Ultravocal, le premier roman de Franketienne écrit en 1972, décrit le vertige de l’errance sans fin ni finalité, le pays habité par "le mal majeur" forçant ses enfants à l’exode massif sans espoir ni désir de retour. Mais Ultravocal est d’abord l’aventure du langage, un travail inouï sur la langue française qui fait de ce livre, un monument de littérature d’expression française. Un roman qui marque l’invention de ce qui deviendra plus tard le mouvement "spiraliste". Pour donner corps à ce texte, Franketienne a taillé un moule unique, une spirale, ni roman, ni poème, ni pièce de théâtre mais tout cela à la fois, imbriqué, rejetant toute forme de linéarité, offrant au lecteur, la possibilité de créer son propre texte en le lisant à son gré. Evidemment, c’est Franketienne qui mène le jeu et à travers une succession de paragraphes apparemment autonomes, il offre au lecteur l’image structurante d’une quête, d’un voyage, d’une poursuite et d’un rapprochement : celles de trois voix superposées, trois personnages et des forces qu’ils incarnent. Des forces négatives pour Mac Abre, le personnage noir du récit, celui qui interdit, qui juge, qui intervient, qui détruit, qui tue pour éteindre toute velléité d’existence individuelle, trancher toute volonté de liberté. Des forces neutres voire positives pour Vatel : l’homme conscient, un lutteur, et un opposant, le naisseur de conscience. Vatel et Mac Abre vont s’affronter dans Vilasaq caricature de Port-au-Prince, "mis à sac" par Jean-Claude Duvalier alors au pouvoir depuis peu, la capitale de Mégaflore, le nom de l’île qui représente Haïti. La troixième voix, c’est celle du poète, "prisonnier de son délire". Elle s’exprime à la première personne, transmet les questions, suit les périgrinations des deux autres, rythme les séquences. La quatrième voix et quatrième personnage est le lecteur lui même, tel un complice fraternel de l’auteur que celui-ci appelle dans sa préface à une "lecture créatrice". La situation actuelle, et depuis trop longtemps permaente en Haïti, montre beaucoup de points communs avec celle de l’époque de la rédaction première de ce roman : les intellectuels sont en état d’insurrection, et ceux qui restent dans leur pays montrent un courage sans faille.