KOURKOV Andreï

Ukraine

12 avril 2022.

Cette année, le célèbre écrivain ukrainien Andreï Kourkov nous fait l’honneur d’être notre invité. Dans son univers, on croise des veuves qui empaillent leurs maris, un pingouin dépressif, des politiciens véreux, un chat qui ressuscite trois fois ou encore un somnambule aux pulsions meurtrières… À la manière de Nikolaï Gogol, ses romans mêlent satire sociale et drôlerie pétillante. Après son récit des évènements en Ukraine dans le Journal de Maïdan, l’auteur retrace le conflit armé entre soldats ukrainiens et séparatistes pro-russes dans la région du Donbass dans Les abeilles grises. Si ces affrontements font écho aux évènements tragiques actuels, l’auteur prend le parti de raconter la vie, sans jamais se départir de son humour désarmant ; celle de civils sous le joug de Moscou, celle de deux ennemis poussés à coopérer en temps de guerre. Les abeilles que leur apiculteur tente de déplacer en lieu sûr sont un symbole d’espoir, une preuve d’humanité, qui rend le récit infiniment poétique.

 

Né en Russie en 1961 dans une famille communiste, Andreï Kourkov vit depuis son plus jeune âge à Kiev. À 10 ans, il commence une collection de cactus et, en apprenant leurs noms latins, se passionne pour les langues étrangères (il en parle aujourd’hui plus de neuf). Durant son service militaire, il est enrôlé comme gardien de prison à Odessa. C’est là, au cours de longues heures de garde, qu’il écrit ses premiers récits, des contes pour enfants. Son premier roman paraît en 1991 à Kiev, deux semaines avant la chute de l’Union Soviétique. Pour publier cet ouvrage, il emprunte de l’argent, achète lui-même le papier, contrôle l’impression et assure la diffusion des 75000 exemplaires... Deux ans plus tard, il réussit à publier deux romans dans l’Ukraine nouvellement indépendante. La même année, en 1993, Le Monde de Bickford est sélectionné pour le Booker Prize du meilleur roman russe. Il publie ensuite plusieurs ouvrages dans lesquels il continue sa description du monde postsoviétique, de ses mafias, de ses aberrations grotesques. C’est son roman Le Pingouin, paru en France en 2000 chez Liana Levi et traduit dans plus de trente langues, qui le fait connaître dans le monde entier. Engagé dans la « révolution orange », en 2004 en Ukraine, son livre Le Dernier Amour du président, lui vaut les foudres de Poutine.

Avec Laitier de nuit (Liana Lévi, 2010), Andreï Kourkov confirme son talent de conteur, brossant un tableau à la fois sombre et farfelu d’une Ukraine corrompue et déboussolée. Un portrait de l’Ukraine qu’il continue en 2012 avec Le jardinier d’Otchakov qui nous plonge dans le passé soviétique du pays avec un personnage qui franchit le temps et l’espace grâce à un ancien uniforme de milicien.
Écrivain engagé, il nous parle, à sa manière, des événements qui ont secoué la place Maïdan à Kiev, entre novembre 2013 et avril 2014 dans son Journal de Maïdan. Chaque jour ou presque, il a consigné des anecdotes, des scènes observées de chaque côté des barricades, des impressions, des réflexions personnelles. À partir de ces notes griffonnées sur le vif, il livre un regard à la fois politique et intime, décalé et émouvant, sur les récents évènements en Ukraine.
En 2015, on retrouve la folie et l’imagination rocambolesque de l’écrivain dans Le concert posthume de Jimi Hendrix, où se croisent des personnages décalés dans la ville de Lviv en Ukraine.

Avec Vilnius, Paris, Londres, c’est sa vision de l’Europe actuelle que nous transmet Andreï Kourkov. On y fait la rencontre de trois couples de jeunes lituaniens qui, lorsque la Lituanie rejoint l’espace Schengen en 2007, se montrent prêts à saisir les changements insufflés par l’entrée de leur pays dans l’espace européen. Ingrida et Klaudijus tente leur chance à Londres. Barbora et Andrius à Paris. Et Renata et Vitas restent dans leur petite ferme à Anykšcia, dans l’est du pays. C’est sur un ton tragi-comique que les aventures simultanées des personnages nous plongent dans l’histoire des migrations internes de l’Europe. La prose émouvante d’Andreï Kourkov, teintée d’onirisme et animée par le regard tendre qu’il porte sur la Lituanie, permet de s’interroger sur l’Europe et son identité. Il apparaît que quand l’homme rêve, c’est bien souvent à propos de choses qu’il ne connaît et ne comprend pas.


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Les abeilles grises

Liana Levi - 2022

Dans un petit village abandonné de la « zone grise », coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte : Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce no man’s land, ces ennemis d’enfance sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires s’ajoute la monotonie des journées d’hiver, animées, pour Sergueïtch, de rêves visionnaires et de souvenirs. Apiculteur dévoué, il croit au pouvoir bénéfique de ses abeilles qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances d’« apithérapie ». Le printemps venu, Sergueïtch décide de leur chercher un endroit plus calme. Ayant chargé ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part à l’aventure. Mais même au milieu des douces prairies fleuries de l’Ukraine de l’ouest et du silence des montagnes de Crimée, l’œil de Moscou reste grand ouvert…

Traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne.