DUONG Thu Huong

Vietnam

16 mai 2012.
 

Biographie

Duong Thu Huong, Etonnants Voyageurs 2007
© Gael Le Ny

Au milieu des années 1980, le Vietnam vit à l’heure du "Doï MoÏ" ("Renouveau") : le parti a décidé lors de son VIème congrès d’initier une politique de libéralisation économique. L’étau communiste se desserre. Sous les auspices de cette perestroïka à la vietnamienne, une nouvelle génération d’intellectuels prend son essor. À côté du novelliste Nguyễn Huy Thiệp, Duong Thu Huong devient la figure la plus populaire de la renaissance littéraire du pays : Au-delà des illusions, récit d’un double désenchantement, amoureux et politique, publié en 1987 et vendu à plus de 100 000 exemplaires, s’impose comme « le livre de chevet de toute une génération ».

Vingt ans plus tôt, en pleine Guerre du Vietnam, la romancière, fervente patriote, menait au front une troupe d’artistes chargés selon leur slogan de « chanter plus fort que les bombes » pour divertir les combattants et les estropiés de l’armée du Nord.

Après la victoire du Vietnam communiste en 1975, elle écrit plusieurs scénarios pour l’industrie cinématographique sous contrôle étatique, puis fait office de nègre pour des généraux publiant leurs mémoires de guerre. Elle découvre à cette occasion les coulisses de la guerre et voit fonctionner sous ses yeux la machine de propagande du régime.

A la langue de bois communiste, Duong Thu Huong oppose dans son oeuvre une parole sans fioritures, à la fois directe et évocatrice : la gouaille du petit peuple vietnamien, riche en images et en dictons savoureux. Sur une trame souvent sentimentale, elle met en lumière les intrusions du système dans l’intimité des couples, les destins brisés par les pesanteurs d’une société restée patriarcale, les renoncements et les lâchetés innombrables qui contaminent les rapports entre les êtres.

Ses ennuis avec le régime commencent véritablement lorsqu’elle publie en 1988 Les paradis aveugles, premier roman à aborder de front la période sombre et sanglante de la réforme agraire des années 1950. En parallèle, la romancière multiplie les articles de presse et les conférences pour réclamer l’abolition de la dictature du prolétariat et la mise en place d’une démocratie au Viêt-Nam.

Expulsée du PC puis de l’Union des écrivains vietnamiens en 1990, elle est emprisonnée sans procès en avril 1991. La pression internationale, et notamment l’activisme de Mme Danielle Mitterrand, réussit à la faire libérer au bout de huit mois. Invitée en France en 1994 pour recevoir la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres, elle refuse l’asile politique et retourne vivre en résidence surveillée à Hanoï où ses livres sont désormais interdits.

Duong Thu Huong continue d’écrire des romans qu’elle fait publier en France aux Editions Philippe Picquier puis chez Sabine Wespieser. Cette dernière l’invite en 2006 à l’occasion du succès public et critique de sa fresque Terre des oublis, qui obtient en 2007 le Grand Prix des Lectrices du magazine Elle. La romancière décide alors de s’installer à Paris pour terminer son oeuvre littéraire : "Le temps a passé, j’ai eu plus de 60 ans, une nouvelle génération est arrivée et je leur ai annoncé que j’allais les quitter, car c’était à eux de prendre le relais… "

En 2009 paraît Au Zénith, grand roman de désillusion politique que beaucoup considèrent comme son chef d’oeuvre, dominé par la figure mélancolique de Ho Chi Minh, Président broyé par la machine de pouvoir qu’il a contribué à édifier.

Dans Sanctuaire du coeur, paru en septembre 2011, la romancière emboite les histoires comme autant de poupées gigognes, voyageant dans le temps pour éclairer les destins de ses personnages. "C’est mon côté archaïque : je suis pareille à ces conteuses traditionnelles que sont les grands-mères vietnamiennes, aux dents laquées et au pantalon usé…"

Mais c’est cette fois dans le Vietnam désenchanté de la fin du siècle que Duong Thu Huong déploie son récit en cercles concentriques. Soulevant les lourds rideaux de l’Orchidée rouge, un bordel de Hanoï où de jeunes gigolos se vendent à des femmes fortunées, elle partage sa vision amère d’un pays où les fils des héros d’hier, écœurés par les double discours et les pots-de-vin, ne croient plus en rien.

