L’apprenti-détective

écrit par Kevin Evora, élève de 4ème au collège Jean Moulin à Uckange (académie de Nancy-Metz)

23 avril 2009.
 

Corentin s’étonne de n’être pas plus impressionné. Remarquez, il ne s’est jamais évanoui de sa vie. Mais il n’a jamais rencontré de cadavre non plus. Monsieur Mouron est étendu dans toute sa rondeur. Il porte son costume trois pièces et son éternel nœud papillon. Ce gros dandy cachait ses bourrelets sous des vêtements impeccables. Par terre, tas flasque comme une flaque de boue, il a l’air paisible. Son rictus s’est transformé en sourire d’ange grassouillet. Chacune de ses cuisses est un tronc d’arbre. Cette masse est couverte d’un sang qui coule encore. Une aiguille de métronome en plein cœur, quelle fin horrible pour un prof de solfège. Corentin n’est pas attendri par cet ancien ennemi qui ne respire plus, mais s’il l’a maintes fois maudit, il n’a jamais souhaité sa mort.
M. Mouron abusait de son pouvoir et se servait du solfège comme d’un instrument de torture. Mais qui en voulait à ce point à ce prof sadique ? Combien de fois a-t-il poussé Célia la violoncelliste aux larmes ? Et la petite Natacha,n’a-t-elle pas juré que si elle le rencontrait une nuit de pleine lune, elle lui enfoncerait sa flûte dans la gorge ? Et Guillaume, si sublime au piano, garçon massif et fort qui s’est écroulé après avoir raté l’examen de fin d’année en hurlant : « Qu’il crève ! » Mouron était aussi détesté par ses collègues du conservatoire. Mais nul ne le haïssait autant que la belle directrice, Madame Van den Blois, qui n’attendait que la retraite de ce croque-notes. L’a-t-elle hâtée ? Et si oui pourquoi ? Personne ne connaît le moindre détail de sa vie, mais avec l’arrivée de la police, on ne va pas tarder à être servi.

A peine arrivé sur les lieux, le commissaire Labavure, muni de son précieux carnet où se trouvent tous les indices et renseignements qu’il a inscrit - enfin, quand son stylo écrit ou ne coule pas - a commencé son enquête en interrogeant tous les élèves de monsieur Mouron ainsi que le personnel du conservatoire.
Et le pauvre commissaire a vite constaté que la victime n’était pas très populaire, c’est le moins que l’on puisse dire.
La belle et charmante directrice lui a proposé de s’installer dans la salle 36, et aussitôt installé, il a pu commencer son travail : les fameux interrogatoires dont on sait quand ils commencent mais pas quand ils se terminent...

Pour Corentin, cette histoire est tombée à pic, lui qui a une véritable âme de détective et qui est un fan du jeu de société, le cluedo, il est comblé. D’ailleurs, il s’est autoproclamé adjoint du pauvre commissaire qui ne voit pas d’un très bon œil ce pot de colle boutonneux qui le suit partout comme son ombre, et qui passe son temps les oreilles collées à la salle 36.
Pour ce jeune détective dans l’âme, la recette pour être un bon détective consiste à mélanger une pincée d’intuition, à ajouter quelques gouttes de persévérance, à saupoudrer le tout d’un jus d’audace et de quelques brins de folie, à y verser une cuillerée de perspicacité, puis à mélanger le tout pour obtenir un super détective !
Pour faire son travail sérieusement, Corentin s’est muni d’un carnet identique à celui du commissaire, et a commencé à noter les paroles des personnes interrogées, enfin ce qu’il a pu entendre car pour tout vous dire, la porte de la salle 36 était insonorisée car c’était la salle des cours de batterie.
Et pour rester dans la discrétion et s’amuser un peu plus, il a attribué aux personnes interrogées des noms empruntés à son jeu de société préféré, le cluedo.
C’est ainsi que le fort et robuste Guillaume est apparu sous le nom du colonel Moutarde, Célia la violoncelliste est devenue madame Leblanc, le prof de guitare le révérend Olive, madame la directrice mademoiselle Rose, et ainsi de suite…Il a donc maintenant en sa possession la liste des suspects, et il ne lui reste plus à trouver leur mobile et l’heure du crime.
Pour cela, il doit connaître leur alibi et pour le connaître, il va lui falloir redoubler de patience derrière cette maudite porte.

