Annelise Roux, Bordeaux, le 25 juin 2010

28 juin 2010.
 

Les amis,

J’étais à Paris, puis à Marseille, je suis rentrée à Bordeaux où depuis hier la "Fête du vin" bat son plein, sous un soleil éclatant. Ceux d’entre vous qui ont quelquefois assisté aux fêtes de Pampelune peuvent se faire une idee assez juste de ce qui s’y passe. La Fête du vin bordelaise, c’est ça, taureaux en moins ! Ou, en guise de taureaux, des verres de dégustation que des milliers d’amateurs toréent gaiement dans la grande courbe qui épouse le fleuve, nommée ici "Port de la lune" en raison de sa forme en croissant, depuis le conservatoire de musique jusqu’au pont tournant et les bassins à flot.
Quel spectacle ! Des tentes de toile blanche ont été dressées tout du long - il faut bien ça pour résister à une chaleur montée à plus de 30° car vous savez que les vins ne goûtent pas les températures excessives - tandis que munis d’un "pass" à 15 euros, les visiteurs dégustent en bord de Garonne une multitude d’appellations, de cépages, de crus...
Dans la soirée d’avant-hier, je suis montée en pleine nuit à bord du Belém, splendide trois mâts qui venait d’accoster en face de la Bourse maritime, j’ai passé là un long moment à regarder la lune, qui était pleine ou presque, discutant avec l’équipage tout en goûtant un merveilleux Saint-Emilion élevé en biodynamie (cépage merlot) : son goût plus fruste et authentique que les vins "grossis" ou encore "musclés au bois" me séduit davantage que bien des crus plus immédiats.
Hier, à peu près au niveau du miroir d’eau où des enfants s’ébattent pieds nus, des femmes en boubou les poursuivant en relevant légèrement leur robe et en poussant des cris, parce que les jets sont froids, je me suis glissée en douce derrière les barrières de protection avec un ami, nous avons regardé le feu d’artifice assis directement sur la berge, sirotant un merveilleux Merlot Cabernet sauvignon issu du Haut-Médoc, cette fois, tout de féminité, de subtilité et de finesse.
La foule était innombrable, le feu d’artifice magnifique. Il a duré tres longtemps. J’entendais les clameurs, le ventre de la ville agité, lent, bruyant et doux comme un soir d’été. A côté de nous, quelques gens ivres ont tenté de se glisser aussi sous les barrières, sans succès, de sorte que mon ami et moi sommes restés seuls dans le noir, sous le ciel enflammé par intermittence, nos verres à la main, dans l’odeur de la poudre. A un moment donné, j’ai entendu distinctement quelqu’un - la voix n’était pas spécialement frêle, il ne s’agissait pas d’un enfant - parler de sa passion pour les feux-dentifrice.
Entre deux bouquets d’étincelles, j’ai souri à l’ami à côté de moi. C’est vrai que nos dents étaient rouges. Ca m’a rappelé un très beau conte du moyen âge que j’avais lu, petite fille : "L’Homme aux dents rouges". Contrairement aux idées reçues, cet homme-là, dans l’imagerie moyenâgeuse, incarnait des valeurs de lenteur bénéfique, de mystère. Il était associé à une sorte d’ange. Le vin donne des ailes, c’est certain.
Un bel été à tous. Le mien sera studieux. Apres avoir été bien à plat, avoir traversé quelques mois d’empêchement rude, de sécheresse, comme on est heureux de se dire que ça revient...

Annelise Roux, Bordeaux, le 25 juin 2010