Naissance d’un écrivain et d’une autobiographie

Nouvelle écrite par Thomas Motti, en 1ère au lycée Marmoutier, Tours (37)

9 mai 2011.
 

Naissance d’un écrivain et d’une autobiographie

[...]...J’ai dévalé le grand escalator qui traversait la verrière du centre commercial des Trois Platanes, dans le clignotement des sapins de Noël...
J’ai fendu la foule rassemblée devant elle, murmurant de maladroites excuses à tous ceux que je bousculais. Ses cheveux bruns étaient plus sombres que toute chevelure de ma connaissance. Sa peau bronzée se mariait à merveille avec l’orange délicat de son voile. Cette jolie jeune fille délivrait un charme auquel aucun client du centre commercial ne semblait pouvoir résister.
Je me retrouvai devant elle, plus près que jamais. Ses habits étincelants m’éblouirent et mes yeux s’arrondirent de surprise à la vue des étranges parures qui ornaient son cou. Le tout était lumineux, dégageant une clarté aveuglante. Si dehors le soleil nous avait baignés dans sa chaleur, je n’aurais pas hésité avant d’affirmer qu’il se reflétait sur les bijoux. Mais là ? En plein hiver, le matin de Noël, il n’était plus apparu depuis le début de la semaine ; le gris du ciel était accablant, désespérément morose... Difficile donc de croire au reflet du soleil sur l’or des colliers. Jamais je n’avais aperçu pareilles merveilles, ni dans ces livres compagnons de mes soirées, ni dans les joailleries, ni même sur les figurines exposées chez Monsieur Bazire. J’ignorais de ces joyaux jusqu’à leur simple existence ! Mais qui diable était cette fille ?
Comme personne ne bougeait - tout le monde restait bouche bée captivé par elle - , je m’agenouillai à sa droite. Ma main descendit vers son visage...
Et c’est là que je me rappelai. Cet accoutrement festif n’était revêtu, à Pandajar, que pour deux évènements. L’un était le mariage et l’autre... Impossible de m’en souvenir ! Mais qu’importe, ça me reviendrait bien assez tôt. Combien de fois Monsieur Bazire m’avait-il répété d’accorder autant de crédit à ces vieilles légendes qu’aux dires de ma mère ? Et en effet, il n’y avait aucun doute, cette jeune fille qui paraissait assoupie ou assommée devant moi... Le doute n’était pas possible... Il s’agissait d’une Pandajaise !

Ma main s’avançait, comme au ralenti, lentement, vers sa joue. Vers la joue de la Pandajaise !
Avec une infinie douceur, l’affleurement de mes doigts effleura sa peau lisse. Comme si cet infime, ce dérisoire contact pouvait la réveiller... M’apercevant du ridicule de mon espoir, j’allais glisser ma main sous sa nuque, sous ses cheveux déployés...
À cet instant... elle hoqueta. Bientôt ses yeux s’ouvrirent, et dans un toussotement bénin elle me regarda. Son regard se voila aussitôt. Sans que j’en comprenne la raison, elle me sembla triste. Mais tout de suite elle reprit contenance et elle m’adressa la phrase suivante ; phrase tout à fait étonnante, assez énigmatique, étrange et incompréhensible...
« Tu es l’élu »
Sa voix chaude, chaleureuse et aux accents de bienveillance s’accompagna d’un instant d’hésitation. Comme du regret, ou de la déception... À moins que ce ne soit de la compassion...
À me voir muet, sans réaction, et sans se préoccuper le moins du monde des gens qui déjà, dépités par son indifférence se détournaient de nous, elle répéta :
− Tu es l’élu.
Je ne compris pas plus que précédemment ce qu’elle me signifiait par ces mots, mais je découvris presque aussitôt la conséquence de ses paroles.
Les gens disparaissaient tout autour de moi. Les gens, l’escalator, les magasins, la verrière, tout s’évanouissait comme par magie. En proie à une terrible incompréhension, je cherchai le secours du regard de la Pandajaise ; elle, au moins, ne s’était pas volatilisée. Mais, tandis que sa jeunesse me frappa - elle pouvait avoir mon âge, une quinzaine d’années -, je me rendis compte que ses yeux demeuraient fixes, comme paralysés dans leurs orbites. Je restai ainsi, le regard plongé dans le sien monstrueusement vide pendant une ou deux poignées de secondes.