Pendant ce temps, le médecin légiste, sous l’ordre du commissaire, a examiné le corps et l’arme du crime, l’aiguille d’un métronome en or, en espérant y trouver des empreintes. Pauvre fin pour un métronome !
Lui, qui donne le rythme habituellement a servi à stopper le rythme du cœur de la victime.
Le médecin est parti ensuite informer le commissaire de ses découvertes : pour lui le crime a été commis vers sept heures et il n’a pas relevé d’empreintes sur l’arme du crime. Le coupable avait mis des gants, c’était donc un meurtre prémédité.

Pendant ce temps, Corentin toujours caché derrière la porte, a décidé de passer à la vitesse supérieure.
Pour cela, il faut qu’il intercepte le carnet du commissaire et l’échange avec le sien. Il l’a donc suivi pendant sa pause aux toilettes, et a attendu qu’il ait posé son fameux carnet sur le bord du lavabo pour procéder à l’échange, ni vu ni connu, car le commissaire était trop occupé à fixer son postiche sur sa tête.
Le pauvre commissaire, il a cherché pendant plus de trente minutes son précieux bloc-notes : sous les lavabos, derrière les portes des toilettes, dans ses poches... Et en lisant le contenu du carnet de substitution, rempli de noms d’emprunts, tels le colonel Moutarde, mademoiselle Rose et tous les autres, il a fini par conclure à une plaisanterie de mauvais goût de la part de l’un de ses collègues.

Cela a permis à Corentin de connaître les alibis des différents suspects inscrits sur le carnet qu’il avait dérobé. C’est ainsi qu’il a découvert que le fort et robuste Guillaume, alias le colonel Moutarde, ne pouvait être le meurtrier car à sept heures, heure du crime, il était encore dans le bus qui le conduisait au conservatoire. Enfin, il a surtout appris que le fort, le robuste et si sublime au piano Guillaume n’était pas si fort et robuste que ça, juste sublime au piano, car pendant tout l’entretien, ses genoux n’avaient pas arrêtés de s’entrechoquer en imitant des castagnettes. Corentin l’a donc rebaptisé le colonel Chamallo.

Natacha, la joueuse de flûte, elle était aussi dans le bus à l’heure du crime et pouvait ainsi confirmer la présence des uns et des autres, ainsi que leur heure d’arrivée.

Quand à Célia, la violoncelliste, elle avait également un alibi en béton, ou plutôt en émail, car à cette heure-là, elle était en train de se faire soigner les dents chez son dentiste, à qui elle aurait bien voulu enfoncer son archet en travers de sa gorge, tant elle avait eu mal, d’après les écrits du commissaire.

Enfin le révérend Olive alias le prof de guitare, était arrivé vers huit heures avec sa femme, comptable au conservatoire.
Il avait donc un témoin. En fait, il n’y avait qu’une seule personne qui n’avait pas d’alibi et c’était la même personne qui avait découvert le corps du cadavre et prévenu la police et les secours. Et cette personne n’était autre que la belle directrice alias mademoiselle Rose.
En plus, tout le monde ici savait qu’elle avait eu une liaison avec la victime, le terminator du solfège, et qu’il avait fini par la rejeter.
Pourquoi ? Car il s’était servi d’elle pour couvrir ses conflits de plus en plus fréquents avec ses collègues et élèves. En tant que directrice, elle couvrait systématiquement tous ses excès auprès des élèves, afin de le protéger, car aussi bizarre que ça puisse paraître, elle l’avait aimé et là où les autres voyaient en lui un monstre sans cœur, elle, elle avait su lui trouver du charme.
Sans doute avait-elle été éblouie par son obsession de la musique. C’est bien connu : la musique adoucit les mœurs et l’amour rend aveugle.
Lui, par contre, il ne l’avait jamais aimée, et ne la respectait pas plus que les autres personnes : dans son esprit, il était le virtuose du solfège, le Mozart des notes et des gammes, et personne n’était à sa hauteur, pas même la jeune et jolie directrice.
D’ailleurs, tout le monde s’était posé des questions sur ce couple si mal assorti, lui si strict et si vieux, toujours tiré à quatre épingles, et elle, à la fois si jeune, si douce et si ambitieuse, qui se servait de son charme pour éviter les conflits et s’imposer en douceur. C’était un peu le remake de la Belle et la Bête au conservatoire. Elle avait fini par comprendre qu’il s’était servi d’elle et aujourd’hui elle le haïssait plus que tout, plus qu’un végétarien devant un steak haché rouge vif.

