"Pourquoi je viens à Bamako" par les invités du festival

14 novembre 2019.

"Pourquoi je viens à Bamako", c’est la question que nous avons posé à plusieurs invités du festival. Jean-Christophe Rufin, Alain Mabanckou, Aminata Sow Fall, Abdourahman A. Waberi et Monique Agénor nous ont répondu…

 

Jean-Christophe Rufin

Je vais au Mali pour éviter une guerre. Mégalo ? Voire. Tout pousse aujourd’hui l’Afrique à occuper un seul rôle, sur la scène internationale : celui de la victime. Un bon Africain, pour beaucoup de médias, semble être un Africain mort, si possible de faim. Ce continent en est réduit à crever en public pour survivre. Attirer l’attention par ses guerres civiles, émouvoir par des tragédies dites "humanitaires" - comme si humaine était un adjectif trop fort pour les désigner -, scandaliser par l’effrontée corruption des ses parrains, l’Afrique ressemble à ces comédiens enfermés dans les rôles éternels de méchants ou d’imbéciles.

Or, le Mali est sans doute le pays qui est allé le plus loin dans la résistance à cette orgie victimaire. La politique y est digne, la démocratie y a pris ses marques, l’indépendance ne désigne pas seulement une forme d’Etat mais un état d’esprit. La paix civile est préservée. Des femmes et des hommes travaillent et produisent. Dans le domaine littéraire, le pays n’est pas seulement riche de création ; il mène également des expériences presque uniques d’éditions indépendantes telles que celle de Moussa Konaté qui va nous recevoir. Il faut croire que cette santé dérange car on n’en parle guère. Sans doute attend-on une bonne guerre pour s’y intéresser.

Et bien voyez-vous, je préfère que l’on m’invite comme écrivain et ami plutôt que d’endosser mon uniforme humanitaire. Il y a trop de pays où j’ai eu le sentiment d’arriver trop tard et de le les découvrir que dans les déchirements et l’horreur.

Laissez-moi me plaisir, cette fois, de venir à temps et en paix.


Alain Mabanckou

Le Mali, pays des cultures, carrefour des civilisations…
Pourquoi je vais au Mali ?
Parce que c’est le pays des écrivains Amadou Hampaté Bâ, Massa Makan Diabaté ; celui des chanteuses exceptionnelles : Oumou Sangaré, Nahawa Doumbia ; celui du chanteur talentueux, Salif Kéita…
Parce que c’est Tombouctou, le temple ancien du savoir ; c’est Ségou avec son rayonnement loué par la romancière guadeloupéenne Maryse Condé…
Parce qu’être au Mali, c’est être au cœur de l’Afrique, c’est regarder avec émerveillement la conjugaison des traditions avec la modernité. C’est pousser ma vision du monde au-delà de cette suffisance erronée héritée de l’esprit cartésien ; c’est écouter les aspirations d’un peuple dont l’Histoire est riche de héros, de résistants…
Parce que c’est reculer les préjugés, les images injustes dont souffre une partie des Maliens de l’étranger.
Parce que c’est rappeler que l’Afrique est une terre d’accueil et appartient à tous ceux qui chantent l’échange, la tolérance et l’interpénétration des cultures.

Pourquoi je vais à Bamako ?
Pour que cette ville habite désormais en moi, qu’elle enfante des images dans mon for intérieur, qu’elle remue mon être au point d’ajouter à ma création quelque chose que je ne saurais expliquer, quelques chose comme de l’argile, rouge ; quelque chose comme des habitations anciennes mais paisibles ; quelque chose comme du sable, du vent, du bétail, des vieillards à la barbe aussi grise que la cendre d’un foyer éteint depuis des années…
Pour que les littératures africaines croisent celles des autres continents, dans l’esprit du voyage, de l’étonnement.
Pour que ces littératures, comme des lamantins, retournenet boire à la source, pour reprendre la formule de Senghor…

C’est pour cela que j’irai à Bamako, au Mali…


Aminata Sow Fall

Enjamber les remparts de Saint-Malo, plonger dans les eaux tumultueuses de l’océan, braver les mers (ou le désert) et prendre pied sans transition dans la latérite : tout cela n’est qu’un jeu d’enfant pour les gens en perpétuelle pérégrination dans l’immensité de l’imaginaire. Là, les frontières et les réalités physiques s’inclinent humblement pour faire place au banquet de nos rêves multiples à tonalités et accents divers, mais avec un dénominateur commun : celui de notre appartenance à l’espèce humaine, avec nos émotions, nos quêtes (d’éternité par exemple), nos angoisses, nos espérances. Nos différences aussi. Pour nous comprendre et nous respecter, partager nos joies, analyser le sens de notre existence, douter et nous interroger pour ne pas être engloutis dans les ténèbres de nos certitudes. Sans oublier cependant l’essentiel (vital) de ces retrouvailles : la célébration de la création littéraire dans la convivialité.