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Bibliographie :


Présentation de Sanctuaire du coeur :

couverture La fugue de Thanh plonge dans la stupeur ses parents, un couple de professeurs respectés, ainsi que toute la petite ville proche de Hanoi où vit cette famille modèle. À seize ans, le jeune homme était promis à un brillant avenir et n’avait jamais donné le moindre signe de trouble ni de rébellion.
Quand on le retrouve quatorze ans plus tard – en 1999, le temps du récit –, il est devenu gigolo, entretenu par une femme d’affaires rencontrée dans la maison close de Saigon où il exerçait ses talents de prostitué.
Comment – et pourquoi – ce jeune homme sans histoires en est arrivé là, c’est ce que dévoile ce roman diaboliquement construit.
Thanh a tout le temps, pendant ses longues journées dans la villa de la côte que seuls rythment des dîners dans des établissements de luxe, de se remémorer son passé.
Ses jeunes années sont autant de souvenirs lumineux : elles ont été à jamais marquées par la présence radieuse de Tra My, son amie de toujours, la petite fille que ses parents avaient recueillie et dont il était tombé éperdument amoureux.
Sa descente aux enfers après sa fugue vient en sombre contrepoint de cette enfance heureuse : les scènes époustouflantes de son arrestation par erreur dans un hôtel de passe, de son emprisonnement avec des droit commun ou de sa rencontre avec le proxénète qui l’a embauché donnent à Duong Thu Huong la matière d’un portrait sans appel d’une société vietnamienne déstabilisée et corrompue que dominent le sexe, le pouvoir et l’argent.
Quand Thanh ne supporte plus sa vie oisive d’objet sexuel et qu’il décide de prendre un nouveau départ, il ne peut s’empêcher de buter sur le traumatisme subi lors de ses seize ans. La scène qui le hante, et dont son propre père est l’acteur principal, donne la clé de sa dérive et du roman tout entier.
La question sous-jacente que pose en effet Duong Thu Huong tout au long de ce livre consacré aux enfants des hommes et des femmes de sa génération, celle qui s’est battue pour des idéaux et qui ne se reconnaît pas dans le Vietnam d’aujourd’hui, est déchirante : qu’avons-nous fait à nos enfants ? quel monde leur laissons-nous ?

Revue de presse

"Duong Thu Huong se promène le long de cet itinéraire d’un enfant perdu, croisant les causes et les effets, remontant le temps et les fleuves, composant in fine quelque chose comme un requiem, une assomption de la douleur, un grand livre de la perte." Olivier Mony, Livres Hebdo

« Duong Thu Huong fait défiler les histoires de corruption, de tricheries, les discours hypocrites et vides. Son Vietnam contemporain est avant tout celui de la faillite morale des élites, face à la dure condition des humbles et des marginaux. » Marie Chaudey, La Vie

« Jamais, pourtant, dans ce roman comme dans l’éblouissant Au zénith, chef-d’œuvre paru en 2009, la militante ne prend le pas sur la romancière, cette magicienne de la langue capable de faire sentir au lecteur l’odeur d’un jardin de pamplemoussiers, comme de lui faire partager les tourments d’un adolescent à l’innocence trahie. » Alexis Liebaert, Marianne

« Sanctuaire du cœur est un livre de passions, avouées ou secrètes. C’est aussi, comme ces plats vietnamiens aux cinq parfums, un livre où règne une atmosphère de sensualité exotique : odeurs, couleurs, lumières, textures sont la toile de fond de toutes les émotions » Frédérique Humblot, Les Échos


Présentation de Au Zénith :

