TOKARCZUK Olga

Pologne

31 janvier 2024.

L’autrice polonaise la plus traduite au monde est notre invitée en Carte Blanche à Saint-Malo du 18 au 20 mai pour la 34e édition d’Étonnants Voyageurs, à l’occasion de la publication de son dernier roman, Le Banquet des Empouses (Éditions Noir sur Blanc).

« Comment construire mon récit pour qu’il puisse porter cette immense constellation qui forme le monde ? » Olga Tokarczuk résume ainsi ce qui anime son écriture et qui infuse ses romans, essais et pièces de théâtre. Portée par une curiosité insatiable, une ambition encyclopédique, elle construit au fil de ses ouvrages une oeuvre dense, riche et hypersensible, qui lui a valu, en 2018, le Prix Nobel de littérature. Comme elle l’affirme dans son discours de réception du prix, elle cherche à faire naître un « narrateur qui outrepasse la perspective de l’auteur comme celle des personnages et projette un regard cosmique sur l’action ».
Dès ses premiers écrits, elle convoque le mystère, l’irrationnel et le voyage dans le quotidien de personnages extravagants. Le réel et le mystique s’entremêlent ainsi jusqu’à se fondre dans Dieu, le temps, les hommes et les anges (Robert Laffont, 1998), son premier grand succès.
On lui doit notamment Les Pérégrins (2010), inclassable patchwork de fragments littéraires, de bribes de conversations, d’anecdotes et de réflexions nées de ses propres voyages ; Sur les ossements des morts (2012) une fable écologiste noire adaptée au cinéma par Agniezska Holland ; Les livres de Jakób (2018) une somme encyclopédique, épopée universelle dans l’Europe des Lumières explorant la vie de Jakób Frank, un hérétique se prenant pour le Messie ; ou encore les recueils de nouvelles visionnaires Histoires bizarroïdes (2020) et Jeu sur tambours et tambourins (2023).
Dans son nouveau roman Le Banquet des Empouses, pastiche espiègle en hommage à La Montagne Magique de Thomas Mann, elle questionne la fluidité de nos univers, de nos identités et de nos corps."

 

Née en 1962, Olga Tokarczuk a grandi en Basse-Silésie, dans le sud-ouest de la Pologne, dont le passé est allemand et le présent polonais. Ses grands-parents firent partie de ces milliers de migrants expulsés des régions orientales du pays, cédées à l’URSS au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire migratoire familiale a forgé pour beaucoup une relation singulière à l’espace qu’Olga Tokarczuk résume par ces mots : « Apparemment, il me manquait ce gène qui fait que, dès que l’on s’arrête un peu plus longtemps quelque part, on y plonge ses racines. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. Tout simplement, mes racines ne s’enfonçaient pas assez profondément, de sorte que le moindre souffle de vent me bousculait. Je n’arrivais pas à germer, je n’ai pas reçu ce don propre aux végétaux. Je ne tire pas ma sève de la terre (…) »
De ce mouvement perpétuel naît Les Pérégrins, patchwork inclassable de fragments littéraires, de bribes de conversation, d’anecdotes personnelles et de réflexions nées dans des aéroports, des hôtels ou des halls anonymes récompensé par le Prix Nike (le Goncourt polonais).

« Si la narration change, le monde change. »
Diplômée de psychologie de l’université de Varsovie, elle conserve de sa formation la conviction « qu’il n’y a rien d’objectif, que nous ne pouvons percevoir la réalité que depuis tel ou tel point de vue », affirmant par ailleurs qu’« entre l’homme et la réalité, il y a un processus très intéressant d’interprétation. C’est là que commence la littérature ».
Et, dès ses premiers écrits, le mystère, l’irrationnel et le voyage s’invitent dans le quotidien de personnages extravagants. Elle s’inscrit se faisant dans le courant du réalisme magique où le réel et le mystique s’interpénètrent jusqu’à se fondre l’un dans l’autre comme dans Dieu, le temps, les hommes et les anges (Robert Laffont, 1998), son premier grand succès.

Traversée par le désir de trouver des réponses aux questions existentielles sur le mystère de la vie humaine, son œuvre s’attache à abolir les frontières entre les genres littéraires, qu’elle qualifie, dans son discours de réception du Prix Nobel, de barrières stériles engendrées par le capitalisme contemporain. Dans ce discours, elle résume également l’ambition toute particulière de sa plume érudite : trouver des manières nouvelles de raconter le monde. Un narrateur fait de toutes les particularités du tout vivant qui nous entoure, capable d’empathie et de tendresse - « la variante la plus humble de l’amour » - envers chacun des personnages constitue pour elle l’unique manière de rendre compte du commun de l’expérience humaine.

Écologiste, féministe, proeuropéenne pessimiste tendre, l’écrivaine polonaise demeure convaincue des pouvoirs de la littérature, capable de ressouder les imaginaires. Dans cette période de grands bouleversement de vie, de mentalité et même de philosophie que nous traversons, elle se dit convaincue de la nécessité de créer de nouveaux mythes.

En 2020, elle créée la Fondation Olga Tokarczuk à Wroclaw grâce à son Prix Nobel dans le but de soutenir la culture et l’art polonais dans le monde, et dans le soucis de défendre les droits humains et civiques, la protection de l’environnement, et les droits des femmes. Une institution qui se positionne pour une société démocratique où la liberté d’expression et l’égalité sont les valeurs cardinales. Prolongeant ainsi dans le réel les ambitions portées par son œuvre littéraire. En 2021, elle reprend la direction du Festiwal Gory Literatury, qui se déroule chaque année en juillet.


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Romans

Le Banquet des Empouses

Noir sur Blanc - 2024

En septembre 1912, lorsqu’il arrive au sanatorium de Görbersdorf, dans les montagnes de Basse-Silésie, le jeune Wojnicz espère que le traitement et l’air pur stopperont la maladie funeste qu’on vient de lui diagnostiquer : tuberculosis. À la Pension pour Messieurs, Wojnicz intègre une société exclusivement masculine, des malades venus de toute l’Europe qui, jour après jour, discutent de la marche du monde et, surtout, de la « question de la femme ». Mais en arrière-plan de ce symposium des misogynies, voici que s’élève une voix primordiale, faite de toutes les voix des femmes tant redoutées…

Hypersensible, malmené par un père autoritaire, Wojnicz veut à toute force étouffer son ambiguïté et dissimuler aux autres ce qu’il est ou redoute de devenir. Pourtant, une mort violente, puis le récit d’autres événements terribles survenus dans la région, vont le conduire à sortir de lui-même. Alors qu’il est question de meurtres rituels et de sorcières ayant trouvé refuge dans les forêts, notre héros va marcher au-devant de forces obscures dont il ne sait pas qu’elles s’intéressent déjà à lui.

Traduit du polonais par Maryla Laurent