Où êtes-vous donc Etonnants Voyageurs ? Yahia Belaskri

Yahia Belaskri nous écrit de Tipaza en Algérie.

10 juillet 2012.
 

L’idée fut lancée par Dany Laferrière au lendemain du festival en Haïti en 2007, il nous écrivait alors :
"J’ai eu cette idée à Port-au-Prince, en déjeunant dans la somptueuse résidence de l’ambassadeur de France, ce qui m’a rappelé un peu certains romans anglais. Au loin, la rumeur de Port-au-Prince. Et plus tard dans la voiture qui nous conduisait à l’aéroport, je l’ai proposée à un Michel Lebris enthousiaste. La voilà. Pour avoir des nouvelles des uns et des autres éparpillés sur la planète, il suffirait de répondre à une simple question : Où êtes-vous ? "

Je suis à Tipaza, là où se célèbrent les noces du soleil et de la mer, à l’ombre du mont Chenoua (Albert Camus). Là où fouler les traces des ancêtres donne le vertige. Trouble de pas écrasés par le soleil, exaltation de pierres millénaires. Me submerge une sensation de plénitude car ici rien ne peut m’arriver.

Pourtant, depuis deux mille ans, j’erre sur des plaies purulentes, harcelé, maltraité, vaincu, à la recherche des miens, hier cavaliers intrépides et fiers, se déplaçant entre vallées et montagnes, le verbe haut, le geste ample, renversant les frontières. Ici, j’exhume leurs traces et les compte une à une, les invente quand elles se perdent et les déchire lorsqu’elles s’alourdissent.

Sur les pierres, je ramasse, une à une les graines laissées sur la terre blessée, de mes doigts je les brule avant de creuser les tombes et déterrer les morts pour les assigner à demeure. Peut-être me faudra-t-il fouiller les ventres creux et les gouffres interdits pour y déceler la part maudite et celle à venir ! Alors, je remonterai le cours creux des cuisses de ma mère pour saisir le désarroi des générations interrompues.

Au milieu des pierres, je sens le souffle des poitrines enserrées entre les rives en furie. De mes pieds j’efface les empreintes qui ont subsisté aux automnes infernaux. De mes larmes, j’adjure les héros de revenir chasser les fantômes qui peuplent mes nuits.

Ici, à Tipaza, je répudie les Dieux pour m’adosser à la gloire unique, celle d’aimer (Albert Camus).

Yahia Belaskri

 

DERNIER OUVRAGE

 
Revue

Apulée n° 9 - Art et politique

Zulma - 2024

L’art n’a-t-il pas toujours été politique en soi, qu’il l’affiche ou s’en défende ? Telle est la ligne de front d’Apulée #9, qui s’engage depuis le premier numéro dans les brèches et par-delà toutes les frontières de ce début de XXIe siècle.

De l’architecture comme métaphore du pouvoir à la reconnaissance poli- tique des peuples sans État via leur culture et patrimoine artistiques (les Inuit, les Tsiganes, les Berbères et autres nomades du sens), du pillage ou de la destruction en temps de guerre et de colonisation (de l’Acropole d’Athènes à Palmyre, en passant par l’Afrique) à l’universalisme de l’altérité, ce nouvel opus d’Apulée assume toutes les fulgurations et parie sur la voix et les gestes éminemment engagés d’artistes, écrivains, poètes et intellectuels qui portent, encore et toujours, l’idée de liberté, par-delà les identités fracassées sous les chocs de l’Histoire…

Chaudron des allégories et des résistances, critique inventive des mœurs, lien social, pratiques et voix émancipatrices et subversives, utopie en actes : ce nouvel opus s’attache cette fois encore à l’Humain – sans œuvres ni parole confisquées, à l’opposé de la « société du spectacle » – contre la pulsion de mort commune à toutes les politiques du pire. Et comme Apulée l’a toujours défendu !