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TURAJLIC Mila

Serbie

Non-Alignés & Ciné-Guérillas : Scènes des archives de Labudović (2022)

© Ferrante Ferranti

Mila Turajlić est une réalisatrice, scénariste et productrice serbe. Elle avait initialement souhaité se tourner vers une carrière politique avant de considérer l’activité artistique comme une arme plus subversive et efficace. Dès lors, elle a choisi la voie du cinéma documentaire pour tenter de rétablir les histoires oubliées. Elle remporte de nombreux prix pour L’envers d’une histoire (2017). Elle y interrogeait la question de l’engagement politique à travers son histoire familiale et celle de son pays au moment de la chute du communisme. En parallèle, elle dispense cours et séminaires à La Fémis. Dans son diptyque documentaire Scènes des archives de Labudović (2022), elle interroge le pouvoir des images à des fins politiques en temps de guerre, la propagande de Tito dans Non-Alignés et celle du FLN algérien dans Ciné-Guérillas.


Filmographie

  • Non-Alignés & Ciné-Guérillas : Scènes des archives de Labudović (2022)
  • L’envers d’une histoire (2017)
  • Il était une fois en Yougoslavie : Cinema Komunisto (2010)
L'envers d'une histoire

L’envers d’une histoire

Mila TURAJLIC (Survivance/2017/104’) -

Une porte condamnée dans un appartement de Belgrade révèle l’histoire d’une famille et d’un pays dans la tourmente. Tandis que la réalisatrice entame une conversation avec sa mère, le portrait intime cède la place à son parcours de révolutionnaire, à son combat contre les fantômes qui hantent la Serbie, dix ans après la révolution démocratique et la chute de Slobodan Milošević.

Notes de l’auteur

Je suis née en 1979, j’avais 1 an quand Tito est mort et 11 ans quand Milosevic est arrivé au pouvoir, 12 ans quand la guerre en ex-Yougoslavie a commencé, 16 quand elle s’est achevée, 20 ans quand l’OTAN nous a bombardés, 21 quand nous nous sommes finalement débarrassés de Miloševic, 24 lorsque notre Premier Ministre a été assassiné, et aujourd’hui, à l’âge mûr de 39 ans, je veux parler de mon pays, d’un point de vue très personnel, et d’un point de départ très précis - l’endroit où je vis.

Ma mère, la professeure et la politique

L’Envers d’une histoire nous emmène dans le cadre d’une maison de famille, utilisant l’espace intérieur et la vie personnelle de ses habitants comme un moyen de projeter une nouvelle lumière sur les événements extérieurs. Les conversations avec ma mère sont l’épine dorsale du film, et bien que je ne sois pas visible dans le cadre, ma voix et mes remarques viennent contrebalancer ses propos. C’est un dialogue entre mère et fille, mais, également, entre deux adultes, chacune à une étape différente de sa vie. Ma mère, professeure en ingénierie électrique, est devenue une figure publique durant les guerres civiles des années 1990 en tant que voix critique se levant contre le régime de Slobodan Milošević. Elle fut une membre active du mouvement Résistance, et fut renvoyée de l’Université de Belgrade à cause de son franc-parler. Après la révolution qui renversa le régime de Milošević, elle devint secrétaire d’Etat pour le premier gouvernement démocratique. J’ai passé mon enfance à la suivre dans des rassemblements politiques et j’ai étudié les sciences politiques en pensant que je serais aussi engagée qu’elle dans la lutte pour l’avenir de mon pays. En voyant l’échec de la transition démocratique, j’ai perdu toute confiance dans l’engagement politique et j’ai décidé de quitter le pays.

Alors que notre conversation évolue, il y a des désaccords, des souvenirs différents d’événements, des choses qu’elle aurait préféré que je ne demande pas. Je lui parle pendant qu’elle fait des tâches ménagères, allant au-delà de la personnalité de l’activiste pour révéler aussi une femme au foyer et une mère, préparant un gâteau ou en train de nettoyer l’argenterie de la famille. La caméra s’attarde sur ces objets de famille, objets transmis de génération en génération, et le patrimoine matériel se transforme en histoire d’un héritage moral.

Au centre du film et de Belgrade : un appartement divisé

L’appartement devient un personnage à part entière à mesure que le politique envahit cet espace personnel. Mon arrière-grand-père a construit le bâtiment dans lequel nous vivons dans les années 1920, lorsqu’il était Ministre de la Justice du Royaume de Yougoslavie. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les communistes ont nationalisé la maison. Ils ont divisé notre appartement en espaces de vie pour 4 familles, et ont fermé à clef une série de portes dans le salon. 70 ans plus tard, ces portes restent verrouillées, faisant de ma maison d’enfance une véritable ligne de front politique, marquant littéralement les divisions de la Serbie. Je choisis de me concentrer sur cet espace, à travers le changement des saisons, les fêtes familiales de vacances, et de collecter de petites histoires individuelles de joie domestique et de tragédie à partir desquelles l’histoire d’une nation va émerger.

Afin de contraster avec cette « vue intérieure », j’ai filmé depuis les fenêtres de l’appartement pendant près de 10 ans. Notre maison se trouve dans le centre politique de Belgrade - de l’autre côté de la rue se trouvent le ministère de la Défense qui a été bombardé en 1999, la Cour suprême et l’ambassade britannique. J’ai filmé des protestations devant le tribunal, des gens faisant la queue pour des visas, des cordons de police et des gens qui se disputaient, et ces petits aperçus de vie dans la rue donnent un avant-goût des événements qui se déroulent en Serbie aujourd’hui.

