Programme de la journée "Lycées" (vendredi 2 juin)

22 mai 2006.
 

SALLE MAUPERTUIS

Quelle que soit leur nature - civile, interethnique, terroriste, régionale, internationale - les guerres d’aujourd’hui font payer - en souffrances et en vies humaines - un énorme tribut aux populations des régions qu’elles ravagent. Le XXe siècle, sommet à bien des égards de la civilisation, aura été aussi le terreau des plus atroces conflits que l’Histoire ait connus. Génocides, holocaustes, interminables flambées de haine et de violence... Séra, dessinateur franco-cambodgien, a choisi la bande dessinée pour revenir avec L’Eau et la Terre sur l’effroyable tragédie dans laquelle une idéologie folle a jeté son pays. Et c’est avec ses mots de fille que Valérie Zenatti tente d’y voir clair dans le conflit israélo-palestinien en plongeant l’héroïne d’ En retard pour la guerre dans un moment particulièrement tendu de l’histoire de la région, à l’aube de la première guerre du Golfe.

Mémoire endormie, effacée, endommagée par l’âge ou la maladie. Il suffit parfois de presque rien pour remettre en route ce formidable moteur de nos vies, pour rouvrir les portes de ce pays auquel nous aspirons sans fin à retourner. Chez Sylvie Robic (Les doigts écorchés), c’est un petit groupe de rock de Sheffield qui renvoie le narrateur aux turbulences de sa propre jeunesse. Dans Kathleen, de Fabrice Colin, c’est l’image obsessionnelle de l’écrivain Katherine Mansfield qui hante un homme atteint de la maladie d’Alzheimer. Parlons mémoire, cette contrée intérieure, ce musée de nos existences, ce lieu de nos dernières escapades quand tout autre espace nous sera refusé.

Comment devient-on un homme - une femme, en l’occurrence, puisque sur ce plateau nos deux intervenants sont deux intervenantes ? Chacune à sa façon raconte ce mystérieux passage à l’état adulte. Le rock sert de métaphore à Sylvie Robic dans Les doigts écorchés, tandis que Valérie Zenatti, avec Quand j’étais soldate, prend prétexte du service militaire dans le contexte troublé d’un Israël en guerre pour montrer les mécanismes subtils qui mènent de l’enfance à l’âge d’homme, désolé, de femme.

Un prof, une classe, une épopée. Une poignée d’ados de province, quelques guitares électriques, une odyssée. Point n’est besoin d’horizons lointains pour concevoir une littérature exaltante, une littérature utile et puissante qui place le quotidien sous la lumière crue de l’aventure. Le concept de "matière première" est une façon très anglo-saxonne de concevoir l’écriture. De quoi se sert-on, de quel matériau, pour composer ses histoires ? Certains savent transcender ce qu’ils ont sous le nez. C’est le cas de François Bégaudeau et de Sylvie Robic. On se penchera avec eux sur les secrets de confection de leurs derniers romans Entre les murs et Les doigts écorchés, tous deux sélectionnés pour le Prix Ouest-France - Étonnants Voyageurs 2006.


MAGIC MIRROR

Que nous l’ignorions ou feignions de l’ignorer, chaque pas que nous faisons en ce monde nous mène à recroiser notre passé. Nous sommes le produit de ce qui nous a précédés. Les naïfs qui rêvent de faire de jadis table rase se condamnent à ignorer de quoi demain sera fait. Il entre dans la fonction des écrivains et des artistes de garder ouverts les chemins qui nous rattachent à ceux de qui nous descendons. En jouant sur les dysfonctionnements d’un cerveau schizophrène, comme Fabrice Colin avec Sayonara Baby, sur les capacités du "si c’était" des enfants, comme Jean-Yves Loude dans Monsieur Poivre, voleur d’épices, sur la force évocatrice de l’image, comme Patrice Serres avec Qin, ils nous restituent intacts ces spectres qui ont encore tant à nous dire.

Certains convoquent les grands soubresauts de l’histoire, d’autres les aventures en mer de Chine. Mais c’est parfois beaucoup plus simple. La matière romanesque se trouve aussi à portée de main. En piochant dans son quotidien. Tout l’art consiste alors à rendre le vrai palpable, le banal extraordinaire. Il faut un regard. Une voix. Du talent. Trois choses dont François Bégaudeau (Entre les murs) et Valérie Zenatti (Quand j’étais soldate) disposent en abondance. Ni autobiographie, ni autofiction, le roman de l’individu, petite musique de l’intérieur, quand le personnel devient universel.

S’il est vrai que les histoires d’a. finissent mal en général, ce sont souvent elles qui font les meilleurs romans. Parlons romance avec nos écrivains, qui poussent le sentiment amoureux aux limites de leur imagination. Dans Jouer Juste, son premier livre, François Bégaudeau confronte avec l’humour froid qui est sa marque de fabrique amour du jeu et jeu de l’amour. L’Expérienceur, co-écrit par Lorris Murail et sa sœur Marie-Aude, revisite le mythe d’Orphée et envoie son héros aux confins de la mort pour l’amour d’une femme disparue. C’est aussi le souvenir d’un spectre adoré qui hante la mémoire défaillante du personnage de Kathleen de Fabrice Colin. Quant à Patrice Favaro (Le sang des mouches) c’est à Pondichéry qu’il va chercher la force d’aimer encore.

Deux façons de regarder à l’Est, où le soleil se lève et l’Avenir aussi. Deux auteurs-dessinateurs, Patrice Serres (Qin) et Séra (L’Eau et la Terre) nous parlent d’empires en formation et de régimes en décomposition, de fondation philosophique du monde et de dérèglements idéologiques sans précédent. Y aurait-il une conception typiquement asiatique de l’ordre humain ? À travers les intuitions géniales et les errances criminelles qui agitent depuis des millénaires cette moitié du globe, est-ce notre avenir qui est en train de se forger ? Nous en parlerons avec ces deux observateurs incroyablement qualifiés qui ont pris la peine, pour mieux nous les faire comprendre, de transformer leurs idées en images.


AUDITORIUM