J’ai connu tout cela à Saint-Malo et en ai gardé un souvenir inoubliable. Cette fois-ci, l’événement sort du berceau pour l’Afrique. Bamako, précisément. D’ai-utres réalités, des voix nouvelles, un rythme pas familier. Il faut sen réjouir. Je sens qu’il y aura de la magie dans le doux murmure du fleuve. L’ombre d’Hamadou Ampaté Bâ planera et ce ne sera que justice : le grand homme a pris la précaution de ne pas laisser brûler l’impressionnante bibliothèque léguée par des horizons plus vastes, pour le bonheur de l’humanité.

Voilà pourquoi je viens à Bamako.

Je n’oublierai pas la richesse extraordinaire du patrimoine culturel et historique et cette fascinante musique mandingue qui a bercé mon enfance alors que je ne connaissais rien de ses sources. Comme quoi l’art n’a pas de frontières.

En un mot, Bamako c’est la fête du livre, de l’universalité de la création dans le dialogue et l’amitié.


Abdourahman A. Waberi

Je viens à Bamako parce que je souscris entièrement à cette définition de Carlos Fuentes concernant les écrivains : "Nous sommes tous des Colomb qui parions sur la réalité de notre imagination, et nous gagnons ; nous sommes tous des Quichotte qui croyons ce que nous imaginons".

Je viens à Bamako parce que après la Bretagne des origines, les Balkans, l’Irlande ou les grandes plaines du grand Ouest étasunien, les Etonnants Voyageurs ont cru bon de poser leur tente sur les bords du Niger. Et tant mieux ou tant pis (rayez la mention inutile). Pour tout dire, ce n’était pas trop tôt - même si nous étions quelques-uns à considérer ce tête-à-tête inévitable.

Je viens à Bamako pour vérifier si les cultures africaines, partout en pleine essor, littérature comme arts plastiques, musiques autant que la danse, et sur lesquelles, redisons-le, jusqu’à très récemment, nulle Carabossse festivalière n’a veillé, vont toujours aussi bien.

Je viens à Bamako parce que j’y trouverai des amis hier quittés, aussitôt retrouvés. Je viens à Bamako parce que je n’ai pas besoin d’y être invité, je ramène mon pas claudiquant. on m’accueille à bras ouverts et sourire aux lèvres.

Toute colonisation, on le sait trop depuis le grand Fanon, le magistral Césaire, Albert Memmi ou Edward Said et tous les autres, avilit tout autant le colonisé que le colonisateur, une rencontre de ce type est tout indiquée pour remettre sur le métier le passé colonial partagé. Et que dire de ce présent parfois gris (charters, lois du ministre Pasqua, pour ne citer que lui), parfois très grippé (Mitterrand au Rwanda etc.) ?

Enfin, je viens à Bamako pour mêler ma voix à celles de tous les autres et pour aller à contre-courant de cette violence politique et routinière qui déroule ses anneaux, comme le serpent à plumes des temps aztèques, sur toute l’étendue du Continent mien.


Monique Agénor

Le premier souci d’un auteur-voyageur est d’accepter avec enthousiasme toute opportunité de se transformer en abeille butineuse du miel de l’Autre. Du pays offert.
Et si j’avais envi de venir butiner à Bamako, c’est peut-être pour pouvoir goûter de près à cette partie de la population qui aurait ceci de commun avec moi : nous avons été nourris à la même source, celle des tribus africaines.

Je me réjouis en effet aujourd’hui de me trouver aux côtés d’artistes et d’écrivains avec qui j’espère pouvoir m’immerger, en ma qualité de Créole réunionnaise, dans le creuset partagé de nos traditions orales, de nos croyances ancestrales et mythologiques. Si la plupart de mes ancêtres en effet, bien que sur toile de fond français, furent Malgaches, Hindous ou Chinois, ils portaient aussi en eux les parcelles de cette terre africaine dont j’ai un petit peu héritée. Et cet héritage me plaît. Comme me plaît d’appartenir en même temps à toutes les îles de l’océan Indien imprégnées des contes et légendes d’Afrique, d’Inde, de Chine ou de Madagascar, merveilles et terreurs de mes années d’enfance.

