Le sac à dos

écrit par Charlotte Rebours, élève de 1ère au lycée professionnel Victor Lépine à Caen (académie de Caen)

22 avril 2009.
 

Le sac à dos de Marine n’est pas comme tout le monde ! Elle s’assure tous les soirs qu’elle y a mis des pansements, de l’aspirine, du désinfectant, du fil et une aiguille, des crayons et des stylos en plus des cahiers blancs, des trombones, un stick de colle, des ciseaux, des mouchoirs en papier, des tampons, du sel et du poivre, de l’huile d’olive, une culotte de rechange, des enveloppes, son couteau suisse, un compas, une bouteille d’eau, des barres énergétiques, des allumettes, une pince à épiler, une lime à ongle, du savon, du shampoing, des cubes de bouillon, des sachets de thé, du sucre, des épingles à nourrices, du chocolat une lampe de poche, son téléphone portable, un dictionnaire, son doudou. On ne sait jamais quand il va falloir sauver une vie. Peut-être même… la sienne. Aujourd’hui, elle est allée jusqu’à y enfoncer sa brosse à dents et un tube de dentifrice neuf, son oreiller et tous les sous de sa tirelire. Parce que cette fois-ci ça y est, elle a décidé de quitter la maison. Il est temps que sa vie commence.

« A ce soir ma chérie ! » crie sa mère en entendant la porte claquer.

Marine ne répond pas. Elle part comme si elle, la bonne élève, la fille modèle, allait sagement au collège, comme tous les jours. Aujourd’hui, elle ne court pas, elle suit doucement ses jambes vers la gare. Aujourd’hui est le premier jour du reste de sa vie.

Marine aperçoit le toit de la gare, elle accélère le pas, et arrive enfin à sa destination. Elle se dirige vers le tableau d’affichage des horaires de trains et regarde attentivement. Elle hésite encore. Et puis après tout, ça fait tellement longtemps que sa mère la couve qu’il est temps de lui donner une petite leçon.

Cela fait plusieurs semaines que son sac est prêt, qu’elle y a ajouté jour après jour ce qui pourrait lui être utile. Et ce n’est que ce matin qu’elle s’est sentie prête à franchir le pas, et enfin sa mère pourrait la prendre au sérieux après ça, et comprendre qu’elle n’est plus son « petit bébé » d’autrefois. Elle ne le supporte plus et il faut que ça change.
Elle ne veut plus se sentir rabaissée, humiliée comme maintes fois elle l’a été. La petite fille modèle n’existe plus. Et puis, ce n’est l’affaire que d’un ou deux jours, pas plus, se répète t-elle.

Marine se dirige vers le guichet, demande un billet aller, et un retour, au cas où personne n’aurait l’idée de venir la chercher au bon endroit !!
Mais c’est peu probable, puisque c’est l’endroit où sa mère et elle se rendent lorsqu’elles veulent s’organiser une journée rien que toutes les deux, c’est à quelques heures de la maison. C’est là où irait en premier sa mère si elle devait la chercher. De cette façon, Marine se sent un peu plus rassurée.

Quelques heures plus tard, la jeune fille arrive dans cette petite ville au bord de la mer, dont le centre ville est peuplé de magasins. Pourquoi ne pas en profiter ! Elle descend du train, puis se dirige vers le parc où elle pourrait passer la nuit. Lorsqu’elle y arrive, elle dépose ses affaires et s’assied. Elle trifouille dans son sac pour en sortir quelques morceaux de chocolat et en sort aussi son oreiller et son doudou, puis s’allonge. La nuit commence à tomber et, heureusement, il ne fait pas froid. Marine perd un peu de son enthousiasme, car finalement, se prendre en main, ce n’est pas si simple, surtout quand on est seule, dehors et dans la nuit… Alors elle se recroqueville sur elle-même, tenant ses genoux entre ses bras.
Le matin, Marine se réveille tôt puisque petit à petit la ville s’anime elle aussi. Mais lorsqu’elle se lève, elle s’aperçoit que tout le contenu de son sac est éparpillé sur l’herbe. Elle commence à paniquer. En rangeant ses affaires, elle s’aperçoit qu’il lui manque quelque chose, mais quoi ? Elle n’a pas le temps d’y réfléchir, qu’une vieille femme aux cheveux grisonnants, en bataille et dégageant une mauvaise haleine de sa bouche édentée s’approche d’elle et lui dit :

