Les périples de Susie Morgenstern

écrit par Guillemette Vergne, élève de 4ème au collège de la Mézière (académie de Rennes)

14 avril 2009.
 

Corentin s’étonne de n’être pas plus impressionné. Remarquez, il ne s’est jamais évanoui de sa vie. Mais il n’a jamais rencontré de cadavre non plus. Monsieur Mouron est étendu dans toute sa rondeur. Il porte son costume trois pièces et son éternel nœud papillon. Ce gros dandy cachait ses bourrelets sous des vêtements impeccables. Par terre, tas flasque comme une flaque de boue, il a l’air paisible. Son rictus s’est transformé en sourire d’ange grassouillet. Chacune de ses cuisses est un tronc d’arbre. Cette masse est couverte d’un sang qui coule encore. Une aiguille de métronome en plein cœur, quelle fin horrible pour un prof de solfège. Corentin n’est pas attendri par cet ancien ennemi qui ne respire plus , même s’il l’a maintes fois maudit, il n’a jamais souhaité sa mort.
M.Mouron abusait de son pouvoir et se servait du solfège comme d’un instrument de torture. Mais qui en voulait à ce point à ce prof sadique ? Combien de fois a-t-il poussé Célia la violoncelliste aux larmes ? Et la petite Natacha, n’a-t-elle pas juré que si elle le rencontrait une nuit de pleine lune, elle lui enfoncerait sa flûte dans la gorge ? Et Guillaume, si sublime au piano, garçon massif et fort qui s’est écroulé après avoir raté l’examen de fin d’année en hurlant : « Qu’il crève ! » Mouron était aussi détesté par ses collègues du conservatoire. Mais nul ne le haïssait autant que la belle directrice, Madame Van den Blois, qui n’attendait que la retraite de ce croque-note. L’a-t-elle hâtée ? Et si oui, pourquoi ? Personne ne connaît le moindre détail de sa vie mais avec l’arrivée de la police, on ne va pas tarder à être servi.

Voilà, c’était fait : le concours « étonnants voyageurs » allait enfin pouvoir commencer grâce à cet incipit.
Il faut dire que les organisateurs commençaient à m’agacer à dire sans arrêt :

"Susie !Ton incipit !"

Mais j’avais enfin écrit cet incipit avec, il faut le dire, beaucoup de difficultés. Tout le monde avait beau dire que LA Susie Morgenstern était une auteure très connue, j’avais quand même fait beaucoup de phote dortografe en écrivant mon roman le plus connu « La sixième » .
Enfin là, il ne me restait qu’à rendre mon incipit. Du moins, je le pensais.

Dans la rue, autour de moi, tout était calme et plutôt sombre, ce qui n’empêchait pas le froid de me glacer les os. Je marchais vite en pensant au bon feu qui m’attendait chez moi et laissais mon esprit vagabonder à sa guise.
A part une ambulance, rien ne vint troubler le calme matinal de ce quartier de Paris.

Le local réservé au concours des étonnants voyageurs se trouvait là, en face du supermarché…enfin, ce n’était pas tellement réservé aux étonnants voyageurs : c’était la poste. Le VRAI local réservé aux étonnants voyageurs se trouve à St Malo, lieu du festival étonnants voyageurs.
Je sortais de la poste après avoir posté ma lettre avec le sentiment du devoir accompli quand un doute s’interposa dans mon esprit : après avoir imprimé mon incipit, j’avais tout de suite effacé de la mémoire de l’ordinateur mon texte pour ne garder aucun souvenir de ce travail pénible mais, si la lettre se perdait, si le camion apportant les lettres en Bretagne avait un accident ! Mon incipit serait à recommencer !

