Un très beau rêve

31 mars 2010.

Claire CHAIGNE, en 1ère au CNED, St Laurent du Bois (33), classée 1ère de l’académie de Bordeaux

 

Un très beau rêve

Victor était chasseur de rêves.
C’était un métier qui demandait beaucoup d’agilité, pour bondir de toit en toit, beaucoup de dextérité, pour manier le filet à rêves, beaucoup de courage, pour sortir seul la nuit et beaucoup d’imagination, pour effectuer un tri entre beaux rêves et rêves anodins, tout en évitant les cauchemars dangereux et les hallucinations inutiles.
Agilité, dextérité, courage et imagination.
Victor était agile, dextre, courageux et avait toujours fait preuve d’imagination. C’est d’ailleurs cette imagination qui lui avait permis, lorsque ses parents étaient morts, de ne pas se retrouver enfermé à l’orphelinat mais d’être embauché par monsieur Paul.
Mystérieux et inquiétant monsieur Paul.
Victor ignorait ce qu’il fabriquait avec les rêves qu’il lui achetait, pas très cher d’ailleurs, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. La seule chose qui comptait pour Victor, c’était de voir les songes se glisser à l’extérieur des maisons par les interstices entre les tuiles des toits, se déployer en fines volutes colorées, onduler un instant comme s’ils cherchaient leur route puis filer vers les étoiles.
Sauf s’il se montrait assez rapide.
S’il se montrait assez rapide et abattait son filet avec suffisamment de précision, le rêve finissait dans sa besace.
Une nuit de printemps, alors qu’il n’avait capturé qu’un petit rêve bleu et cherchait quelque chose de plus consistant à attraper, Victor aperçut une silhouette adossée à une cheminée.
Elle regardait le ciel et ne parut pas surprise lorsqu’il s’assit à ses côtés.
« Tu t’appelles comment ? »

