Dans un club huppé dont l’accès est strictement réservé aux étrangers et à quelques aristocrates locaux, un ancien valet de chambre du roi Farouk assure la fonction de majordome avec une sadique cruauté. À travers l’histoire mouvementée de ce club, l’auteur de L’Immeuble Yacoubian investit tout son talent de conteur pour explorer en profondeur les relations complexes entre dominants et dominés. Dans L’Immeuble Yacoubian, Chicago, J’aurais voulu être égyptien, Alaa El Aswany nous dépeint l’Égypte contemporaine, celle qui va immanquablement déboucher sur la révolution du 25 janvier 2011. Par ses chroniques, il nous montre cette révolution en train de se faire. Avec son nouveau roman, Automobile Club d’Égypte, Alaa El Aswany nous fait remonter une soixantaine d’années en arrière. L’Égypte est alors placée sous le contrôle étroit des troupes britanniques. Elle a un roi d’origine turque qui se consacre à ses plaisirs. Le roi et les Anglais, quels qu’aient pu être les différends qui les ont autrefois opposés, partagent un ennemi commun : le mouvement nationaliste égyptien du parti Wafd, mais aussi les communistes et les syndicalistes qui réclament des droits pour les travailleurs ainsi que pour le pays. Le prisme que choisit l’écrivain pour révéler cette société aux multiples facettes est l’Automobile Club du Caire. Cet endroit prestigieux dont le bâtiment se dresse toujours à deux pas de la place Tahrir accueille alors le roi presque tous les soirs pour de mémorables parties de poker. Il est ouvert aux étrangers ainsi qu’à l’aristocratie d’origine turque ou syro-libanaise. Rares y sont, parmi les adhérents, les authentiques Égyptiens. Ils ne dirigent pas, non plus, l’établissement. Mais ce sont eux qui cuisinent, qui nettoient, qui servent. En haut les étrangers et leurs amis et complices, en bas les serviteurs venus de Haute-Égypte et de Nubie, soumis à la dure férule d’un esclave du palais devenu tout puissant. Parmi ces serviteurs, Abdelaziz Hamam est l’héritier d’une grande famille ruinée de Haute-Égypte. Il est monté au Caire avec son épouse, ses trois garçons et sa fille, poussé par la nécessité et dans le but d’assurer l’éducation de ses enfants. C’est cette famille qui fera le lien entre tous les récits parallèles d’un kaléidoscope à travers lequel Alaa El Aswany donne à voir son pays à la veille du moment où sont réunies toutes les conditions d’une explosion révolutionnaire. La révolte, nous la voyons monter, nous l’entendons gronder, à travers l’enchevêtrement des destinées individuelles. Nous n’en voyons pas, dans ce récit, l’aboutissement. Lorsque nous fermons le livre, l’ordre en place ne semble pas ébranlé. Pourtant nous sentons bien que l’édifice se lézarde. Le Kwo, l’esclave du Palais qui en symbolisait l’oppression, est tué. Nous autres, lecteurs, savons – ce que ne peuvent qu’ignorer les personnages aux côtés desquels nous avons vécu tout au long de ces cinq cents pages – qu’il ne reste que quelques années avant que les officiers libres ne renversent l’ancien régime. À nous, avec tout ce que nous savons de l’histoire de ces soixante dernières années, d’imaginer la suite.
Roman traduit de l’arabe (Égypte) par Gilles Gauthier