Agni

2 mai 2022.
 

Mais alors qu’ils s’arrêtaient à un jet de pierres, l’air défiant, il leur décrocha son plus beau sourire.
« Ah les gars ! rugit-il. Ce que je suis content de vous voir ! »

Un des cavaliers posa pied à terre et prit une longue et fine sarbacane. Grigori, très surpris, paniqua et se mit à courir pour échapper à ces étranges personnages ; mais d’un seul coup, il s’effondra à terre sur les feuilles mortes. Le soldat lui avait tiré une flèche sûrement empoisonnée dans le dos. Il s’était endormi…
Quand il se réveilla, il était pieds et poings liés sur le dos d’un cheval noir, soigneusement ligoté, derrière un homme enturbanné, au teint hâlé, vêtu d’habits soyeux et finement brodés ; il était armé d’un grand sabre dans un étui rouge, d’une longue sarbacane et de flèches dans un carquois d’arçon avec un bel arc. Il était entouré d’autres cavaliers armés et vêtus de manière identique, on aurait dit des frères.
Alors qu’ils approchaient d’un magnifique et majestueux palais oriental, deux gigantesques portes s’ouvrirent pour les laisser entrer. Grigrori fut jeté à terre, deux gardes arrivèrent vers lui et l’emmenèrent dans les cellules du palais. Il était prisonnier.
« Mais où suis-je ? Et qui sont ces gens ?, se demandait-il. Que vont-ils faire de moi ? »
Quelques dizaines de minutes plus tard, des gardes vinrent le chercher sans dire mot. Alors Grigori, tétanisé, les interpella brusquement :
« Qui êtes-vous ? Où suis-je ? Que me voulez-vous ? »
Aucune réponse.
Ils l’emmenèrent dans une magnifique salle du palais dans laquelle siégeait un maharadja enturbanné et coiffé d’une couronne de perles et de diamants, couvert d’éblouissantes étoffes aux couleurs chatoyantes. A ses côtés, de jeunes et jolies femmes dansaient accompagnées de musiciens sur des airs orientaux. Le maharadja désigna un siège sur lequel Grigori fut obligé de s’asseoir et l’interrogea :
« Qui êtes-vous ? Comment vous appelez-vous ?
— Je m’appelle Grigori Tikhonovitch Kozlov, je suis pompier et je vis à Oufa, aux portes de l’Oural, non loin des plaines de Sibérie. »
Le maharadja le dévisagea calmement et longuement de ses yeux noirs, perçants, ne comprenant pas un mot et rétorqua :
« Tu es l’homme qui a été désigné par nos dieux pour éteindre le feu qui menace mon palais, mes richesses, mon royaume tout entier. Le feu gagne du terrain chaque jour et devient de plus en plus menaçant et dangereux…Si tu refuses de nous aider ou si tu échoues, nous ferons de toi une offrande pour apaiser la colère d’Agni, notre dieu du feu. »
Grigori, interdit, désorienté et pris de panique dans cette situation surréaliste qui le submergeait complètement tenta de gagner un peu de temps et lui dit :
« Peux-tu me laisser réfléchir seul quelque temps dans ma cellule ? »
— Je te laisse deux jours, pas un de plus ; maintenant, va !
Gardes, ramenez cet homme dans sa cellule ! »
Il fut remis en prison…
Grigori se mit aussitôt à réfléchir avec ardeur à un moyen de sauver le palais du maharadja et sa propre vie par la même occasion…Il régnait une chaleur accablante…
Tremblant de peur, saisi par l’angoisse et ruisselant de sueur, il se concentra, la tête entre ses mains et tenta de trouver des solutions concrètes, mais en vain…On lui demandait l’impossible…C’est alors qu’il se mit à prier, prier encore et encore, sans relâche, pour qu’il se mette à pleuvoir des pluies torrentielles, qui, elles, parviendraient peut-être à venir à bout de ces flammes.
Tout en priant inlassablement de jour comme de nuit, il observait derrière ses barreaux dorés les soldats et serviteurs qui s’affairaient à préparer la scène en vue du sacrifice ; ils s’agitaient dans tous les sens comme dans une fourmilière tandis que des hommes, femmes et enfants défilaient, apportant d’innombrables offrandes, de fleurs et de fruits, en vue de la cérémonie qui se préparait.
Soudain…des bruits de clés le sortirent de sa prière ; les soldats venaient le chercher pour le mener devant ces flammes qui n’étaient plus qu’à quelques mètres du palais.
Fatigué, exténué, titubant - toutes ces couleurs vives, cette agitation et cette chaleur accablante l’étourdissant-, Grigori impuissant, et même totalement anéanti, chancela puis tomba genoux au sol…
Il fut alors trainé violemment, puis attaché… Ses derniers instants approchaient… lorsque… le ciel s’assombrit… et une fine pluie commença à tomber. Peu à peu, les nuages s’alourdirent et les fines gouttelettes laissèrent place à des gouttes de plus en plus grosses ; il tombait désormais une pluie diluvienne.
Les hommes, femmes, soldats, gardes…tous acclamaient le Dieu Agni, se prosternant à terre…
Quel sort attendait Grigori ? Qu’allaient-ils faire de lui ?

« Ohé ohé ! Grigori ?! Si tu m’entends, fais un signe !
— Il est inconscient mais respire encore. Déshydratation profonde… Il faut vite le perfuser et l’évacuer !
— D’accord docteur, je cours à l’hélico chercher le matériel… ! »

Un soleil de plomb sur fond de ciel bleu azur, limpide, sans l’ombre d’un nuage, se levait sur ce paysage dévasté, cette sombre et immense étendue d’arbres carbonisés de la taïga…