Victor fixait l’homme, essayant de déchiffrer l’ombre planant sur son visage.
« Je m’appelle Victor » dit-il soudainement.
« Ah... Tu es un de ces chasseurs de rêves » murmura l’autre.
Un silence s’installa entre les deux individus, qui continuaient à s’observer mutuellement. Victor reconnaissait dans le regard de l’homme un personnage familier. Il cherchait dans son esprit, se demandant où il avait bien pu apercevoir celui-ci. A part monsieur Paul, il voyait peu de monde. Parfois même, pendant plusieurs mois, il restait sans parler à personne, étant trop occupé à s’imaginer quelles choses étranges pouvait faire son employeur avec les rêves qu’il lui ramenait.
« Mais vous êtes le Père Noël, s’écria-t-il, mettant enfin un nom sur le visage de la silhouette adossée. Que faites-vous ici en plein mois de juin ? »
« Et bien tout comme toi, je travaille ! Que crois-tu, j’ai du boulot en dehors de la période des fêtes, je ne fais pas que diriger des lutins, emballer des cadeaux et me fourrer dans des cheminées » répondit l’homme surpris par cette question.
« Ah bon ? Que peut-il y avoir d’autre à faire quand on est le Père Noël ? »
« Écouter les rêves des enfants. C’est un très bon indicateur pour savoir s’ils sont dans le droit chemin ou non. Vois-tu, je me place à côté d’une cheminée, comme maintenant, et j’attends qu’un songe en sorte. Quelques fois on peut également entendre des souhaits, ou des prières. Cela fait un doux son d’orgue et de flûte mélangées, et c’est grâce à ces sons que je juge si l’enfant est sage ou non, ce qui m’indique quelle qualité de cadeaux je devrais lui offrir. »
Victor écoutait l’homme parler des différents rêves qu’il avait déjà vu. Ce dernier racontait avec plaisir les joies de son « métier », et c’était la première fois que le chasseur de rêves enviait quelqu’un d’avoir autant de passion dans ses paroles.
« Au fait, appelle moi Francis, je n’aime pas trop qu’on m’appelle « Père Noël », ça me rappelle le boulot. »
Soudain, une lumière écarlate apparut derrière les deux hommes, éclairant la nuit pendant quelques secondes. Cette lumière se transforma en lueur, qui se transforma à son tour en une magnifique boule de feu bleue, s’élançant dans le ciel à une vitesse remarquable. Victor, fin connaisseur, s’exclama :
« Oh, quel beau rêve ! C’est la première fois que j’en vois un aussi vif et lumineux. Il faut absolument que je l’attrape ! »
Le rêve n’était pas comme les autres, il rebondissait sur les toits, filait vers le ciel, retombait sur les tuiles, puis continuait sa course folle. Il semblait ne pas vouloir s’échapper comme le font habituellement les songes, mais au contraire, il avait envie qu’on lui prête attention, qu’on le voit, et surtout, qu’on le regarde. Et il avait réussi. Victor et Francis, le Père Noël, couraient après lui avec le filet à rêves pour pouvoir le capturer. « Il doit coûter une fortune », pensait le chasseur, « monsieur Paul va être ravi ». Francis, qui le suivait toujours, car il ne voulait en aucun cas rater un tel spectacle, pensait à ce que pouvait contenir ce rêve, à qui il pouvait appartenir...
Mais Victor ne parvenait pas à l’attraper. Il s’acharnait en vain. A chaque fois qu’il s’approchait du but, il manquait sa cible de peu, et ne faisait que s’essouffler un peu plus. Alors qu’il était à quelques centimètres de la boule de feu, juste avant que le filet ne s’abatte sur elle, elle se faufila entre les tuiles d’une maison, disparaissant dans la nuit, ne laissant plus aucune lueur. Victor était dépité. Comment avait-il pu laisser passer un rêve comme celui-là ?
Francis, le rejoignant tant bien que mal, n’ayant pas autant d’agilité que l’autre homme, ne voulait pas croire qu’un songe pareil puisse s’être envolé comme cela.
« Je suis sûr qu’il va revenir, il n’est pas comme les autres songes, dit-il au chasseur. Passe-moi ton filet, j’ai toujours voulu essayer de chasser les rêves. »
Victor s’exécuta, ne croyant qu’à moitié aux compétences du Père Noël. Il ne pensait plus qu’à la tête que monsieur Paul ferait quand il verrait qu’il n’avait ramené qu’un ridicule rêve bleu. Mais une question persistait toujours : que pouvait-il bien faire de tous ces rêves ? Peut-être qu’il les renvoyait dans le ciel, qu’il s’en faisait des torches, ou encore qu’il les mangeait ? Cette pensée effraya Victor. Pourquoi quelqu’un mangerait une chose aussi précieuse qu’un rêve ? Non, c’était impossible que monsieur Paul fasse cela.
Cela faisait un moment que le Père Noël attendait sur les toits, Victor à ses côtés, espérant que la magnifique boule de feu fasse de nouveau son apparition.
Francis tenait le filet à rêves. Ses doigts s’agrippaient fermement au bout de bois frêle qui finissait l’objet. Il restait calme, droit, et observait lentement les environs, à la recherche du moindre mouvement entre les tuiles. Tout à coup, la lueur sorti d’une cheminée isolée, elle bondit dans le ciel, faisant jaillir des flammes de toutes les couleurs. On pouvait entendre des voix venant du rêve, certaines semblaient tristes, d’autres en colère, d’autres encore semblaient pleines d’espoir. « Ce rêve doit être vraiment spécial », pensa Victor, « je n’avais encore jamais vu ça ». Sans un bruit, Francis s’approcha de la boule de feu, lentement, délicatement, ne voulant l’effrayer. Puis il aplatit le filet au sol, sans aucun signe avant-coureur, entraînant avec lui le rêve, et resta comme cela un instant, voulant être sûr que ce dernier ne se débattrait pas. Victor était impressionné par la dextérité du Père Noël.
Cette nuit avait vraiment été mauvaise pour le chasseur de rêves. Dans son filet, il ramenait un petit rêve bleu, insignifiant, et un magnifique rêve écarlate, qu’il n’avait même pas réussi à attraper lui-même. Mais le jour commençait à se lever, et il fallait qu’il rentre, accompagné de Francis, qui, pour une raison inconnue, avait absolument voulu venir avec lui. Arrivé à destination, Victor eu droit à la phrase habituelle :
« Alors, qu’est-ce que tu me ramènes aujourd’hui ? J’espère que tu as fait du bon boulot, sinon tu sais ce qui t’attend. Pas de pain pour demain » dit l’étrange monsieur Paul. « Mais, qui ramènes-tu avec toi » ajouta-t-il, surpris.
« Tiens, cette fois-ci il a dit quelque chose de nouveau », pensa Victor, qui s’empressa de répondre :
« C’est le Père Noël, vous ne le reconnaissez pas ? »
« Le Père Noël, hein ? Et que fait-il là ? » grogna l’employeur.
« Je vais vous le dire moi-même » répondit simplement Francis, un peu vexé. « J’ai toujours voulu voir comment travaillait l’incroyable monsieur Paul dont on me parle tant dans ma région. Tout le monde n’a qu’une seule question à la bouche : que faites-vous des rêves que vous récoltez ? Voyez-vous, moi-même je les utilise pour mon travail, mais je les écoute seulement, je n’ai pas besoin de les attraper... »
« S’il vous plaît, arrêtez de parler ! Je vous dirai tout ce que vous voudrez si vous voulez bien vous tair »e hurla monsieur Paul, extenué.

Victor était une fois de plus impressionné. Quelqu’un avait enfin réussi à faire parler le mystérieux monsieur Paul. Il s’averra que ce dernier ne faisait rien de particulier avec ces rêves, il aimait les collectionner, et les conserver dans une solution qui faisait que les propriétaires et créateurs de ceux-ci s’en souvenaient à leur réveil. C’était pour lui, en quelque sorte, une passion.
« Quel magnifique rêve » dit-il, impressionné par la vue du songe que Francis avait eu temps de mal à attraper. « C’est la première fois que j’en vois un de ce type en vrai ! J’en avais entendu parler, mais jamais je n’avais voulu le croire. »
« Nous avons eu beaucoup de mal à l’attraper, il ne faisait que virevolter dans le ciel, mais sans jamais s’en aller pour de bon, comme s’il souhaitait qu’on l’attrape » déclara Victor, des étoiles pleins les yeux en se remémorant la scène.
« Il voulait sûrement que son propriétaire se souvienne de lui , ça doit être un rêve très particulier. »
« De qui est-il ? » demanda Francis.
« Il faut d’abord que je le « lise » pour le savoir. »
Monsieur Paul passa le rêve dans une solution verdâtre, pour le conserver, pris une loupe, et examina soigneusement le bocal qui contenait cette solution. Il lui fallut plusieurs semaines pour arriver à le décrypter. Quand il eut enfin fini, il changea le rêve de flacon, le mit dans une nouvelle solution, pour que le propriétaire se souvienne enfin de son songe, colla une étiquette sur le flacon, prit un feutre et marqua de son écriture si particulière : « 25 août 1963, Martin Luther King. »