Pourquoi filmer à partir de là ? Parce que j’ai eu le privilège de grandir en observant la Serbie à travers les croyances et les actions d’une femme qui pensait qu’il était de sa responsabilité de faire entendre ce qui se passait ici. Parce que ma mère et moi avons toujours partagé ce langage de la politique - elle était une leader étudiante en 1968, tout comme moi dans les années 90. Parce que ma maison familiale était le lieu de rassemblement pour des discussions intellectuelles, des réunions militantes, et souvent juste un refuge contre la folie qui se déroulait à l’extérieur. Parce que cette maison est au centre de Belgrade et de ce qui se passe en Serbie aujourd’hui. Parce que plus je regarde les portes verrouillées de notre salon auxquelles j’ai été confrontée toute ma vie, plus je me rends compte à quel point la Serbie peut être comprise en parlant d’espaces divisés. Entre ceux qui cherchent à réécrire le passé et ceux qui tentent de le reconnaître. Et une façon de comprendre la vie de ma mère et ses tentatives pour combler ce fossé.

Une histoire exhumée

J’ai cherché à restituer le passé à partir d’images d’archives et de souvenirs de ma mère et d’en faire commentaire personnel sur sept décennies d’histoire mouvementée. Les archives de guerres dans les Balkans des années 90 sont fortes et puissamment dérangeantes, et le film les utilise avec parcimonie. Au contraire, il se concentre sur les voix de la raison qui n’ont pas été entendues. Les archives soulignent qu’à chaque étape de la montée du nationalisme, de l’éclatement de la guerre, de la répression brutale du régime et même de l’euphorie de la révolution, il y a eu des voix de la raison, qui se trouvèrent noyées dans l’hystérie. En retraçant l’histoire oubliée de la résistance pendant les années Milošević, la recherche d’archives nous a plongé dans des collections VHS personnelles, récupérant ainsi des images qui avait disparues depuis.

À travers les observations de ma mère, les allées et venues quotidiennes dans l’appartement, les images de vie dans la rue comme celles vues depuis les fenêtres, avec l’utilisation contrastée d’archives de reportages TV « officiels », j’ai la volonté de montrer une Serbie rarement vue dans les médias, celle où les gens sont sincères à propos de leur vie et essayent de créer une identité au-delà de celle des divisions politiques. En montrant les vérités vécues de ceux dont la vie personnelle a été façonnée par des événements politiques, il émerge de L’Envers d’une histoire un récit dans lequel tout le monde est à la merci des grandes marées de l’histoire, et pourtant, avec le pouvoir de prendre son destin entre ses propres mains.

Un défi pour la prochaine génération.

Mila Turajlić


Bande-annonce


  • "Ce fascinant huit-clos captive particulièrement par le dialogue entre la mère et la fille..." Telerama
  • Retour sur cinquante ans de bouleversements en Serbie "Un travail de montage extrêmement efficace, d’une grande fluidité narrative, truffé d’images d’archives étonnantes..." Le Monde
  • "L’appartement divisé devient un formidable catalyseur de récits, à mi-chemin entre la chambre d’écho et la maison hantée." Les Inrocks

Non-Alignés : Scènes des archives de Labudović

Non-Alignés : Scènes des archives de Labudović

Mila TURAJLIC (Poppy Pictures, Survivance/2022/100’&94’) -

Des bobines de films dorment sur des étagères d’archives en Serbie. Elles regorgent d’images oubliées de liesses populaires, de sommets politiques, et parfois de luttes armées anticoloniales. Mila Turajlić les exhume et part à la rencontre de celui qui les a filmées : Stevan Labudović. À partir de 1954, ce filmeur passionné a capté sur pellicule, pour le compte de Tito et de l’ex-Yougoslavie, les combats anti-impérialistes et l’opposition à l’idée d’un monde bipolaire partagé entre l’Est et l’Ouest. Ses images racontent le mouvement des Non Alignés. Une époque où l’on croyait que le cinéma pouvait écrire l’histoire.où le cinéma a été mobilisé comme arme de lutte politique contre le colonialisme.


Bande-annonce


Ciné-Guérillas : Scènes des archives de Labudović

Ciné-Guérillas : Scènes des archives de Labudović

Mila TURAJLIC (Poppy Pictures, Survivance/2022/100’&94’) -

Stevan Labudović a été le caméraman du président yougoslave Tito. Il a ainsi rapporté le plus grand corpus d’images de la guerre d’Algérie qui ne sont pas tournées depuis le point de vue de la France. Mila Turajlić s’embarque à ses côtés dans le récit de ses aventures, guidée par les archives exceptionnelles que constituent ses bobines et ses journaux intimes, à la découverte d’un chapitre inédit de l’histoire du cinéma anticolonial.

« Les célèbres images de Stevan sur l’Algérie sont un pur joyau. Stevan est allé bien au-delà de la mission de simple caméraman en rejoignant le FLN (Front de Libération Nationale) jusqu’à ce qu’ils conquièrent leur liberté. J’ai voyagé avec cet homme tranquille et modeste en Algérie, et j’ai été stupéfaite de découvrir que là-bas, son héritage est plus présent que jamais. »
Mila Turajlić


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