L’histoire de Mexico est prodigieuse, à l’image de la Vierge de la Guadalupe qui protège la ville. C’est que les cartes du temps, les hommes et les cultures n’ont cessé de s’y mêler. Autrefois indienne, naguère espagnole, demain ville de science-fiction, elle exhume en grande pompe les ruines du Templo Mayor et ressuscite la poétesse Juana Inès de la Cruz en restaurant le cloître de San Jerónimo.Dans les années 1920, quand s’élèvent les premiers gratte-ciel, l’art, le cinéma et la révolution s’y donnent rendez-vous. Eisenstein découvre la terre de Zapata et fait partager sa passion dans Que viva México. Trotski se réfugie dans la Maison Bleue où Frida Kahlo séduit André Breton et Graham Greene admire sur les murales les maîtres d’école ruraux vêtus de blanc aux visages d’apôtres.La mégalopole d’aujourd’hui a englouti l’âme de cette époque exaltée, tout comme le libéralisme au XIXe siècle et le goût des affaires avaient fait disparaître la cité baroque dont les fastes émerveillaient les Européens. Artistes, savants, comédiens, aventuriers affluaient depuis longtemps dans cette Venise américaine où les attendait un autre monde. Découvrant les plaisirs de l’exotisme, ils se promenaient sur l’Alameda où, côte à côte, esclaves maures et belles mulâtresses, nobles et bourgeois dégustaient le chocolat, l’atole et les tamales. La ville donne l’impression qu’elle va devenir la plus populeuse du monde ", écrivait un marchand anglais en 1555. Déjà, la capitale aztèque où habitaient les maîtres de la Terre était précipitée dans l’orbite occidentale. Mais la ville indienne continuerait de battre au coeur de la ville européenne, nous rappelant que l’histoire est faite de métissages.Et là sera notre cité Mexico-Tenochtitlán, là où glatit l’aigle, là où il se déploie et mange, là où bondissent les poissons, la où gronde le serpent, et il s’y fera de grandes choses.Chronique mexicaine, fin XVIe siècleDes hommes et des femmesde couleurs et de métiers différents,différents par leurs langueset leurs nations ;et parfois leurs lois et leurs opinions.Et tous, à force de détourset de raccourcis,dans la grande cité disparaissenttels des géants mués en pygmées.Balbuena, 1604Là-bas, à Mexico, vous avez beaucoup de choses à manger et à boire, vous pouvez vous amuser et vous promener, parce que là-bas il y a de tout et l’on gagne mieux.Un Indien Mazahua, 1960" Compro, luego existo. "[J’achète, donc je suis.]G. Loaeza, 1992Là-bas au tréfonds de la vieille enfance,il y avait des arbres...Il n’en est rien resté.Même dans la mémoireles ruines font placeà de nouvelles ruines.J.E. Pacheco, 1980Nous mélangeons le tepacheavec un petit pulqueavec un peu d’anis et un petitmezcal,et on finit derrière le comptoir.Groupe Maldita Vecindad, 1994Serge Gruzinski est directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il est l’un des meilleurs spécialistes du Mexique et a écrit avec Carmen Bernand une Histoire du Nouveau Monde (Fayard, t. I, De la découverte à la conquête, 1991 ; t. II, Les Métissages, 1993)."