Les prisonniers de Rudra

Nouvelle écrite par Juliette Courson, élève en 5ème au collège Bellevue, Loué (72)

4 mai 2011.
 

Les prisonniers de Rudra

Quand cette fameuse histoire lui arriva, Anna savait depuis au moins un an et demi que le dernier rayon de la bibliothèque de sa grand-mère, à Paris, ouvrait directement, quand on écartait les livres, sur la petite place du marché de Shalingappa dans le sud de l’Inde. Mais Anna n’aimait pas l’aventure, comme son inséparable amie Gabrielle dont le fait le plus héroïque était de sortir la tête de sa carapace, une ou deux fois par jour, pour affronter le monde et manger des endives. De temps en temps, pourtant, traversant la pièce, Anna osait glisser le nez entre les livres et sentir avec délices le parfun moite du safran ou écouter battre la pluie de moussons. Ses lunettes en sortaient tout embuées.

Pourtant, ce matin-là, lorsqu’elle glissa son nez à travers les manuscrits, un évènement tout à fait détestable l’obligea à entrer dans ce monde magique et ô combien dangereux. En effet, alors qu’elle était en train d’humer le merveilleux parfum que dégageait l’un des étals du marché, Gabrielle tomba de ses mains, pour atterrir sur le sol de la place de Shalingappa. Anna, terrorisée, n’osa pas pénétrer à son tour dans le petit village indien. Mais Gabrielle était en Inde, Anna était à Paris : il fallait agir vite ! Elle s’empara d’un petit sac à dos auquel elle attacha une corde. Elle la noua à un dictionnaire qu’elle cala contre une étagère. Puis elle se faufila entre les livres : elle se trouvait désormais en Inde. Elle aperçut sa tortue qui s’apprêtait à traverser la rue. Un rickshaw passa à vive allure, frôlant la pauvre Gabrielle. Anna se précipita vers elle en criant :
"- Gabrielle ! Attention ! "
La petite fille se baissa et ramassa l’animal. Elle le fourra en toute hâte dans sa poche et fit demi-tour, suivant la piste tracée par la corde. Celle-ci serpentait sur quelques mètres avant de disparaître parmi les étoffes d’un étal. Anna comprit aussitôt :
"- Mais bien sûr ! Quand je suis chez Mamie, il faut passer entre les livres pour arriver ici mais quand je suis ici, il me suffit de passer entre les tissus de cet étalage pour rentrer à la maison !"
Elle revint donc sans mal chez sa grand-mère, pressée de lui raconter l’aventure qu’elle venait de vivre. Elle s’attendait à ce qu’elle soit émerveillée, fascinée, intriguée... Mais non. Elle se contenta d’hocher la tête et de soupirer.
"- Mon pauvre Auguste disait la même chose, avant de disparaître... Tu es comme lui, beaucoup trop rêveuse...

Une heure plus tard, Anna avançait résolument vers les livres, équipée de son sac à dos dans lequel elle avait mis sa tortue, son porte-monnaie qui ne contenait guère plus de cinq euros et une réserve de gâteaux secs. Quand elle arriva à Shalingappa, le soleil était bas dans le ciel et les lampadaires allaient bientôt s’allumer pour éclairer d’une faible lueur les allées de la ville. La fillette troqua son vieux jean contre une étoffe soyeuse et colorée. Le paysage était d’une beauté sans pareil, laissant Anna émerveillée. Tout autour d’elle, les gens parlaient et riaient. Bien qu’elle ne comprenait pas ce qu’ils disaient, Anna était sûre que leurs paroles étaient sereines et remplies de poésie... Puis elle se dirigea vers un étalage où un homme et son fils sculptaient des animaux dans du bois de rose. Anna les observa un long moment. Elle remarqua que la plupart des statuettes représentaient des vaches et des éléphants. Sa préférée était une petite tortue. Elle sortit Gabrielle de son sac et lui montra sa trouvaille :
"- Papy aurait adoré cette sculpture. Souvent, il façonnait des tortues, lui aussi. Elles étaient moins réussies, c’est certain, mais il en était fier. Il y passait des heures, puis il me les offrait en me disant qu’elles étaient en quelque sorte des mini-Gabrielle..."
Anna, submergée par l’émotion, décida d’acheter la statuette. Faute de Roupies, elle laissa au vendeur deux euros, puis repartit explorer le quartier. Une jeune femme vêtue d’un sari rouge orné de broderies dorées l’aborda. Elle avait de longs cheveux bruns, et des yeux d’un bleu profond dans lesquels on pouvait voir son propre reflet. Mais elle parlait le Tamoul et Anna ne comprenait pas cette langue. Elle écouta cependant poliment. Quand l’inconnue cessa de parler, elle regarda Anna, semblant attendre une réponse. La jeune femme s’écarta, derrière elle se tenait une chèvre. Elle donna une petite tape amicale à l’animal, et lui parla brièvement. La chèvre s’avança et s’adressa à Anna :
"- Bonjour, petite ! dit-elle d’une voix chevrotante. On m’a chargé de te demander d’où vient la statuette en bois que tu tiens dans ta main.

