MATAR Hisham

12 avril 2012.
 

Biographie :

© Diana Matar

Fils d’un célèbre opposant disparu dans les geôles de Kadhafi dans les années 1990, le lybien H. Matar signe en 2007 un premier roman, Au pays des hommes, encensé par la critique anglo-saxonne et finaliste du Booker Prize. On retrouve sa plume mélancolique et élégante dans La disparition, un roman intime et profond, hanté par le souvenir d’une passion adolescente et la figure d’un père absent.

Présentation de Une disparition  :
« Il est des jours où l’absence de mon père me pèse comme un enfant assis sur ma poitrine. Il en est
d’autres où je me souviens à peine des traits exacts de son visage, jusqu’à devoir sortir de leur vieille
enveloppe les photographies rangées dans le tiroir de ma table de nuit. Jamais, depuis sa soudaine et
mystérieuse disparition, je n’ai cessé de le chercher, de scruter les endroits les plus improbables. Toute
chose, tout être, l’existence elle-même, sont devenus évocations, possibilités d’une ressemblance. Peutêtre
est-ce là ce qu’on entend par ce mot bref et aujourd’hui presque archaïque : élégie. »
Une disparition se noue autour d’une intrigue politique : l’enlèvement de Kamal Pasha
el-Alfi, ancien ministre sous la monarchie égyptienne et dissident politique depuis la
révolution nassérienne de 1952, dans une chambre d’hôtel genevoise. C’est à travers la
voix de Nuri, le fils de Kamal, que sont restitués les faits, survenus durant son adolescence.
L’évocation du père recompose peu à peu la figure du disparu, l’absence faisant de chaque
souvenir un indice guidant le narrateur dans sa quête de vérité. La disparition lève ainsi
le voile sur un faisceau de non-dits entretenus par l’entourage de Nuri, le goût du secret
et l’extrême pudeur faisant loi dans l’ambiance calfeutrée de la haute société du Caire.
Récit d’un mystérieux enlèvement, Une disparition raconte en réalité non pas une, mais
plusieurs disparitions : la mort inexpliquée de la mère de Nuri, alors âgé de dix ans,
signifiant aussi pour le narrateur la fin de la quiétude de l’enfance. Ce dernier découvre
par ailleurs l’émoi amoureux en la personne de Mona, la nouvelle femme de son père
Kamal, pour qui il nourrit une passion tourmentée par la culpabilité. L’envoi de Nuri dans
un pensionnat anglais brise cependant ce triangle amoureux, qui se redessine à nouveau
lors de l’enlèvement de Kamal à Genève, le fils et l’épouse se retrouvant tous deux devant
le spectre du disparu, travaillés par un sentiment d’impuissance et d’incompréhension.
Les mystérieuses circonstances du kidnapping ravivent alors le poids du secret, semant
la paranoïa dans l’esprit de personnages évoluant dans une réalité hypersensible, peuplée
d’une solitude nostalgique et mélancolique. C’est ici que le roman d’Hisham Matar
prend toute sa force : la disparition de l’autre signifie en effet la perte d’une part de soi,
l’achèvement d’une réalité au profit d’un monde inconnu au sein duquel le narrateur
devra trouver sa place. Les questions de la construction identitaire et de l’héritage se
posent alors avec acuité, Nuri étant amené à se construire habité par les résonances
troublantes du passé qu’il porte en héritage.
Poignant récit initiatique, Une disparition est également une écriture de l’exil et du
renoncement, qui fait apparaître une passionnante toile de fond politique. De l’Irak (pays
natal de Nuri, dont l’auteur tait volontairement le nom) à l’Égypte, en passant par la
France, l’Angleterre et la Suisse, les personnages évoluent dans un monde travaillé par
des fractures et des conflits, mais aussi des mélanges culturels. Un arrière-plan qu’Isham
Matar suggère avec finesse, avec le même goût pour l’évocation énigmatique que celui
qui habite les personnages de son roman.