Un passé semblable, un même destin

Écrit par Manon Micheletti, incipit 2, en 2nde au Lycée George Sand à Domont (95). Publié en l’état.
  • " Si vous voulez bien me suivre madame ".
    Elle se tourna de tous côtés perdue dans les méandres de ses souvenirs, affolée pour finalement se rendre à l’évidence : personne ne se tenait auprès d’elle excepté le jeune homme qui l’attendait, posté devant elle.
    Elle le regarda, perdue et détailla son uniforme qui lui allait à ravir ; elle lui tendit une main ridée par l’âge, tremblante et quémandant un peu d’aide pour avancer. Il lui ofrit un jeune bras robuste auquel elle s’accrocha avec peine, lui décrocha un sourire respectueux et entendu.
    Cela faisait bien longtemps qu’on ne l’avait pas traitée comme une jeune fille ; une lueur malicieuse brilla au fond de ses yeux et elle se souvint des jours où elle portait une robe blanche immaculée, ses cheveux autrefois blonds et lumineux tombant en cascades sur ses épaules elle pouvait alors jouer de ses charmes et être désirable. C’était…tout simplement à une autre époque…
    « L’obstacle à la vie est celui qui espère demain et néglige aujourd’hui. »
    Elle n’avait jamais oublié…
    Une vive douleur dans son dos la tira de ses songes ; elle maudit la vieillesse et tous ses engendrements. La vie est une montagne que l’on cherche à gravir dans notre jeunesse ; on monte, on tombe et quand on atteint enfin le sommet, nous ne sommes pas pressés de redescendre, on cherche des chemins plus longs.
    Son enfance lui avait était dérobée, songea-t-elle, mélancolique. Elle n’avait jamais eu le rire cristallin d’une enfant, jamais eu de magnifiques songes dénués de cauchemars. Elle en faisait toutes les nuits depuis...elle ne savait plus...depuis longtemps.
    Elle soupira avant de se faire entraîner dans un long couloir, faiblement éclairé par la lueur des chandeliers accrochés aux murs. La lumière au bout lui fit ralentir son pas qui n’était déjà pas bien rapide, sa canne en bois claquant le sol.
    Elle s’arrêta un petit moment. Elle ne pouvait plus faire marche arrière présentement ; elle s’engouffra finalement dans la pièce beignée de lumière.
    Une valse lui vint aux oreilles : plusieurs couples dansaient sur une piste de danse, des personnes étaient installées sur des bancs et se regardaient en riant d’un rire sans joie, presque nerveux ; ou engageaient une conversation, d’autres s’étaient retirées en solitaire, maugréant dans leur coin. Tout cela offrait un tableau des plus étrange aux jeunes générations postées un peu plus loin.
    Le jeune homme la laissa pour rejoindre son groupe et séparant ainsi les générations, tel Moïse dans la Bible coupant la mer rouge en deux. Ne voulaient-il pas se mélanger ? Ne voulaient-il pas égayer un peu cette grotesque mascarade ?
    Elle soupira et rejoignit un vieil homme à l’air revêche assis sur un banc.
    Un moment passa, elle lui jetait quelques coups d’œil et ouvrait parfois la bouche pour parler, avant de se renfrogner et de regarder devant elle, le regard dans le vague. De son côté le vieil homme n’avait guère l’air d’avoir l’envit d’engager une conversation, se contentant de soupiré.
    « Je me souviens….c’était en 1916…les gars et moi, on s’était engagés pour aider le pays ! Ah ! Elle est bien bonne ! Et dire que nous avons cherché, toute notre vie, à fuir cette réalité. Et qu’aujourd’hui, on cherche à nous la remettre en mémoire… Vous avez fait Verdun madame ? »
    Surprise de cette soudaine prise de parole, elle ne répondit pas il ne la laissa pas vraiment répondre et continua son long monologue, tel un acteur sur une scène vide, froide et sans vie… Les yeux de cet homme avaient la même lueur que celle passée : dévastée et reflet des erreurs regrettées...
    Elle se souvint alors…oui comme si cela s’était produit hier : Elle n’avait pas fait Verdun, elle avait survécu à Verdun. C’était cela qui les différenciaient.
    La lumière vacillante faisait paraître son visage décharné, encore plus creux. Des explosions, des cris déchirants la nuit, les lumières des avions de guerre azurants le ciel, tel des feux d’artifices…mortels. Ses cheveux blonds fouettant son visage.
    Elle n’avait plus la notion du temps. Elle courait et cherchait autour d’elle la poupée. Les gouttes salées tombant de ses yeux, formant un sillon sur ses pommettes rose d’enfant. La main de sa mère la pressant, la hâtant, la poussant sur le côté lorsqu’un obus manquait de leur faire connaître intimement la mort.
