Kim Thuy, Montréal, le 8 juillet 2010

9 juillet 2010.
 

Je n’ai pas quitté Saint-Malo, car j’y attends encore mon amour.
Je l’attends parce que j’aimerais qu’il marche dans la ville avec des grains de sable entre les orteils et l’écho des mots dans les chambres de son coeur. Je l’attends parce que j’aimerais qu’il voit la mer, la nuit, où il n’y a plus de démarcation entre les nuages et les vagues, entre le vent et son souffle, entre ses pas et les miens. Je l’attends parce que j’aimerais qu’il entre dans la maison de pierre, en haut de la colline, dos à la mer, aux volets rouges, aux fenêtres minuscules comme celle de mes ancêtres adoptifs, les Gaulois des temps modernes.

Je l’attends à Saint-Malo même si mon corps a été transporté dans un avion comme dans un corbillard, c’est-à-dire immobile, sans pouls, sans lui, jusqu’au Québec.

Je bois, j’avale, j’ingurgite l’air chaud de Montréal pour brûler les minutes, les vagues, les nœuds qui me séparent du goût du thym citronné de mon jardin, de la couleur lilas des glycines de ma maman, du rire de mon amie Marianne. Peut-être qu’à force d’incendier cette distance, kilomètre par kilomètre, je réussirai à quitter définitivement Saint-Malo et sentir le parfum des fraises de l’Île d’Orléans, flottant au milieu du Fleuve Saint-Laurent.

Kim Thuy

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Em

Liana Levi - 2021

Au Vietnam, le mot em sert à dire sa tendresse, sa délicate attention pour l’autre, plus jeune ou plus âgé. Dans un square de Saigon, sous un banc, un bébé a été abandonné. Louis, orphelin métis, de quelques années son aîné, le couche dans une grande boîte en carton. Il l’appelle Em Hong, « petite sœur » Hong. Louis prendra soin d’elle jusqu’à ce qu’ils soient séparés, lors de l’opération Babylift, au printemps 1975, qui évacue peu avant la chute de la ville les orphelins de guerre et enfants nés de GI’s. Sans le savoir, ils auront des vies parallèles, celles d’enfants américains adoptés. Ils ignorent ce que leur existence doit à la multitude de destins brutalisés avant eux dans le long conflit vietnamien. Em, c’est le fil qui relie les ouvriers des plantations de caoutchouc en Indochine aux femmes des premiers salons de manucure en Amérique du Nord. Ce sont les liens d’amour et de haine entre les vies brisées de la « guerre américaine ».

Dans ce roman, Kim Thúy noue des histoires vraies, pleines d’images fortes, méconnues ou aussi célèbres que la photo prise à My Lai. Sa prose lyrique et sobre nous embarque dans une traversée bouleversante de l’Histoire.