« Ben, ma p’tite fille, qu’est-ce qu’vous faîtes là et toute seule ? »

« Et bien je veux changer, et prendre ma vie en main. »

« Mais ma p’tite mère,faut pas faire çà, pas en c’moment ! C’matin aux infos, j’ai entendu dire, que y a eu un meurtre… Y a un « serial killer » dans l’coin ! V’nez plutôt chez « moé » ».

Après une longue discussion, Marine accepte ; après tout, cette petite mamie n’a pas l’air méchante.
Arrivées à l’appartement, la grand-mère lui offre une tasse de chocolat chaud et quelques petits gâteaux secs. Marine observe l’intérieur de la maisonnée. Les différentes petites salles sont sombres, et puis il y a un long couloir qui mène à un étroit escalier. Une odeur de renfermé flotte dans l’appartement. Mais ce que remarque particulièrement Marine c’est qu’elle n’a ni télévision ni radio. Peu après, la jeune fille monte à l’étage, et dépose ses affaires dans l’une des chambres.

Sur les murs, le long de l’escalier sont affichés des morceaux de journaux décrivant des faits divers sur des meurtres plus horribles les uns que les autres. Sur des étagères, reposent plusieurs chats empaillés, les siens sans aucun doute, puisque leur nom est inscrit sur une plaque dorée. Et enfin, il y a une dernière porte, mais évidemment fermée à clef !
« Comme dans tout scénario de film à suspense ! » rigole t-elle. Finalement, elle passe toute sa journée à faire quelques magasins, à marcher et ensuite à dormir puisqu’elle n’a pas bien dormi la nuit précédente. Elle se réveille en plein milieu de la nuit, son ventre criant famine, et elle repense qu’elle n’a pas beaucoup mangé depuis vingt-quatre heures. Elle descend alors doucement sur la pointe des pieds vers la cuisine en essayant de ne pas faire craquer les escaliers, puis ouvre la porte du frigidaire. Elle y découvre avec horreur une sorte de masse rouge encore fumante, elle bégaye :

« Mais c’est un cœur ! »

Elle referme d’un coup sec le frigidaire, court et remonte. Arrivée dans son lit, elle voit une ombre sur son mur venant de dehors, à la lueur de la pleine lune. Elle se lève et que voit-elle ? Quelqu’un creuse dans le jardin ! Et étrangement, on dirait qu’il s’agit de la grand-mère.
« Mais où suis-je tombée ! Cette mamie ne peut pas tuer, elle a l’air si inoffensive. » se rassure t-elle.
Marine se jette dans ses draps car en l’espace d’un instant, elle a eu l’impression que l’ombre l’avait fixé. N’arrivant pas à s’endormir, elle avale d’un seul coup toutes ses gélules d’aspirines. Elle se répète :
« Je rêve, je rêve, je rêve… »
Et enfin elle s’assoupit.

Le lendemain matin, Marine se lève toute tremblante et transpirante, descend sans faire de bruit, reste cachée et observe la grand-mère. Celle-ci est dans sa cuisine, en train de nettoyer des couteaux, peut-être ceux qui lui ont permis d’assassiner… Alors, Marine s’avance l’air de rien, et fait la bise à la mamie qui lui dit :

« Ben ma p’tite mère, t’as bien dormi ? Pas d’cauchemars ? »

« Heu… non, répond Marine d’une voix tremblante. »

La grand-mère continue :

« C’te nuit, le « serial killer » a encore sévi ! Faut faire gaffe ! Ça fout les chocottes, hein ? »

« Heu… oui. »

Marine n’ose rien dire. Elle ne la regarde même pas dans les yeux, elle ne peut que remarquer sur ses avant-bras, des griffures à travers son châle, comme celles laissées par des mains humaines.
Pour cacher sa peur grandissante, elle plonge la tête dans son bol de chocolat chaud ;
En fin de matinée la vieille femme quitte l’appartement pour faire ses courses. Profitant de son départ, Marine remonte dans sa chambre et saisit son sac. Elle le fouille à la recherche de son portable.

« Ça suffit, se dit-elle, il est temps que je m’en aille d’ici ! »

Elle vide son sac entièrement, mais rien ; pas de portable.
« Mais bien sûr ! réfléchit-elle, c’est ce qu’il me manquait hier matin ! Je ne peux même pas appeler ma mère, mais comment vais-je faire ? Cette mamie a donc pensé à tout. »
La jeune fille blêmit, la panique l’envahit. Elle descend les marches quatre à quatre, se rue vers la porte d’entrée, essaie de l’ouvrir mais sans succès !
« Elle a pris ses précautions ! » s’écrie t-elle.

Et en observant les murs, elle s’aperçoit qu’il n’y a aucune fenêtre assez grande pour y passer, elle décide alors de remonter à l’étage avec l’espoir de trouver une issue. Mais, dans les chambres, de même, pas de fenêtres. Il ne reste plus que cette fameuse porte fermée à clef. Elle se met à quatre pattes au pied de la porte et regarde par la serrure, et voit la lumière du jour, donc il y a forcément une fenêtre. Marine sort de son sac deux épingles à nourrice et commence à trifouiller dans la serrure, elle l’a vu tellement de fois dans des films, que pour elle ce n’est qu’un jeu d’enfant. Arrivée à ses fins, elle pousse doucement la porte, avec la peur de découvrir quelque chose. Elle s’avance et voit au bout de la pièce une grande fenêtre, son visage s’illumine. Elle presse le pas, mais ne peut pas s’empêcher de regarder autour d’elle. Elle découvre des vingtaines d’étagères où sont disposés des bocaux, elle s’en approche et devine des organes.

« Mais sont-ils humains ou non ? Ce n’est même pas la peine d’y réfléchir, pense t-elle effrayée, il faut que je disparaisse de cet endroit. »

Elle prend dans son sac son vieux dictionnaire, et l’envoie à travers la vieille fenêtre. Elle s’y faufile en s’écorchant le bras avec les morceaux de verre, puis regarde vers le bas et s’aperçoit qu’il y a une sacrée hauteur entre le sol et elle, mais distingue de gros buissons. Alors elle souffle un bon coup et se jette dessus. Elle se relève, pleine d’égratignures sur le corps et le visage et court le plus vite qu’elle le peut, tout en regardant derrière elle, mais d’un seul coup, elle se heurte à un obstacle.
Elle tourne la tête, la boule au ventre, mais la pression retombe lorsqu’elle perçoit la raison de son brusque arrêt. Elle s’écrie tout en pleurant :
« Maman ! Si tu savais comme je suis contente de te voir, tu m’as tellement manquée. Tu ne devineras jamais ce qu’il m’est arrivé !

« Oh si, je sais, lui répond sa mère sèchement, et tu as retenu la leçon au moins ? »

« Quoi, crie t-elle, qu’est-ce que tu veux dire ? C’est… C’est toi qui as mis tout ça en scène, mais comment tu as fait et pourquoi ? »

« J’avais remarqué depuis plusieurs semaines que tu t’apprêtais à partir, il fallait que je fasse quelque chose enfin ! J’étais sûre que tu viendrais ici, et je connais cette vieille femme, alors j’en ai profité, mais en vérité cette maison est à moi. »

Sa mère la prend dans ses bras et la serre contre elle. Mais Marine, en entendant ses derniers mots, et en repensant à tout ce qu’il y a dans la maison, la repousse en fronçant les sourcils et lui dit apeurée :

« Et, alors, les assassinats ce n’était qu’une mise en scène ? »

Sa mère la regarde avec un petit sourire narquois…

« Moi aussi… J’ai plus d’un tour dans mon sac ! Telle fille, telle mère ! »