Tout à coup, elle parut reprendre vie. La fascination qu’elle exerçait sur moi s’estompa peu à peu et je regardai autour de moi. Au moment où je tournai la tête, j’entendis qu’elle se relevait. Les graviers crissèrent sous ses pieds... Les graviers ? Quels graviers ? Que pouvaient bien faire des graviers au milieu d’un centre commercial ?
Mais autour de moi, il n’y avait plus trace des bijouteries et des boutiques de jeux vidéo ou de téléphonie mobile... Je me trouvais au beau milieu d’une allée, bordée d’étalages d’objets divers dont beaucoup m’étaient inconnus. Un marché, devinai-je. Et au dessus de moi, le soleil resplendissait, éclaboussant le paysage de sa lumière brûlante.
Qu’est-il advenu de la neige et des nuages ? Où suis-je arrivé ? Que s’est-il passé ?
Le temps que je reprenne mes esprits, la Pandajaise m’attrapait par la main. « C’est par là », me dit-elle.
Elle désignait du doigt un gigantesque bâtiment somptueux au débouché d’un chemin.
Comme je ne voyais guère autre chose à faire, je pris sa suite sans rechigner. Une multitude de questions envahissait ma tête, mais je ne savais comment les aborder avec elle. Je ne connaissais même pas son nom ! Ni elle le mien d’ailleurs...
Justement, pendant que nous marchions librement, l’un à côté de l’autre, elle jugea enfin bon de me le révéler... : Nufoa.
Un bien drôle de prénom. Jamais entendu parler de qui que ce soit s’appelant Nufoa ! Mais, étais-je bête ? Rien de plus normal puisqu’elle n’appartenait à aucun peuple de mon monde... Une Pandajaise portait un nom Pandajais... C’était on ne peut plus logique !

Nous marchâmes ensemble pendant une petite dizaine de minutes. Dix minutes durant lesquelles je n’appris rien de plus. S’il était certain qu’elle était d’une indicible beauté et d’un charme incroyable, Nufoa n’en demeurait pas moins aussi silencieuse. Elle ne dit pas un mot du trajet. Mis à part pour m’avouer son nom et m’annoncer que j’étais l’élu, elle ne semblait pas même savoir parler...
Nous arrivâmes bientôt devant le magnifique palais tout de diamant bâti. Elle m’indiqua l’entrée comme pour m’inviter à pénétrer à l’intérieur, ce que je ne privai pas de faire. Ce qui me frappa le premier fut l’absence totale de meubles. Comme le temps me manquait pour m’interroger sur la manière dont ils vivaient, je me contentais d’observer avec surprise l’immensité des salles vides.
Sans prévenir, je m’arrêtai en plein milieu d’une salle quelconque. Au visage de Nufoa, je compris que nous étions pressés. Mais, songeais-je, il n’était pas pour autant question que je me laisse faire. M’emmener dans son monde contre mon gré, c’était déjà faire preuve de suffisamment de toupet ! Alors, exiger de moi que je la suive sans poser de questions... c’en était trop !
− Pourquoi m’as-tu amené ici ? Quel est cet endroit ? Et qu’attendez-vous de moi ?
− Nous sommes dans la demeure de mon époux, le roi de Pandajar. Tu es ici, car tu es l’élu. Et en tant qu’élu, nous comptons sur toi pour sauver le royaume de la colère des dieux.
− S... Sauver le royaume ? Moi ? Et comment serais-je censé procéder ?

Nufoa ne répondit pas.
Je n’eus aucun mal à deviner qu’elle ne m’en apprendrait pas plus. Par conséquent, puisque c’était la seule chose à faire, je continuai de la suivre.
Nous traversâmes nombre de salles, toutes plus belles les unes que les autres, toutes plus décorées des murs au plafond, mais toutes aussi vides... Je ne m’expliquais toujours pas ce vide. Ce vide qui était de plus en plus angoissant à mesure que j’avançais dans le palais royal.
Après que nous ayons traversé des pièces et des pièces, Nufoa ouvrit une porte et s’effaça pour me laisser y pénétrer avant elle.
Je débouchai dans une salle aux murs rouge brique ornés de joyaux multicolores. Et là, se tenait le seul, l’unique, le premier meuble du palais... Un siège en or massif, d’une beauté défiant toute concurrence. Non pas un siège, mais un trône sur lequel était assis le monarque, le roi du royaume éternel de Pandajar.
Un sourire éclairait son visage. Mais ce n’est pas là ce qui attira mon attention. Non, mon attention toute entière se porta sur l’âge de mon hôte. Puisque Nufoa pouvait avoir mon âge, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il ait le même, il était autrement plus étonnant qu’ils soient déjà mariés, si jeunes. Toujours est-il que je n’avais pas fait le rapprochement et que me trouver face à un monarque à peine plus vieux que moi avait quelque chose de très déroutant.
Lorsqu’il daigna s’apercevoir de ma présence et qu’il s’abaissa à m’adresser la parole, ce fut pour me parler avec le même ton triste et déçu que celui de sa femme.
− Ainsi, tu es l’élu. Bienvenue à Pandajar, homme de la Terre.
Homme de la Terre ? Drôle de manière de me surnommer, j’étais affublé d’un curieux sobriquet. Mais il était temps, quand même, que je sache en quel honneur et pour quelle tâche j’avais été élu...
− Je ne suis l’élu de personne. Je ne me suis jamais présenté à la moindre élection !
− Ellaixyon ? Que signifie ce mot ? De quoi s’agit-il ? D’une ville, d’un temple, d’un dieu ? S’étonna le roi.
− Non, il ne s’agit de rien de tout cela... Mais dites-moi simplement de qui je suis l’élu, et pour quoi faire !
− Tu as l’insigne honneur d’être celui qui va apaiser le courroux des dieux, et ce faisant tu sauveras le royaume de Pandajar, mon royaume.
Apaiser le courroux des dieux... Encore et toujours le même charabia. Je n’étais pas un héros ! Je n’avais jamais demandé à venir ici, je ne voulais pas sauver un royaume dont je ne savais rien ! Et même si je le voulais, comment le pourrais-je ?

