Coup de cœur Télérama : Moussa Konate (Mali)

"Installer la subversion par les livres"

11 juin 2006.

Moussa Konaté est à Bamako, Mali ce qu’est michel Le Bris à Saint-Malo, France : un détonateur d’écritures, un comploteurs de rencontres. Co-organisateur de l’édition malienne d’Etonnants Voyageurs, cet ancien professeur de français est aussi romancier, essayiste, et à même créé une maison d’édition, Le Figuier.

 
Moussa Konaté

Moussa Konaté, la cinquantaine sereine, est de tous les combats pour que vive la culture. Il rechigne à parler de lui, mais finit par céder puisqu’il s’agit de raconter une histoire, celle de son aventure au pays de la littérature.

Télérama : D’où vient votre amour du livre ?
Moussa Konaté : Enfant, j’ai eu cette chance formidable d’avoir des livres à disposition. Je me demande ce que je serais devenu si à 8-9 ans je n’avais pas lu Hergé. Tintin m’a fait rêver. Les enfants qui n’ont pas ce bonheur, qui ne peuvent se plonger dans le rêve, quelle enfance ont-ils ? Lire c’est grandir : celui qui ne lit pas cesse de pousser, ne se fortifie pas, devient handicapé. Je ne conçois pas ma vie et celle de mon pays sans le livre. C’est une obsession.

Télérama : Une obsession qui vous a conduit à créer à Bamako, en 1997, une maison d’édition, Le Figuier.
Moussa Konaté : Notre production est à 80% tournée en direction de la jeunesse : une dizaine d’ouvrages d’auteurs et d’illustrateurs africains publiés par an, en langue française mais aussi en bambara, en peul, etc. Ici, au Mali, nous nous heurtons à de nombreux préjugés concernant la lecture : "les Maliens ne lisent pas, n’ont pas d’argent pour acheter des livres…". Donc tout est prétexte pour ne rien faire, ne rien proposer… Je crois qu’il nous faut d’abord mettre à leur disposition ce qu’ils ont envie de lire et à n prix abordable. Ensuite, nous pourrons mettre la barre plus haut, être plus exigeants. Il y a 60 millions de Français, pas 60 millions de lecteurs. Pourquoi demander aux 10 millions de MAliens d’être 10 millions de lecteurs ?

Télérama : En 84, vous abandonnez votre poste de prof pour vivre de votre écriture.
Moussa Konaté : Une folie ! Être écrivain ne signifiait rien dans ce pays où les gens étaient très majoritairement - beaucoup plus qu’aujourd’hui - sans pouvoir d’achat, analphabètes, et surout de culture orale.

Télérama : L’oralité et le livre ne font pas bon ménage.
Moussa Konaté : Les contes au clair de lune, les contes autour du feu, mais c’est dépassé ! Ça n’existe plus. C’est de la nostalgie bon marché ! Dès l’apparition du livre, l’oralité s’est figée, l’enseignement n’a plus été véhiculé par l’oralité. Le savoir moderne a besoin de l’écrit. Pourquoi devrait-on confiner les Africains dans l’oralité , ne pas leur donner l’accès au savoir ?

Télérama : Êtes-vous de ceux qui pensent que la tradition étouffe ?.
Moussa Konaté : Pas de façon systématique. La solidarité, l’entraide sont des valeurs primordiales. Mais la tradition devient carcan quand elle nie la liberté de l’individu, quand la solidarité devient obligation : le petit frère doit se taire face au grand frère, le fils doit se taire face au père, le père face au grand-père. C’est un société qui prône non pas le respect mais le silence, alors que les gens ont besoin d’échanger, d’apprendre, de confronter leurs idées. La société se recroqueville, se tétanise. Mais refuser la tradition, être "moderne", c’est parfois être du côté, de l’envahisseur, du colonisateur. Là est le problème. Le monde change et nous, Maliens, n’arrivons pas à prendre le rythme, la mesure de l’évolution. Le monde change sans nous parce que - je le crois profondément - nous n’avons pas digéré la colonisation ni la décolonisation. Le choc a été violent. Ceux qui ont été à l’école française, ont été nourris de culture et de valeurs françaises, se sentent accusés de trahison par les générations montantes. il nous faut analyser, comprendre, combattre les rejets, les méfiances.

Télérama : Que retenez-vous d’Etonnants Voyageurs à Bamako.
Moussa Konaté : Entre la première édition, l’an dernier, et celle de février 200, Le Figuier a reçu 200 manuscrits. Les Maliens écrivent ! Et ça, c’est extraordinaire. Il nous faudra peut-être du temps pour lire tous ces manuscrits, car nous sommes une toute petite équipe, mais la vitalité est là. Mon seul objectif est d’installer la subversion au cœur de notre société. Cette subversion se nome le livre et il s’écrit désormais chez nous. Reste à le publier, à le faire lire. Nous sommes sur le bon chemin. J’aimerais que tous ceux qui n’aiment pas le livre aient honte.


Propos recueillis par Martine Laval