Grozny, chronique d’une disparition

Manon Loizeau (Capa TV, 2003, 45’)

27 avril 2010.

23 mai 2010, Maison des Associations, 10:30

 

Grozny, Février 2003. Zone interdite. Pendant deux semaines, nous avons vécu avec ses habitants, partagé leurs souffrances, leurs espoirs aussi. Nous avons pu filmer dans le premier salon de beauté de la ville. Pour les femmes de Grozny, rester belle et digne est un moyen de résister.
A l’université de Grozny, nous avons suivi Anissa, 22 ans. Etudiante en droit à Moscou, elle est revenue en Tchétchénie, "pour reconstruire sa ville".
Mais le lieu le plus dangereux de Grozny, c’est la faculté. Des rafles ont lieu au moins une fois par semaine. Des dizaines d’étudiants ont été emmenés, certains ne sont jamais revenus. Malgré le danger, des milliers de jeunes viennent assister aux cours.
Nous avons suivi Bislan, ancien combattant, devenu médecin au Samu de Grozny. Nous avons partagé son quotidien dans son ambulance, qui régulièrement se fait tirer dessus par les russes. Mais Bislan est aussi "chercheur de pétrole" pour survivre car les salaires sont très bas et l’or noir inonde le sol tchétchène.
Nous avons rencontré Adam, 25 ans, le jour de sa libération. Adam sortait de 7 semaines d’enfermement et de tortures infligées par "les escadrons de la mort". Nous avons filmé ses retrouvailles avec sa mère, sa famille, ses amis.
Enfin, nous avons pu filmer dans la maternité de Grozny.
Les mères de Grozny ont une mission : donner vie pour repeupler la Tchétchénie. On compte une trentaine de naissances par jour malgré des conditions extrêmes.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Documentaire

Tchétchénie, une guerre sans traces

- 2014

Manon Loizeau, alors correspondante à Moscou, a découvert la Tchétchénie en 1995, lors de la guerre déclenchée par Boris Eltsine contre ce petit pays du Caucase pour le punir d’avoir proclamé l’indépendance. En 1999, c’est Poutine qui, au prétexte de lutter contre le terrorisme, lançait ses blindés et ses bombes contre les Tchétchènes, ciblant combattants et civils avec une égale férocité. Vingt ans et quelque 150 000 morts plus tard, la réalisatrice retrouve un pays "pacifié" par la terreur qu’inspirent désormais les milices tchétchènes, et non plus l’armée russe. Inféodé à Moscou, le régime du président Ramzan Kadyrov s’emploie méthodiquement à éradiquer la mémoire de la guerre comme l’histoire du pays, et impose un culte de la personnalité digne de l’ère stalinienne.

Disparitions

Généreusement financé par la Russie, le jeune Ramzan Kadyrov (38 ans) a aussi spectaculairement reconstruit son pays ravagé par la guerre. Grozny, capitale rasée par les bombes il y a dix ans, a pris des allures de Dubaï, avec néons, centres commerciaux et mosquées rutilantes. Ses avenues neuves portent les noms des principaux bourreaux de la population, Poutine en tête. Mais chaque jour, des gens continuent de disparaître, victimes du pouvoir absolu d’un gouvernement qui s’arroge ouvertement le droit de torturer et de tuer. De rares voix dissidentes prennent pourtant le risque de dénoncer cette terreur d’État : une femme harcelée par le pouvoir, qui raconte comment, peu à peu, son clan est décimé dans le silence ; le Comité des mères de Tchétchénie, fondé lors de la première guerre, qui en vingt ans de combat n’a retrouvé que deux personnes vivantes sur les 18 000 portées disparues ; un couple de vieux paysans dont les deux filles, enlevées un soir à Grozny par des miliciens, n’ont jamais reparu ; le Comité contre la torture, enfin, un collectif de jeunes juristes russes qui enquête sans peur sur les disparitions et les conditions de détention, et dénonce "une petite Corée du Nord" au sein de la Fédération de Russie… Dans ce "tunnel sans lumière" décrit par Madina, présidente du Comité des mères, Manon Loizeau a pu aller à leur rencontre en se cachant et en rusant, et même suivre le procès d’un politicien respecté, Rouslan Koutaiev, accusé sans aucune vraisemblance de détention d’héroïne et jugé par un tribunal aux ordres. En réalité, sa "faute", sanctionnée par quatre années de prison, avait consisté à braver l’interdiction de commémorer le 70e anniversaire de la déportation des Tchétchènes par Staline. Un témoignage poignant, exceptionnel, sur la tragédie d’un peuple que le monde a oublié.

(Source : Arte)