Au Zénith est le chef-d’oeuvre de Duong Thu Huong : voici un roman qu’elle portait en elle depuis plus de dix ans, où convergent son combat politique et son talent littéraire. En 1953, le président - c’est ainsi que l’auteur le nomme, mais on comprend très vite qu’il s’agit de Ho Chi Minh - tombe éperdument amoureux, à plus de soixante ans, d’une très jeune femme. Avec elle, il fonde une famille, qu’il installe à Hanoi dès la reconquête de la capitale. Mais il n’est pas un homme ordinaire, il est le père de la nation, et quand lui vient le souhait d’officialiser son union, les ministres, dont il a favorisé l’ascension, lui font valoir que cette affaire privée le ferait descendre de son piédestal politique. Le président cède, croyant choisir une légitime raison d’État. De ce jour, sa vie bascule. Sa jeune compagne est assassinée, ses enfants recueillis par des proches, et le pouvoir effectif lui échappe : cachés derrière sa figure tutélaire, ses anciens compagnons construisent un régime dont les fondements sont bien éloignés des combats de leur jeunesse commune.
Pour donner toute sa mesure à ce drame intime et politique, l’écrivain déploie une construction romanesque époustouflante, juxtaposant quatre points de vue narratifs. Celui du président qui, à la fin de sa vie, pendant la guerre contre les Américains, avec pour seuls compagnons les soldats qui le surveillent et les bonzesses de la pagode voisine, tente d’éclairer les méandres de son propre parcours. Celui de son meilleur ami, Vu, qui élève son fils, et dont la propre femme, une ancienne révolutionnaire pure et dure comme lui, symbolise désormais la corruption au pouvoir. Parenthèse bucolique et contrepoint à l’intrigue principale : Duong Thu Huong raconte comment un vieil homme respecté dans son Village des bûcherons est parvenu, non sans difficultés, à imposer son union avec une femme de quarante ans plus jeune que lui. Dernier point de vue : celui du beau-frère de la jeune épouse sacrifiée. Fou de douleur, ce Compatriote inconnu ne survit que pour se venger. Au long de cette fresque impressionnante, l’écrivain - héraut des idéaux bafoués que le président a portés jusqu’au bout - élucide, sans jamais porter de jugement, un destin d’autant plus tragique qu’il s’est joué d’un être bien réel et maître du pouvoir.

Présentation de Terre des oublis :

Alors qu’elle rentre d’une journée en forêt, Miên, une jeune femme du Hameau de la Montagne, situé en plein cœur du Viêtnam, se heurte à un attroupement : l’homme qu’elle avait épousé quatorze ans auparavant, dont la mort comme héros et martyr avait été annoncée depuis longtemps déjà, est revenu. Miên est remariée avec un riche propriétaire terrien, Hoan, qu’elle aime et avec qui elle a un enfant. Bôn, le vétéran communiste, réclame sa femme. Sous la pression de la communauté, Miên, convaincue aussi que là est son devoir, se résout à aller vivre avec son premier mari.
Au fil d’une narration éblouissante, la romancière passe de l’un à l’autre des personnages de ce triangle tragique. Miên tente désespérément de se réhabituer à un homme épousé très jeune, physiquement détruit par des années de combats et d’errances dans la jungle, mû par la seule obsession d’engendrer un fils. La jeune femme, nuit après nuit, vit un calvaire. Elle ne peut oublier Hoan qui, résigné, a fui vers la ville où, malgré ses succès commerciaux, il vit un enfer.
Plongeant dans le passé de ces trois innocentes victimes, éclairant leurs destinées individuelles par l’évocation d’une société pétrie de principes moraux et politiques, convoquant leur quotidien dans une somptueuse description de sons, d’odeurs et de couleurs, Duong Thu Huong donne véritablement corps à son pays.
Terre des oublis, grand roman de l’après-guerre du Viêtnam, est un livre magistral.

Présentation de Au-delà des illusions :
Phuong Linh, face à la lâcheté de ses amants, oppose l’ardeur sincère de son amour et le courage de ses convictions. Les serments seront endeuillés de mensonges : Phuong Linh devra trouver seule son chemin. Ce livre donne à voir la médiocrité des intellectuels et des artistes sous le régime totalitaire, le processus qui conduit peu à peu les hommes du mensonge au mépris, du mépris au cynisme, et qui finit par corrompre l’amitié et l’amour.


En savoir plus :

Conférence de presse de Duong Thu Huong à l’occasion de la sortie de son roman Au Zénith (2009), présenté par son éditrice Sabine Wespieser.