Le monarque me dévisagea longuement et il dut ressentir mon incertitude, puisqu’il m’assura, la voix empreinte de compassion et d’une once de pitié, que tout irait bien.
Malgré ses dires, je peinais à y croire... De plus, pourquoi aller trouver un jeune homme dans un autre monde plutôt que d’offrir à un jeune Pandajais le privilège de sauver son monde ?
Plongé dans mes pensées, je ne me rendis pas compte que Nufoa venait de ressortir de la salle du trône. Je ne réalisais cela qu’au moment où elle fit son retour, traînant derrière elle un curieux chariot à roulettes.
En contemplant de plus près le chariot, je reconnus un étrange matelas de mousse disposé au dessus. De même, la boule de tissus qu’on avait aplatie tant bien que mal à une extrémité du matelas devait être un oreiller. Un lit ! Ce devait être un lit ! Un lit, oui, mais au détail près qu’un trou au milieu du matelas donnait directement sur un seau. Un seau vide.

Sans attendre plus longtemps, le jeune roi m’ordonna d’une voix tremblante
− Vas-y !
Inutile de dire que cette injonction me prit au dépourvu. Que devais-je faire ? Qu’étais-je censé faire pour obéir ?
− Que dois-je faire ?
Le visage du jeune homme se radoucit, il semblait prendre conscience que je n’étais au courant de rien... C’est avec une voix plus posée qu’il me répondit, calmement.
− Allonge-toi sur le lit.
Je ne me sentais pas disposer à désobéir à un roi. Et mon attitude devait sans doute être la plus sage : je me retournai et allais m’allonger sur le chariot-lit troué.
− Prêtres ! Entendis-je commander le roi
Sans comprendre le moins du monde ce qui se tramait, je m’abandonnai à mon impatience et à mes soucis. Et des soucis, justement, j’allais en avoir... Et pas des moindres !
Répondant à l’appel de leur Sire, dix Pandajais en soutane entrèrent et s’approchèrent du chariot-lit. C’est en voyant leur physique que la panique s’empara de moi. Chacun d’eux était bâti comme un lutteur. En lieu et place de dix prêtres se tenaient dix monstrueuses montagnes de muscles. Et selon toute vraisemblance, ils ne me voulaient pas que du bien. Avec leurs visages féroces, ils m’apparaissaient comme des démons affamés prêts à me dévorer.
Pensant à Nufoa et à son mari qui, bien que pas très bavards, s’étaient montrés presque agréables envers moi, je me mis à penser que je me faisais des idées, que ces prêtres ne me feraient pas le moindre mal.
Mais le problème était là... À voir leur démarche et leur attitude, leurs mauvaises intentions ne faisaient plus l’ombre d’un doute...
Tout mon corps m’ordonnait de fuir, mais je me trouvais comme pétrifié, allongé sur le lit sans pouvoir esquisser le moindre geste.
J’entendis la voix du roi crier deux mots que je ne compris pas et les prêtres se rassemblèrent autour du lit. Ils étaient si larges et si imposants que je ne voyais plus rien que leurs soutanes noires et leurs visages menaçants.

Terrifié, je fermai mes yeux et j’attendis, la poitrine serrée, transpirant à grosses gouttes.
Je sentis le contact d’une lame glacée sur ventre. Et la lame s’enfonça dans mon ventre, puis me lacéra la poitrine. Dans un véritable rugissement de douleur, le souvenir me revint.
Les habits de Nufoa... Ces vêtements de fête n’étaient portés que pour deux occasions. Les mariages et … … … les sacrifices !
Et ce fut ainsi, trempé de sueur et de sang, hurlant de douleur, sous les couteaux habiles et meurtriers, instruments de torture, que je décidai de m’accrocher, de m’abandonner à un dernier espoir.

L’espoir qu’un jour, qu’un matin, je me réveillerais à nouveau, dans ma chambre...
L’espoir qu’une mort inéluctable dans le monde de Pandajar ne serait pas une mort effective dans le monde qui est le mien.
L’espoir que la mort ne me rattrape pas jusque chez moi, et qu’elle me laisse vivre la suite de ma vie de jeune lycéen à Saint-Malo.
Et Dieu seul sait si ma prière sera exaucée et si, un jour, mon histoire sera couchée sur le papier.
Et quand bien même, elle le serait, qui donc pourrait m’assurer que le lecteur me croira ?