Tordre la langue française ?

29 octobre 2010.
 

« Au long terme, ce qu’on veut, ce qu’on veut obtenir, c’est de creuser dans le français universel un petit trou, un petit univers, dans lequel on est chez soi et on est à l’aise, dans lequel on puisse exprimer toutes les réalités africaines, tous les sentiments des personnages africains » écrit fortement Kourouma : « Cet univers, tout en nous éloignant du français universel, enrichit ce français universel. Dans cet univers, le français sera malmené, écorché. C’est bien fait pour le français universel, il l’aura bien mérité. On ne subjugue pas, ne viole pas innocemment tant de peuples dans l’univers en continuant à rester jaloux de sa virginité – à conserver sa virginité. » On ne peut mieux dire l’apport des lettres africaines dans ce vaste ensemble que nous appelons de nos voeux, où toutes littératures d’expression française, sans domination d’aucune d’elles, entreraient en dialogue. Mais ce rapport à la langue n’est-il pas, aussi, celui de tout écrivain, sans considération d’origine ?
Avec : Janis Otsiemi, Libar Fofana, Michel Le Bris, Mohammed El Amraoui, Jean-Michel Djian

Palais de la Culture : Samedi 27 novembre à 11h15

 

DERNIER OUVRAGE

 
Essais

Pour l’amour des livres

Grasset - 2019

« Nous naissons, nous grandissons, le plus souvent sans même en prendre la mesure, dans le bruissement des milliers de récits, de romans, de poèmes, qui nous ont précédés. Sans eux, sans leur musique en nous pour nous guider, nous resterions tels des enfants perdus dans les forêts obscures. N’étaient-ils pas déjà là qui nous attendaient, jalons laissés par d’autres en chemin, dessinant peu à peu un visage à l’inconnu du monde, jusqu’à le rendre habitable  ? Ils nous sont, si l’on y réfléchit, notre première et notre véritable demeure. Notre miroir, aussi. Car dans le foisonnement de ces histoires, il en est une, à nous seuls destinée, de cela, nous serions prêt à en jurer dans l’instant où nous nous y sommes reconnus – et c’était comme si, par privilège, s’ouvrait alors la porte des merveilles.

Pour moi, ce fut la Guerre du feu, « roman des âges farouches  » aujourd’hui quelque peu oublié. En récompense de mon examen réussi d’entrée en sixième ma mère m’avait promis un livre. Que nous étions allés choisir solennellement à Morlaix. Pourquoi celui-là  ? La couverture en était plutôt laide, qui montrait un homme aux traits simiesques fuyant, une torche à la main. Mais dès la première page tournée… Je fus comme foudroyé. Un monde s’ouvrait devant moi…

Mon enfance fut pauvre et solitaire entre deux hameaux du Finistère, même si ma mère sut faire de notre maison sans eau ni électricité un paradis, à force de tendresse et de travail. J’y ai découvert la puissance de libération des livres, par la grâce d’une rencontre miraculeuse avec un instituteur, engagé, sensible, qui m’ouvrit sans retenue sa bibliothèque.

J’ai voulu ce livre comme un acte de remerciement. Pour dire simplement ce que je dois au livre. Ce que, tous, nous devons au livre. Plus nécessaire que jamais, face au brouhaha du monde, au temps chaque jour un peu plus refusé, à l’oubli de soi, et des autres. Pour le plus précieux des messages, dans le temps silencieux de la lecture  : qu’il est en chacun de nous un royaume, une dimension d’éternité, qui nous fait humains et libres. »