Alain Mabanckou, Lagos, le 28 juin 2010

28 juin 2010.
 

Je suis à Lagos (Nigéria)

28 juin 2010

La chaleur est caniculaire ici, mais la mer n’est pas loin. Je passe mon temps dans les embouteillages dans cette ville qui est sans doute en Afrique celle qui se développe à un rythme vertigineux...
Je dois écrire une non-fiction pour un éditeur anglophone, Farafina – qui veut dire Afrique en bambara. Je ne réfléchis pas, je prends les notes comme la réalité me les dicte. Rien ne vaut en effet la réalité, et c’est elle qui dicte les méandres de la fiction – conseil de mon frère Dany Laferrière. Or lorsque je remets les pieds en Afrique j’ai l’impression que je deviens un personnage de roman. Les idées grouillent. Je veux immédiatement commencer l’écriture d’une fiction. Mais il ne faut surtout pas se précipiter. Rodney Saint-Eloy sait qu’il faut toujours manger « tranquillement »…
Hier j’ai croisé un poète nigérian, Dagga Tolar, auteur d’un recueil intitulé « This country is not a poem ». Quelle gouaille ! Quelle révolte artistique ! On a parlé des Lettres nigérianes. On évoqué Amos Tutuola, Wole Soyinka, Chinua Achebe et le jeune auteur dont j’ai traduit le roman en France, Uzodinma Iweala (Bêtes sans patrie, L’Olivier, 2008). Le poète m’a fait découvrir le quartier Ajegunle, l’autre visage de Lagos. J’aime cette concentration, cette vie mêlée, ces ruelles boueuses. C’est aussi cela mon enfance. J’avais l’impression d’être au quartier Rex, à Pointe-Noire, la ville de mon enfance...
On m’attend dehors, je dois aller voir le match Portugal/Espagne. Je souhaitais vivre cet instant dans un quartier populaire. On ira le voir dans le Mainland. Il y aura du bruit, et aussi de la fureur, comme dirait l’autre…

Alain Mabanckou

 

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Rumeurs d’Amérique

Plon - 2020

Le portrait d’une autre Amérique.

Ici, je me suis fondu dans la masse, j’ai tâté le pouls de ceux qui ont ma couleur, et de ceux qui sont différents de moi, avec lesquels je compose au quotidien.
Certains lieux, de Californie et du Michigan, me soufflent leur histoire car je les connais intimement.
D’autres me résistent, et il me faut quelquefois excaver longtemps pour voir enfin apparaître leur vrai visage. Mais ce périple n’a de sens que s’il est personnel, subjectif, entre la petite histoire et la grande, entre l’immense et le minuscule. Et peut-être même que, sans le savoir, j’entreprends ici ce que je pourrais qualifier d’autobiographie américaine, entre les rebondissements de l’insolite, la digression de l’anecdote et les mirages de l’imaginaire.