C’est à ce moment là, en lisant le carnet du commissaire, que Corentin s’est souvenu de quelque chose de capital, monsieur Mouron avait offert à sa bien-aimée au début de leur liaison un métronome en or !
Symbole de son amour pour sa seule véritable raison de vivre, la musique !
Elle en était si fière qu’elle l’avait exposé dans son bureau, bien en évidence. Il ne lui reste à présent qu’une solution, retrouver cet objet pour voir s’il lui manque son aiguille.
Pour cela, il faut qu’il pénètre dans le bureau de la directrice, et ça c’est plus facile à dire qu’à faire, même pour un jeune et talentueux détective en herbe comme Corentin.
Après avoir longtemps réfléchi, il finit par choisir la voie de la prudence et c’est ainsi qu’il prend la décision d’inonder les toilettes en laissant un robinet de lavabo ouvert, afin que le premier étage du conservatoire soit évacué.
Corentin en profitera pour aller fouiller le bureau de la directrice. Mais ce plan qui aurait pu marcher ne tient pas compte d’un détail, le commissaire Labavure !
Celui-ci a commencé à se poser des questions car depuis un bon moment, il n’a plus vu ou entendu ce pot de colle de Corentin, et, pour un commissaire, cela semble suspect.

Il a fini par le retrouver dans les toilettes, où notre jeune détective essayait d’enlever un chewing gum collé sous sa chaussure. Corentin est pris sur le fait, avec le carnet du commissaire dans sa poche.
Celui-ci s’énerve devant ce voleur d’aide-mémoire, lui met les menottes et décide de le conduire chez la directrice, afin qu’il soit puni.
Pour Corentin, c’est une vraie aubaine, car grâce au commissaire et à sa complicité involontaire, il va enfin pouvoir se rendre dans le bureau de la directrice et poursuivre son enquête.
Il n’a plus besoin d’inonder les toilettes pour faire diversion.
En chemin, ils échangent leur point de vue, mais le commissaire ne veut pas croire à la culpabilité de la charmante directrice, car pour l’instant, il privilégie la piste du professeur de guitare, alias le révérend Olive.
Car selon lui, l’alibi de ce dernier, c’est-à-dire le témoignage de son épouse, n’est pas fiable à cent pour cent, car celle-ci est trop proche du suspect pour être neutre.
Et puis après tout, la parole d’un voleur ne vaut pas grand-chose.

Il le conduit au bureau de la directrice et le laisse seul avec elle. Eh oui, seul aux prises avec la coupable, sacré commissaire Labavure !
Corentin, en attendant son verdict constate que le métronome en or a disparu du bureau, mais il reste des traces nettes dans la poussière indiquant sa présence récente à cet endroit.
Il décide de tout dire en espérant la faire craquer, et que prise de remords, elle avouera à son tour.
Au lieu de ça, elle est devenue toute rouge, rouge de colère, ses yeux se sont injectés de sang, des rides sont apparues sur son joli visage, le son de sa voix mélodieuse s’est transformé en une voix grinçante comme un violon mal accordé, son doux visage s’est métamorphosé.
La charmante directrice a perdu tout son charme. On dirait l’incroyable Hulk, mais en rouge, ou plutôt une tigresse prête à bondir sur sa proie.

Pauvre Corentin ! S’il pouvait disparaître dans un trou de souris, il le ferait aussitôt.
Elle se met à avancer sur lui d’un pas animal, et finit par prendre son élan pour lui sauter dessus afin de lui tordre le cou et lui faire passer l’envie de jouer à l’apprenti détective.
Mais dans son élan, la furie heurte la chaise de son bureau, son sac à main qui était posé dessus tombe à terre, son pied gauche s’accroche dans la lanière en cuir de celui-ci, elle trébuche et se retrouve nez à nez avec le contenu de son sac renversé : un tube de rouge à lèvre, un paquet de mouchoirs propres, un mouchoir usagé et le fameux métronome en or !

Aussitôt, Corentin en profite pour s’enfuir et chercher le commissaire. Celui-ci est surpris de retrouver chez la directrice l’objet, dont une partie a servi à tuer le pauvre monsieur Mouron, qui entre nous, ne se fera plus jamais de mouron.
Il la menotte sur le champ, et après lui avoir lu ses droits, il la conduit à sa voiture, fier comme un paon, le torse bombé, le sourire aux lèvres et le postiche sur sa tête de travers.

Encore une affaire résolue pour l’infatigable commissaire Labavure et sa célèbre intuition ! Mais, pour Corentin, une chose est certaine, dorénavant il se contentera de jouer au détective à la maison, en famille ou entre amis, autour d’une partie de cluedo. C’est beaucoup moins périlleux !