Fourbes illusions d’un espoir ensoleillé

Nouvelle écrite par Mariem Aboudi, en 4ème au collège Saut du Lièvre, Bischwiller (67)

6 mai 2011.
 

Fourbes illusions d’un espoir ensoleillé

J’ai dévalé le grand escalator qui traversait la verrière du centre commercial des Trois Platanes, dans le clignotement des sapins de Noël, quand je pus enfin apercevoir l’inconnue transie de froid. La foule retourna vaquer à ses occupations respectives, ayant soudainement l’air d’avoir oublié cette jeune fille. Tel un rêve qui s’estompe, elle avait quitté leurs esprits… Cette idée me fit penser qu’elle n’y était peut-être jamais entrée ; après tout était-elle vraiment réelle ? Ou bien existait-elle comme une apparition, une illusion sortie d’un songe ? Il m’aurait sûrement fallu la toucher pour mettre fin à ce dilemme qui soudain me fit trembler et mon corps fut parsemé de soubresauts. Pourtant je restai de marbre, figé d’admiration devant une pareille beauté. Je ne puis dire combien de temps je demeurai là, à dessiner de mes yeux les courbes parfaites de son visage. Je ne puis non plus définir ce qui me poussa, quelques instants plus tard, à l’enrouler de mon manteau cannelle et à l’emmener dans mon studio, qui se trouvait à quelques rues du centre commercial.
Ce jour-là, j’eus le bonheur d’avoir oublié de fermer la porte de mon logement et je pus donc déposer sans encombre, sur mon lit, ce beau trésor. Je pense ensuite n’avoir jamais attendu le réveil d’une personne avec autant d’envie qu’à ce moment précis, j’avais un fort désir d’entendre sa voix, de voir ses yeux et d’écouter son histoire. J’arrivai bientôt à l’apogée de ma patience. J’essayai de m’approcher d’elle, en vain ; un brouillard de brume rose et un effluve de coriandre, m’enlaça. Je fus soudain pris d’une panique que je ne connaissais pas. En effet, malgré des efforts considérables, je n’arrivais plus à émettre une seule pensée ayant un quelconque sens. Pourtant, je n’avais pas perdu toute ma raison, puisque j’avais la conviction certaine de me trouver dans une situation anormale -et contre ma volonté-, mais bien existante.
Un laps de temps passa et ses paupières s’ouvrirent, elle ne dit mot, mais comme appelé par Elle je me retrouvai plongé dans ses yeux, ses yeux couleur soleil. J’entendis ensuite un long cri plaintif qui, je le crus, me briserait les tympans. Soudain, ses paupières se scellèrent et je tombai dans un gouffre. Je sentais mon corps flotter dans une eau fraîche à remous réguliers. Je devais me trouver dans un océan ou bien une mer, je ne m’attardais pas sur la question puisqu’à perte de vue il n’y avait que de l’eau claire. Je levai la tête. Devant moi, une falaise aux dimensions infinies se dressait. Elle était surplombée par un palais, et le soleil en touchant la pointe de la plus haute des coupoles, donnait l’impression que la demeure était en or massif. De part et d’autre du palais, des statues de cire représentant des princesses indiennes dansaient l’Odissi et parmi elles, l’Inconnue, parlant à l’astre de miel. Dans sa main brillait une perle cristalline ; elle la leva à la hauteur de ses yeux, la regarda intensément et l’accrocha autour de son cou à une chaîne d’or ciselé, des anneaux fins retenant le minerai tel un médaillon. Subitement, un rire machiavélique s’éleva dans le ciel et le soleil alla se nicher dans cette perle, laissant derrière lui, un éternel ciel bleu éteint et sans lumière contempler le monde.
Mes yeux se rouvrirent, j’étais à nouveau sur mon lit, tremblant et suant à grosses gouttes. Je ne pouvais me détourner de son regard, ancré dans mes yeux ; je ne pouvais simplement rien faire, attendre était ma seule option. Le brouillard était maintenant omniprésent et me donnait de plus en plus grandes sensations de léthargie. Ce fut par son regard qu’elle s’adressa à moi, pour la première fois : « Deux dieux, un maharaja, la lumière et cette histoire …A la création de l’univers, Shiva, dieu des ténèbres et de la destruction avait fait un pacte avec Surya, dieu du soleil. Pour que la paix demeure sur terre, ils devaient régner équitablement. Surya baignait donc la planète de lumière et Shiva concoctait un élixir de sommeil pour qu’au moment convenu, Surya s’endorme derrière les montagnes ou se plonge dans la mer. Ainsi naquit le jour et la nuit. Leur lieu de rencontre se trouvait être la demeure d’un grand empereur, Pandajar, qui offrant son palais et la plus grande falaise du royaume à l’effigie des songes de Surya, s’était fait en ennemi redoutable, Shiva. La jalousie de ce dieu du chaos était telle qu’il façonna, en tout bon alchimiste qu’il était, des déesses, ayant pour mission de s’attribuer l’amour de Surya et de l’anéantir. Ainsi, Shiva serait le seul, l’unique détenteur du monde. »
Dans mon esprit, ses fabulations avaient l’air d’êtres d’anciennes amies, dont je connaissais pertinemment l’existence.