Et le Mali, c’est bien sûr aussi, la figure emblématique d’Amadou Hampaté Bâ dont j’ai lu les œuvres avec gourmandise intellectuelle. C’est Souleymane Cissé que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Paris il y a longtemps déjà. C’est également le musicien Salif Keita et combien d’autres artistes encore.

Pour toutes ces raisons, je remercie infiniment les "Etonnants Voyageurs Afrique" de m’accueillir parmi ses invités et je suis honorée d’être des leurs.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Dis-moi pour qui j’existe ?

JC Lattès - 2022

Lorsque sa fille de 6 ans tombe malade, Aden doit faire face à cette douleur inexpliquée et aux blessures anciennes qu’il croyait oubliées. Il lui faut affronter son passé, se souvenir et enquêter : est-ce que la maladie de Béa est la sienne ? Peuvent-ils se sauver ensemble ?

Aden est un professeur épanoui et un père heureux.
Mais la maladie subite de sa fille réveille des souffrances anciennes. Lui aussi, enfant, est tombé malade et soudain, son corps se souvient de tout : de la vie à Djibouti, du garçon solitaire qu’il était, de la seule douceur d’une grand-mère, du réconfort des livres.
Chaque jour, il téléphone et écrit à sa fille. Il lui raconte les paysages de sa jeunesse, convoque les mânes de ses ancêtres, faiseurs de pluie ; elle lui parle de son quotidien, l’impatience de courir à nouveau. Le père retranscrit leurs mots pour garder une trace de la lutte et vaincre le mal grâce à ce qu’ils ont de plus précieux : l’espoir.

Un roman bouleversant qui sonde l’enfance, sa part heureuse et sa part d’épouvante, le dialogue lumineux d’un père et d’une fille qui triomphent en s’appuyant sur la mémoire et la poésie.

 

DERNIER OUVRAGE

 

Le suspendu de Conakry

Flammarion - 2018

Jean-Christophe Rufin revient avec un nouveau « thriller diplomatique » Premier volume d’une trilogie consacrée aux aventures d’Aurel,
un consul pas comme les autres.
Comment cet Aurel Timescu peut-il être Consul de France ?
Avec son accent roumain, sa dégaine des années trente et son passé de pianiste de bar, il n’a pourtant rien à faire au Quai d’Orsay. Il végète d’ailleurs dans des postes subalternes.
Cette fois, il est en Guinée, lui qui ne supporte pas la chaleur. Il prend son mal en patience, transpire, boit du tokay et compose des opéras… Quand, tout à coup, survient la seule chose au monde qui puisse encore le passionner : un crime inexpliqué.
Suspendu, ce plaisancier blanc ? À quoi ? Au mât de son voilier, d’accord. Mais avant ? Suspendu à des événements mystérieux. À une preuve d’amour qui n’arrive pas. À un rêve héroïque venu de très loin… En tout cas, il est mort.
Son assassinat resterait impuni si Aurel n’avait pas trouvé là l’occasion de livrer enfin son grand combat.
Contre l’injustice.
Avec tout son talent d’écrivain (Rouge Brésil, prix Goncourt 2001, Le Collier rouge, Immortelle randonnée…) et son expérience de diplomate (comme ambassadeur de France au Sénégal), Jean-Christophe Rufin donne vie à Aurel et nous le présente dans une première histoire. Ne nous y trompons pas : suivre cet anti-héros au charme désuet est un plaisir de lecture mais aussi un moyen de découvrir les secrets les mieux gardés de la vie internationale.

 

DERNIER OUVRAGE

 
Journal

Rumeurs d’Amérique

Plon - 2020

Le portrait d’une autre Amérique.

Ici, je me suis fondu dans la masse, j’ai tâté le pouls de ceux qui ont ma couleur, et de ceux qui sont différents de moi, avec lesquels je compose au quotidien.
Certains lieux, de Californie et du Michigan, me soufflent leur histoire car je les connais intimement.
D’autres me résistent, et il me faut quelquefois excaver longtemps pour voir enfin apparaître leur vrai visage. Mais ce périple n’a de sens que s’il est personnel, subjectif, entre la petite histoire et la grande, entre l’immense et le minuscule. Et peut-être même que, sans le savoir, j’entreprends ici ce que je pourrais qualifier d’autobiographie américaine, entre les rebondissements de l’insolite, la digression de l’anecdote et les mirages de l’imaginaire.