigori avant de sombrer dans un sommeil profond.

De l’eau glacée, le réveilla violement.
« KOZLOV et réveille-toi !!! On est sauvé ! Il y a l’hélico. Ca va aller gars. Accroche-toi. On va te sortir de là »
La suite se déroula dans un brouillard sans nom. Le bruit des hélices, le vent glacial, le brancard puis enfin… L’atmosphère douce et chaude…d’un lit.

Grigori eut beaucoup de mal à ouvrir les yeux. Il ignorait totalement où il se trouvait. Un de ses amis était près de lui et réagit immédiatement à son réveil.
« Hé beh ! Tu nous as foutu une de ces trouilles ! On a cru que t’étais mort ! Heureusement qu’on n’a pas mis plus de 10 minutes à te retrouver après ton départ. Tu as respiré des vapeurs d’oxyde de carbone. Les médecins ont dit que c’était moins une. Et l’hélico est presque arrivé aussitôt après… »
Un rêve… ce n’était donc qu’un rêve.
« Bon, je vais prévenir les potes. Ils vont être contents de te savoir de retour parmi nous ! ».
Un rêve, juste un rêve…
La porte s’ouvrit de nouveau, c’était une jeune doctoresse brune.
« Vous avez de la chance monsieur que vos collègues vous aient trouvé si rapidement. Maintenant, restez calme et tout ira bien. D’ici quelques jours, vous serez sur pieds. »
Grigori tourna la tête pour la remercier et sauta soudainement de son lit. La doctoresse pris peur.
« Monsieur, calmez-vous voyons, calmez-vous »
« Ce… ce collier, d’où le tenez-vous ? » put à peine articuler KOZLOV.
« Il est très ancien, il est dans ma famille depuis plusieurs générations mais je vous rappelle que vous devez vous reposer. Cette fois calmez-vous et je reviendrai plus tard ».
Elle tourna les talons et s’enfuit presque littéralement de la chambre.
Grigori tata machinalement son cou mais n’y trouva rien. Son médaillon, celui de son père n’était plus là et pour cause… Sous ses airs faussement familiés, la jeune doctoresse le portait tel un talisman, contre son cœur…