Anna frappa à la porte. Un homme grand, vêtu d’un dothi, le torse nu orné d’un cordon, l’invitta à entrer. C’était le brahmane Daruka. Il parlait aussi bien l’hindi que le français, et Anna fut ravie de pouvoir dialoguer normalement avec un indien. Avant d’entrer, elle retira ses chaussures, comme la coutume Hindoue l’exige, et en signe d’amitié, elle joignit ses mains sous son menton et s’inclina devant le brahmane. La nuit étant tombée depuis un long moment, Daruka proposa l’hospitalité à Anna, et lui prépara un repas. Des légumes bouillis et quelques naans, voici de quoi se composait le dîner. Daruka expliqua que, comme tous les brahmanes, il était végétarien et refusait de vivre dans la richesse. Il apprit à son hôte que toute bonté était intérieure, qu’elle ne provenait pas des biens que l’on possédait. Puis il demanda :
"- Dis-moi... Comment es-tu arrivée jusqu’à moi ?

Quand elle arriva au temple, elle fut émerveillée tant le bâtiment qui se dressait devant elle était beau et majestueux. Elle pénétra à l’intérieur. Le décor était splendide. Des statues et des fresques colorées ornaient les murs. Au plafond, on pouvait admirer une gigantesque peinture représentant les différents Dieux hindous. Le sol, recouvert de marbre, brillait tel un millier de diamants. Anna avança. Le temple était désert, seul un homme était assis à même le sol, tout au fond de la salle. Il semblait attendre Anna, et la fixait d’un regard inquiétant. Il lui dit :
"- Bonjour, Anna. Tu viens sculpter du bois de rose, n’est-ce pas ?

Anna marchait dans le tunnel obscur et étroit. Elle avait peur et se demandait sur quoi allait déboucher ce boyau. Une prison ? Un tombeau ? Allait-elle retrouver son grand-père comme elle l’espérait ? Les questions fusaient dans sa tête. Plus elle avançait, plus le tunnel lui semblait sombre et dangereux. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Bientôt, elle aperçut une pâle lueur provenant vraisemblablement du fin fond du tunnel. Elle avança et quand elle atteignit ce point lumineux, elle poussa un cri d’effroi car le spectacle qu’elle vit était terrible. Elle était parvenue à une grande salle froide et humide, taillée dans la roche. Là étaient enchaînés une dizaine d’hommes. Ils sculptaient une gigantesque statue de bois. Elle représentait un personnage monstrueux qu’Anna se souvint avoir observé sur les fresques, à l’entrée du temple. Parmi les prisonniers, elle reconnut son grand-père. Elle se jeta dans ses bras, les larmes aux yeux.
"- Papy ! Comme tu m’as manqué ! J’ai tellement de choses à te raconter !

Lorsqu’ils arrivèrent au bout du tunnel, la porte était grande ouverte, pour le plus grand soulagement de tous. Un étal de tissus avait été installé dans l’entrée du temple. Anna était inquiète car l’évasion était tellement facile, trop facile... Elle serra très fort la main de son grand-père, s’arrura que Gabielle était bien dans son sac. Elle murmura les larmes aux yeux :
“- On ne reviendra plus jamais ici ! Plus jamais...”
Ils se glissèrent un à un entre les étoffes, enthousiastes à l’idée de retrouver leurs proches et leur pays.
La chaleur les fit suffoquer. Anna, son grand-père et ses compagnons d’infortune n’en croyaient pas leurs yeux. A perte de vue, on ne voyait que du sable, une immense étendue de sable ! Un dromadaire était là, tout près d’eux. Il les regarda puis leur dit :
“- Soyez les bienvenus en Afrique ! Vous revenez d’Inde, n’est-ce-pas ?

Fin...?