« Malheureusement, le dieu soleil était loin d’être niais et pour ne pas succomber aux attrayants charmes des déesses, il les transformait en statues de cire. Jusqu’au jour où Asha fut créée, elle était le reflet de Surya, la fille de la luminosité éclatante et du soleil ardent. Surya voulant descendre du haut du palais pour l’embrasser fut enfermé dans une larme de verre qu’Asha avait jusqu’alors dissimulée. Pourtant le ciel demeurait bleu, car seul un humain ayant pu voir et croire à la destruction de ce sans quoi il ne pourrait vivre, pouvait donner sans le savoir le légitime droit du règne du noir obscur et des ténèbres sur terre. Chétif homme, mon remerciement t’honore. Une dernière chose : Asha, c’était moi. »
La fenêtre de ma chambre s’ouvrit dans un grand claquement ; ce qui provoqua un courant d’air. L’air sur mon visage me donna la douce sensation de renaître. Je me levai, heureux de constater que cette expérience n’était qu’un rêve. J’entrepris de refermer la fenêtre. Horreur ! Dehors, pas un bruit, pas un son et surtout … le noir complet. Je regardai ma montre … 15h00. Je me tournai vers mon lit, la peur me reprit … Asha subsistait là, endormie et immobile ; seule la perle de feu à son cou s’agitait doucement. Le soleil se débattait. Que faire ? La folie parcourait de plus en plus de terrain dans ma tête et une peur paralysante courait dans mes veines. Je n’entendais qu’un seul son, celui de ma respiration haletante et entrecoupée de gémissements, et en écho, mon cœur qui battait à un rythme de plus en plus inquiétant. Des tremblements sillonnèrent mon corps. Et si, pour mettre fin à cet enfer, je devais supprimer ce que grâce à moi, elle avait ? La pierre de soleil, cette perle attachée à son cou gracile….
Je ne fis pas long feu. Me jetant sur elle, je tentai d’arracher la larme vermeille. L’amère souffrance qui vint ensuite, me fit perdre espoir ; effectivement au simple effleurement de la petite prison contenant ma liberté, une brûlante chaleur s’irradia jusqu’à mon cœur, si bien qu’on en croyait mourir à l’instant où le contact s’effectuait. Que faire ? Cette question revenant sans cesse, commençait à m’exaspérer… Il fallut donc que j’y mette un terme.
Ce fut à la suite de cette mûre réflexion que, sans réfléchir, je m’approchai à pas lents d’Asha, prudemment. Hélas, ma naïveté ne me permit pas de prévoir ce qui, malheureusement, allait arriver. Ses paupières s’ouvrirent, ses prunelles virèrent à un jaune clair transperçant de lumière, pour bientôt expulser des flammes, de la lave ou quelque autre substance nocive, je ne me souciais pas à cet instant de l’origine de la chose… puisque mes mains venaient sous mes yeux de se consumer. Mon corps se contorsionna de douleur. Un hurlement strident sortit de son regard et ce message : « Aurais-tu en projet de détruire ce que toute ma vie j’ai cherché ? Amoureux du mal ! Ton plus pieux désir serait-il si cruel ? Douterais-tu de mes vertus divines ? Je peux, à ma seule volonté, transformer ton souffle en fumée, de sorte qu’il te brûle et te détruise de l’intérieur ! Tu n’es qu’une poussière s’arrêtant sur mon chemin, un moins que rien, un lampiste et tu crois pouvoir abuser de ton statut d’humain pour me défier ? Cette ignorante ignorance qui t’assagit pourrait bien te coûter la vie ! Où est donc cet égoïsme propice aux humains ? En échange du bonheur de ton monde, tu donnerais ta vie ? J’eus donc le malheur de tomber sur une exception de ta race ? Je peux excuser ta sottise, mais sache que ceux qui par le feu meurent, se réincarnent en feu. De ce fait, tu ferais autant de mal, mort que vivant … A présent, soumets-toi à moi, fais de moi ta reine, ton idole, et ta vie sera paisible et sans aucun trouble. » Ses paupières se refermèrent.
Au seul mouvement de ses paupières, mes mains réapparurent mais la douleur resta présente. Etais-je donc confronté au seul choix de passer ma vie à regarder la déesse dormir, dans les ténèbres d’une noirceur éternelle ? Non, il me restait une échappatoire, la mort et uniquement la mort ! Elle était mon seul chemin, mon unique accès pour quitter cette affligeante détention non-méritée. Mais je m’autorisai à réfléchir plus amplement sur une telle décision.
J’allai ensuite dans ma salle de bain, j’ouvris le robinet, l’eau apaisa rapidement mes douloureuses mains. L’eau. Là était ma solution ! Je cherchai des yeux un récipient, je courus à la cuisine, pris un verre, le remplis. J’étais au comble de l’euphorie, ce qui en cette journée était un tantôt décalé.
Tout s’accéléra. A mon approche, elle rouvrit les yeux. Préparé à la lutte, je lui jetai de suite l’eau fraîche, en visant avec une précision étonnante ses maléfiques orbites. A mon grand bonheur, le feu de ses yeux parut s’éteindre. J’arrachai la larme rougeoyante, la jetai par la fenêtre. Le bruit angélique qu’elle fit en se brisant au sol aurait pu être une berceuse. Le soleil, tel un feu d’artifice de lumières rougeoyantes, se propagea en hauteur. Il parut déchirer le ciel obscur comme un outil de chirurgien réparant une plaie. En quelques secondes, le ciel se farda de bleu, pâle certes, mais il fallait savoir qu’il était 17h00 passé.
Je courus au-dehors bénir le soleil et la terre reprenant vie.
Il était 20h00, quand je remontai dans mon studio, appréhendant la colère et peut-être la mort. J’ouvris la porte, allai dans ma chambre.
La statue de cire avait fondu.