D’un pas décidé et une boule d’inquiétude au creux du ventre, je repartis vers la poste avec la ferme intention de récupérer ma lettre mais, quand j’arrivai près de la poste, un camion était déjà garé devant la boîte aux lettres.
Devinant à moitié de quel camion il s’agissait, je m’approchai de l’avant du véhicule et mes craintes se confirmèrent quand je lus le panneau « La poste » devant le siège du passager.
Je courus vers le conducteur du camion qui était en grande discussion avec le responsable de la poste qui s’énervait :

"Bien sûr que si, vous allez emmener les lettres à destination de la Bretagne, on vous paye pour tout le nord de la France alors…"

"Mais vous voyez bien que je n’ai pas la place, le coupa le conducteur du camion, vous devriez embaucher une autre personne ! "

Inquiète pour ma lettre, je m’interposai :

"M., si je peux me le permettre, je voudrais…"

"Non, vous ne pouvez pas, me coupa le responsable de la poste que je surnommais sans hésiter Môsieugrand’soreilles à cause de ses grandes oreilles que je voyais mieux à présent, à moins, bien sûr, que vous ne soyez la patronne de cet imbécile."

Il foudroya l’employé du regard.

"Ecoutez, ce n’est pas tout à fait cela, repris-je, mais, si vous répondez positivement à ma requête, je vous promets de faire quelque chose pour ce…problème."

C’était un mensonge mais c’était aussi le seul moyen de sauver mon incipit.

"Bien, bien, accepta Môsieugrand’soreilles de mauvaise grâce, je vous écoute."

Ma requête formulée, j’eus l’autorisation personnelle de Môsieugrand’soreilles de reprendre ma lettre.
Devant son air ébahi, je fis 20 photocopies de mon incipit « au cas où » lui dis-je. Puis, ne tenant pas ma promesse, je partis en courant sans jeter un coup d’œil à Môsieugrand’soreilles et à l’employé.

En arrivant sur une petite place ronde près de chez moi, je vis un attroupement autour d’un jeune garçon qui avait l’air de fixer intensément quelque chose. Quelque chose…un corps !!! En me rapprochant de plus près, je reconnu le corps ! Mais…ce n’est pas possible…ce n’est quand même pas…M.MOURON !!!!!! Oui, je le savais maintenant, c’était bien cet imbécile de prof de solfège que j’avais inventé avec son nœud papillon et son costume trois pièces !!
Je ne suis pas magicienne et pourtant, je l’avais fait apparaître ici, en plein Paris !! Quartier peu populaire, heureusement pour lui, et j’avais aussi fait venir Corentin (quand je l’ai reconnu, j’ai eu l’impression que le ciel me tombait sur la tête), ce garçon que j’avais voulu plutôt sage et que tout le monde regardait avec presque de la peur.
Lorsque, enfin, je pus m’approcher du corps grâce au vomi de quelqu’un qui dissuada les autres d’aller le voir, j’eus moi aussi un haut-le-cœur en reconnaissant l’aiguille de métronome que j’avais décrite comme horrible un peu plus tôt dans la journée. Après m’être renseignée auprès d’une personne, j’appris qu’une ambulance était déjà arrivée (sûrement celle que j’avais vue quelques minutes plus tôt) mais elle était repartie dès qu’elle avait rencontré le corps.
Personne n’avait compris pourquoi l’ambulance n’était pas intervenue c’est pourquoi les gens étaient restés là.
Soudain, une idée lumineuse m’a traversé la tête : si M.Mouron existait et était décédé à cause de moi, j’allais écrire la suite de l’histoire de façon à ce que tout se termine bien.
Aussitôt dit, aussitôt fait : je me mis à écrire la fin de l’histoire, une fin très différente du début, où la directrice, Mme Van den Blois, qui avait l’air de tant détester le « croque notes » qu’était M.Mouron, était en fait tombée follement amoureuse de lui quelques années plus tôt.
Dans cette fin de l’histoire, Corentin était l’assassin de M.Mouron mais il avait tué son professeur de solfège pendant une de ses nombreuses crises de somnambulisme et ce n’était donc pas sa faute. Bref, tout finissait bien, même pour Mme Van den Blois qui, finalement, se mariait avec le professeur de violoncelle.

Et le plus incroyable, c’est que CA A MARCHÉ !!
J’étais tellement contente que…j’ai glissé sur une peau de banane !!