    Elles étaient dans le même état, affolées et perdues. Personne ne devrait connaître pareil spectacle : celui de sa mère redevenant une petite fille, sans défense. L’enfant tomba au sol, épuisée et fatiguée de la longue course effrénée à travers la ville massacrée. Son souffle était court et anormalement irrégulier, causé par la fumée âcre des explosions. Des corps à leur pieds jonchaient le sol, ceux des pauvres quidams qui avaient été frappés.
    L’ombre voila son regard l’espace d’une seconde, un hurlement, puis les abysses.
    Essayant de se relever avec peine, gisant sur le sol, elle sentit un poids sur son dos, la poussière et la boue ne lui facilitaient pas les mouvements. Elle mit toute la force dont elle était capable pour réussir finalement à s’extirper de sous le cadavre de…sa mère.
    Ses yeux, figés par l’effroi, déchirèrent l’enfant de part en part, tel une lame la saignant à vif. Elle posa sa petite main potelée sur la joue de sa mère, et pleura de tout son être, elle hurla avant d’entendre un faible gémissement sortir de la gorge de sa mère. Ses cheveux crasseux lui collant le visage qui étaient magnifique d’antan.
    « Ma chérie ! Oh, Dieu veille sur son âme, je suis désolée d’avoir été une si mauvaise mère. Mon amour, mon époux…j’arrive, attends moi…Oh ma tendre fille… Vis ma chérie ! Je t’aime tant ! Vis ! Ne t’arrête jamais, tu te souviens quand papa te disait que… l’obstacle à la vie est… »
    « Celui qui espère demain et néglige aujourd’hui… » Murmura la vieille dame. Une larme perla sur sa joue, qu’elle essuya à l’aide de sa manche avant de respirer un bon coup. Sa mère avait dit ceci secouée de spasmes et de tremblements, puis, la vie l’avait quittée ; Dieu lui avait tendu les bras et elle avait rejoint les archanges au paradis.
    La veille dame se souvint alors de sa faiblesse. Elle n’avait rien pu faire. Elle l’avait tout simplement regardée, s’éteindre peu à peu pour fermer les yeux à tout jamais. Elle était petite, démunie, avait les pieds et mains liés elle avait perdue tout ce qui lui était cher. Tout.
    La vieille dame sortit de son sac, une poupée en chiffon qu’elle porta à son cœur, cause de la mort de sa mère. Elle en était sûre ! Si elle n’avait pas été aussi geignarde, elle aurait pu…
    On lui avait tout volé. Son enfance, son innocence, sa candeur…
    Elle était finalement comme cette poupée, dévastée par la guerre elle avait survécue et n’était plus qu’un sinistre rappel de ce funeste passé.
    Elle regarda longuement la poupée et sentit le vieil homme à ses côtés se lever et s’éloigner doucement.
    « J’ai quelque chose à faire…fou oui…aberant…ah ! Ah !! Oui, ils ne m’auront jamais. Engagé que j’étais ! Verdun…BOUM ! Eh Eh ! Explosions ! Finit ! Mais ils ne m’attraperont pas ! Verdun…Le monde était devenu comme moi…complètement fou eh eh ! Où que j’aille… »
    Il continua sa route pour un lieu inconnu et disparut dans la foule ne laissant derrière lui, qu’une légère odeur de lavande.
    La vieille femme baissa la tête. Une ombre se figea face à elle. Elle releva son visage, lentement et reconnue le jeune homme de tout à l’heure. Celui-ci affichait un air déterminé et pressé. Il déclara :
    « C’est à vous madame ! »
    Elle hocha la tête, se leva, laissa sa canne et son sac sur le banc pour ne prendre avec elle que ce qui était vraiment important.
    Elle avança à travers le monde qui s’était à présent assit face à l’estrade, surplombant l’ancienne piste de danse été aménagée en longue rangées de sièges. Tous s’étaient assis, toutes les générations étaient réunies pour écouter ce bref moment de reccueillement.
    Elle monta sur l’estrade et se plaça derrière le micro, elle tapota dessus avant de lancer un regard circulaire sur la salle. Des caméramans l’avaient prise pour objectif, des flashs et des murmures puis, plus rien. Un silence pesant s’installa.
    Elle posa la délicate petite chose sur le pupitre, puis dans un souffle, déclara :
    « Bonjour à tous ! Je m’appelle Margaret et je vais vous narrer l’histoire de cette poupée…mon histoire… »
    En ce jour on peut retrouver les rares témoignages des personnes ayant surmontées le traumatisme ou ayant tout simplement survécues : « Le monde était devenu …complétement fou. » 1916 était marquer d’une pierre blanche.