Principalement connu pour son travail sur la langue créole à laquelle il rend hommage en saluant son inventivité inépuisable, Patrick Chamoiseau est l’un des écrivains majeurs de la Caraïbe.
Lorsqu’il signe en 1989 avec Jean Bernabé et Raphaël Confiant, deux autres grands noms de la littérature caribéenne, un Éloge de la créolité, c’est un véritable coup de tonnerre qui s’abat sur les Antilles. Mettant à mal de nombreux stéréotypes, ce livre s’inspire des théories de la négritude développée par Sédar Sanghor et Aimé Césaire tout en allant plus loin en revendiquant une identité antillaise. Il a depuis signé plusieurs autres essais et notamment Lettres créoles, un essai sur la littérature antillaise, pour lequel il a retrouvé Raphaël Confiant et a publié avec Édouard Glissant, L’Intraitable beauté du monde (2009).
Né en 1953 à Fort de France, Patrick Chamoiseau s’imprègne dès l’adolescence des lectures caribéennes. Après des études de droit et d’économie en métropole, il devient travailleur social, d’abord dans l’hexagone puis en Martinique. Intéressé par l’ethnographie et les travaux d’Édouard Glissant, il se penche sur les formes culturelles disparaissantes de son île natale mais aussi sur le dynamisme de sa première langue - le créole - qu’il a dû abandonner dès l’école primaire.
En 1986, il publie son premier roman, Chronique des sept misères, qui remporte le prix Kléber Haedens ainsi que celui de l’île Maurice. Trois ans plus tard paraît Solibo Le magnifique, dans lequel il s’intéresse à la recherche d’une identité martiniquaise à travers les pratiques culturelles du passé. En 1992, c’est la consécration et la reconnaissance du monde littéraire. Il obtient le prix Goncourt pour son roman Texaco - futur succès mondial -, brassant souffrances et espérances de trois générations de Martiniquais, sous l’esclavage, pendant la première migration vers l’Enville et aujourd’hui. Considéré comme l’inventeur d’un nouveau style linguistique, il emploie un langage accessible aux lecteurs de la métropole qui contient cependant des éléments propres à la culture créole. Maintes fois récompensé, cet écrivain engagé, qui travaille aussi pour la (re)connaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, s’est essayé à tous les genres, de l’essai au théâtre en passant par le roman, le scénario de film ou la littérature jeunesse. Il a ainsi signé les scripts de Passage du milieu et de Biguine réalisés par Guy Deslaurier et a publié un nouveau roman, L’empreinte à Crusoé. Il revient dans cet ouvrage sur l’histoire du plus célèbre des naufragés, grande figure de l’impérialisme : après vingt ans de domination sur son île, Robinson arpente ses terres comme un maître passe en revue son domaine, jusqu’à ce que le fantôme de ses premières années resurgisse. Patrick Chamoiseau continue ici son combat pour la mémoire de l’esclavage, en s’attaquant à l’une des plus grandes figures littéraires du XVIIIe siècle, âge d’or de la traite négrière.
En 2013 il signe Césaire, Perse, Glissant. Les liaisons magnétiques (Philippe Rey), un essai dans lequel il rassemble trois des plus grands poètes de tous les siècles, tous les trois nés dans les Antilles, trois génies que le théoricien définit ainsi : « L’homme de l’Afrique et de la Négritude. L’homme de l’universel conquérant, orgueilleux et hautain. L’homme des chaos imprévisibles du Tout-Monde. » L’ouvrage est l’occasion pour Patrick Chamoiseau d’établir des relations entre ces maîtres de langue en reliant la personne, le style et la pensée de ces écrivains en apparence si différents.
17 ans après le décès de sa mère, Patrick Chamoiseau sort un livre entre roman autobiographique et essai philosophique sur l’expérience universelle du deuil d’un être cher. La matière de l’absence invoque la mémoire de Nénette Man dans un dialogue du narrateur avec La Baronne, la sœur de l’écrivain et ce que son absence a provoqué en eux. Dans une démarche presque anthropologiue, Patrick Chamoiseau revient sur l’histoire et la culture des Antilles, à travers des traditions et des rituels et nous fait revivre une blessure originelle, la première fois qu’un Homo Sapiens a fait l’expérience de la mort d’un de ses proches.
En mai 2017, il publie Frères Migrants, un essai poétique et manifeste qui rend compte de l’urgence d’un monde où la décence et l’humanité se font rare. Il y prend la défense des migrants, qui, fuyant leurs pays en guerre, sont maltraités par nos sociétés occidentales qui les relèguent à la marge. Suite à cet essai, il coordonne en 2018 un recueil, Osons la Fraternité, en compagnie de Michel Le Bris, dans lequel une trentaine d’auteurs prennent la plume et s’engagent pour un accueil humain des migrants. En 2022 paraît un nouveau recueil, Refusons l’inhumain. Il est aussi partie prenante du projet Baudelaire Jazz, un « chaos-opéra » selon les principes édictées par Édouard Glissant, où se mêlent textes, lecture de poèmes et musique pour célébrer les 200 ans de la naissance du poète.
Bibliographie
- Le Vent du nord dans les fougères glacées (Seuil, 2022)
- Refusons l’inhumain, collectif (Philippe Rey, 2022)
- Baudelaire Jazz (Seuil, 2022)
- Ferdinand, je suis à Paris, préface (Mémoire d’encrier, 2022)
- Le Conteur, la nuit et le panier (Seuil, 2021)
- Rabelais (Noir sur Blanc, 2020)
- Osons la Fraternité, collectif (Philippe Rey, 2018)
- Contes des sages créoles (Seuil, 2018)
- Frères Migrants (Seuil, 2017)
- La matière de l’absence (Seuil, 2016)
- L’empreinte à Crusoé (Gallimard, 2012)
- Le papillon et la lumière (Phillipe Rey, 2011)
- Les Neuf Consciences du Malfini (Gallimard, 2009)
- Un dimanche au cachot (Gallimard, 2007)
- Une enfance créole (Gallimard, 2006 - Coffret en 3 volumes) :
Tome 1 : Antan d’enfance
Tome 2 : Chemin-d’école
Tome 3 : A bout d’enfance - Biblique des derniers gestes (Gallimard, 2002)
- Texaco (Gallimard, 1992)
Essais
- Césaire, Perse, Glissant. Les liaisons magnétiques (Philippe Rey, 2013)
- Manifeste pour les" Produits" de Haute Nécessité, ouvrage collectif (Galaade, 2009)
- L’intraitable beauté du monde. Adresse à Barack Obama, avec Édouard Glissant (Galaade, 2009)
- Quand les murs tombent - L’identité nationale hors la loi ?, avec Edouard Glissant (Galaade, 2007)
- Elmire des sept bonheurs : confidences d’un vieux travailleur de la distillerie Saint-Etienne, photographies de Jean-Luc de Laguarigue (Gallimard, 1998)
- Écrire en pays dominé (Gallimard, 1997)
- Martinique (Richer, 1994)
- Lettres créoles, avec Raphaël Confiant (Hatier, 1991)
- Éloge de la créolité (Gallimard, 1989)
Conte philosophique
- Le Papillon et la lumière (Philippe Rey, 2012)
Littérature jeunesse
- Le Commandeur d’une pluie (Gallimard, 2002) illustration de William Wilson
- Emerveilles (Gallimard jeunesse, 1998)
Théâtre
- Manman Dlo contre la fée Carabosse (Editions Caribéennes, 1982)
Autres
- Martinique vue du ciel : Trésors cachés et patrimoine naturel (HC Editions, 2007)