Tel un rêve

écrit par Nikita Momiroski, élève de 2nde au lycée du Dauphiné à Romans sur Isère (académie de Grenoble)

23 avril 2009.
 

Le sac à dos de Marine n’est pas comme celui de tout le monde ! Elle s’assure tous les soirs qu’elle y a mis des pansements, de l’aspirine, du désinfectant, du fil et une aiguille, des crayons et des stylos en plus des cahiers blancs, des trombones, un stick de colle, des ciseaux, des mouchoirs en papier, des tampons, du sel et du poivre, de l’huile d’olive, une culotte de rechange, des enveloppes, son couteau suisse, un compas, une bouteille d’eau, des barres énergétiques, des allumettes, une pince à épiler, une lime à ongles, du savon, du shampoing, des cubes de bouillon, des sachets de thé, du sucre, des épingles à nourrice, du chocolat, une lampe de poche, son téléphone portable, un dictionnaire, son doudou. On ne sait jamais quand il va falloir sauver une vie. Peut-être même... la sienne. Aujourd’hui, elle est allée jusqu’à y enfoncée sa brosse à dents et un tube de dentifrice neuf, son oreiller et tous les sous de sa tirelire. Parce que cette fois-ci ça y est, elle a décidé de quitter la maison. Il est temps que sa vie commence.
« A ce soir chérie ! » Crie sa mère en entendant la porte claquer.
Marine ne répond pas. Elle part comme si elle, la bonne élève, la fille modèle, allait sagement au collège, comme tous les jours. Aujourd’hui elle ne court pas, elle suit doucement ses jambes vers la gare. Aujourd’hui est le premier jour du reste de sa vie.

Marine est une jeune fille d’à peine douze ans et demi, pas très belle ni très proportionnelle, admet-on le. Déjà en classe de troisième, elle se croit supérieure à tous ses petits camarades de classe, tellement c’est une « fille à papa pourrie-gâtée ».
Le comble c’est qu’elle est persuadée d’être plus cultivée que tous ses professeurs, notamment ceux de sciences qui fabriquent des explosifs en tous genre à l’aide de nitrate de potassium ou d’on ne sait trop quoi.

Aujourd’hui est une délivrance. Marine va monter dans le premier train qu’elle aperçoit sur le quai de la gare. Une fois arrivée, elle guette l’horizon et distingue au loin trois policiers sortis de leur sommeil, à moitié embraillés, la tête dans le brouillard, courant après une espèce d’ivrogne mal fini qui, tout en chantant l’hymne national, fait des zig-zags et manque de s’étaler tous les deux mètres.
Prise de panique, la petite-surdouée-plus-intelligente-que-tous-les-inventeurs-les-plus-renommés-et-les-plus-farfelus, saute dans cette chose immonde et répugnante qu’est une fosse septique, communément appelée bouche d’égout. Elle entend des cris, elle ne comprend pas tout le dialogue de sourd qui a lieu quelques mètres plus loin, mais elle pleure toutes les larmes de son corps comme une casserole d’eau oubliée sur le feu qui déborde peu à peu. Ses intestins se tordent comme une route de rallye en épingles et, les fesses contractées, elle se mit à dégazer, après le stress.

Les forces de l’ordre sont enfin arrivées à neutraliser cet individu aux neurones défragmentés, avec un nez en moins et une « patte cassée ».
Marine s’est endormie là. Vingt minutes sont passées depuis l’arrestation de ce type, mais cela fait déjà une heure que la « belle » Marine ronfle et rêve au prince charmant. Bien évidemment elle ne fait qu’y rêver.
Mais dites-moi, sa vie commence vraiment à merveille : elle pointe le bout de son petit nez en trompette, doit plonger dans un magnifique tunnel tout propre, luxueux et confortable, et maintenant gît au sol comme un crustacé au soleil sur une plage abandonnée. Vous me direz que cette pauvre petite doit avoir une déficience psychologique, hormis qu’elle a 180 de Q.I. Pauvre de toi Marine, qu’est-ce qui a bien pu te passer par la tête ? Fuguer alors que chez elle, dans cette grande villa, elle a tout ce dont elle a besoin, sauf le plus important pour une jeune fille en pré-adolescence : l’amour de parents dignes, qui malheureusement ne pensent qu’à la réussite de leur fille, et la pousse à bout, la menace, pour qu’elle soit la meilleure. Être la première de la classe est une chose mais elle n’a pas une amie sur qui compter, juste des gamines qui servent de « bouche-trou » et qui sont encore plus niaises qu’elle !

Elle aurait pu mourir, se faire agresser par une bande de psychopathes s’étant échappés de l’asile, tomber dans une embuscade et se faire tabasser ! A cet âge ils sont vraiment tous inconscients du danger de la rue dont la société ne nous protège guère plus que ça. Cette naïve petite fille est pourtant l’une des plus parano de sa génération. Quand elle va ou rentre de l’école, qu’une voiture frôle le trottoir où elle se trouve, elle croit qu’elle va se faire emmener, ligoter, violer et tuer.

Trois heures passent et enfin elle émerge. Elle ouvre ses gros yeux tous croteux et regarde immédiatement si dans son sac rien ne manque (chose très importante à faire dans ces circonstances), surtout son huile d’olive, on ne sait jamais...
Elle se précipite ensuite vers la sortie, du moins ce qui sert de sortie, et se met à courir, courir, courir, courir, et encore courir. Elle tombe presque à chaque foulée mais se relève tout de même la tête haute. Elle sue comme un âne dans le désert et, sème peu à peu toute les allumettes qu’elle avait fourrée une par une dans sa poche toutes dans le même sens. Au bout de trente minutes, elle reprend un rythme normal et là, se rend à l’évidence, elle ne court pas, ne tombe pas, ne sue pas comme un âne, n’a même pas d’allumettes dans sa poche et son rythme cardiaques lui redescend tout de même, elle est en panique mais tout n’est que pure imagination, de l’invention totale, de l’illusion. Elle n’a pas décolé d’un pouce, elle est toujours sur le seuil de la porte... Elle s’est inventé un film digne de Spielberg ! Ou pas !

Triste vie pour cette petite fille. Elle qui rêve de quitter ce quotidien, cet enfer que lui font subir chaque jour ses parents, en lui infligeant de bosser dur tous les soirs après avoir fait de même toute la journée, autant que toutes les personnes de son école (élèves et professeurs) qui la méprise à cause de ses yeux de hibou et de son esprit un peu hurluberlu. Même lorsqu’elle va dans un lieu public tel qu’un parc, un sympathique petit parc tout simple, les gens la regarde du coin de l’oeil, et se mettent presque à courrir pour la fuir, mais pour quelles raisons ? Pourquoi ? Pourquoi ? Doit-on la plaindre ? La mépriser aussi ? Ou plutôt être de son côté, se dire que c’est une fillette toute mignonne comme toutes les autres de son âge, et que les gens ont de la peau de saucisse devant les yeux ! Non on ne peut pas faire ça ! Même les chiens la fuient quand elle approche dans les parages. Mon Dieu, quelle vie ! Mais quelle vie !