DIAGNE Souleymane Bachir

Sénégal

20 mars 2024.

Professeur à l’université Columbia de New York, ce normalien est l’un des philosophes africains les plus respectés d’Afrique et du monde islamique. Héritier musulman des Lumières, le penseur sénégalais explore au fil de ses essais les philosophies africaines et de l’Islam, ainsi que la logique algébrique. Dans De langue à langue : L’hospitalité de la traduction (Albin Michel, 2022), Souleymane Bachir Diagne s’interroge sur la traduction, « la langue des langues », et décrypte dans un texte engagé et humaniste ce fascinant pont entre deux mondes. Traduire, soutient le philosophe, c’est accueillir dans une langue ce qui a été pensé dans une autre ; une belle manière de « faire humanité ensemble ».

 

Invoquant Averroès ou Avicenne, ce philosophe sénégalais souhaite s’inscrire dans la tradition de la « falsafa » : un mot grec arabisé désignant la philosophie en islam ; qui prit son essor au IXème siècle avec la traduction dans le monde arabe des œuvres majeures de la pensée grecque.

Formé à l’ENS de la rue d’Ulm, Souleymane Bachir Diagne se veut un héritier musulman des Lumières : à l’instar de l’indien Mohammed Iqbal (1877-1938), grand penseur moderniste qui travaillait à une « reconstruction » de la pensée religieuse de l’islam, il invite à un constant effort d’interprétation créatrice des textes.

Spécialiste des traditions philosophiques de l’Afrique et du monde islamique, ce normalien a été longtemps professeur à l’université à Dakar, tout en étant conseiller pour l’éducation et la culture du président Abdou Diouf de 1993 à 1999. Co-directeur du journal sénégalais Éthiopiques, membre du comité de publication de Présence africaine et du comité scientifique de la revue internationale Diogène, il enseigne aujourd’hui à l’université de Columbia (New York).

Dans Bergson postcolonial (CNRS, 2011) , il explore les affinités entre la pensée du philosophe français Henri Bergson (1859-1941) et celles de deux de ses admirateurs issus des colonies : le musulman indien Mohamed Iqbal et le sénégalais catholique Léopold Sédar Senghor, tous les deux politiciens, tous les deux poètes, tous les deux philosophes. La confrontation de trois maîtres avec lesquels il partage un même souci : résister à la pétrification de la pensée.

Il publie en 2013 un essai, L’encre des savants (Présence africaine), dans lequel Diagne pose la question : qu’est-ce que philosopher en Afrique ? L’auteur y revient sur les thèmes de réflexion privilégiés des penseurs du continent, tout en développant son approche personnelle de ces thèmes. Il publie notamment en 2014, Comment philosopher en islam chez Philippe Rey.

En 2017, il est fait chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres pour ses importants travaux liés à l’éducation et à la philosophie contemporaine, qu’il enrichit l’année suivante avec la parution de En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale. Dans cet ouvrage, il s’interroge, conjointement avec l’anthropologue Jean-Loup Amselle sur les causes et les effets de l’émergence du paradigme postcolonial, la domination sociale et économique occidentale et inventorie les enjeux sociaux, culturels, politiques et économiques majeurs des rapports entre l’Afrique et l’Occident.

Il revient en 2021 sur ses rencontres avec Louis Althusser et Jacques Derrida, ses maîtres rue d’Ulm, Jean-Toussaint Desanti, Léopold Sédar Senghor, Paulin Hountondji, Ngugi wa Thiong’o et d’autres philosophes qui l’ont fortement influencé. Le « fagot de mémoire » de cet homme qui vit entre différentes langues et cultures, chantre d’un universel de traduction, partisan d’un islam des Lumières, nous propose ici une stimulante réflexion sur notre monde qui offre tant de passerelles.


Bibliographie

 

DERNIER OUVRAGE

 
Essais

De langue à langue : L’hospitalité de la traduction

Albin Michel - 2022

Fort de sa triple culture – africaine, française et américaine –, Souleymane Bachir Diagne s’interroge sur la traduction dans ce texte engagé et humaniste, porteur d’une éthique.

Si la traduction manifeste le plus souvent une relation de profonde inégalité entre langues dominantes et langues dominées, elle peut aussi être source de dialogue, d’échanges, de métissage, y compris dans des situations d’asymétrie, propres notamment à l’espace colonial, où l’interprète, de simple auxiliaire, devient un véritable médiateur culturel.

Faire l’éloge de la traduction, « la langue des langues », c’est célébrer le pluriel de celles-ci et leur égalité ; car traduire, c’est donner dans une langue hospitalité à ce qui a été pensé dans une autre, c’est créer de la réciprocité, de la rencontre, c’est faire humanité ensemble, c’est en quelque sorte imaginer une Babel heureuse.